Le quatrième intérêt de la « La vérité sur la crise » de Morad el Hattab et Irving Silverschmidt réside clairement dans son analyse de la crise de l’Europe. Bien qu’écrit il y a un an, leur propos n’a pas pris une ride. Mieux, la véracité stupéfiante de leurs prédictions leur donne une sacrée crédibilité.
Un autre regard sur l’austérité et les dettes publiques
Les auteurs remettent en perspective les débats sur la dette par de nombreux exemples historiques : en 1820 et en 1945, la Grande-Bretagne était endettée à hauteur de 240% de son PIB (après être tombée à 40% en 1910). Les Etats-Unis sortent de la Seconde Guerre mondiale avec une dette de 108% du PIB (et des recettes fiscales alors nettement moins importantes). Et la dette de la France a culminé à 150% du PIB dans l’entre deux guerres, comme le rapporte même Jacques Attali.
Après l’analyse des causes de la crise, « La vérité sur la crise » de Morad el Hattab et Irving Silverschmidt consacre de longs développements aux expériences du passé, qui ont malheureusement été oubliées.
Le parallèle avec 1929
Les auteurs reviennent sur les crises bancaires de la deuxième moitié du 19ème siècle dans toute l’Europe. Ils prennent l’exemple de la spéculation sur le guano (excrément d’oiseau utilisé comme engrais) de 1889, qui avait abouti à des règles prudentielles très strictes en France : « 80% des dépôts à vue étaient affectés à des actifs réescomptables par la Banque de France », ce qui « explique en grande partie l’absence d’une faillite systémique bancaire française en 1931 ».
Au delà d’un récit détaillé de la crise, « La vérité sur la crise » de Morad el Hattab et Irving Silverschmidt vaut également pour son explication claire et argumentée de ses causes.
Le côté obscur de la déréglementation
Globalement, ils démontrent le côté pro cyclique des marchés, à savoir que la hausse nourrit la hausse (en augmentant le crédit des parieurs) et la baisse nourrit la baisse (en imposant de vendre pour retrouver des liquidités). Ils dénoncent les pyramides incroyables de crédit : Lehmann avait des positions de 9000 milliards de dollars sur les dérivés. La couverture par un CDS d’AIG permettait de réduire la quantité de capitaux de 8 à 2% selon les normes Bâle 2, permettant alors de prêter quatre fois plus…
Après avoir posé les enjeux du débat monétaire, André-Jacques Holbecq et Philippe Derudder en viennent plus particulièrement à la question de la création monétaire et de la dette publique.
Remettre en perspective notre endettement
Les auteurs soulignent de manière intéressante le choix du terme « service » de la dette en lieu et place du terme « intérêt ». Ils critiquent le catastrophisme des opposants de tout bord à la dette publique en soulignant plusieurs points importants. Tout d’abord, ils soulignent la myopie de leur analyse, qui oublie de prendre en compte le patrimoine de l’Etat. En effet, l’analyse de la situation financière de quiconque impose d’avoir une vue globale et comparative.
En ces temps d’hystérie collective sur la dette de l’Etat, « La dette publique, une affaire rentable », livre coécrit par A-J Holbecq et publié en 2008, dont la 2ème édition vient de sortir, est un livre essentiel.
Un peu d’histoire
« Il est une chance que les gens de la nation ne comprennent pas notre système bancaire et monétaire, parce que si tel était le cas, je crois qu’il y aurait une révolution avant demain matin » : c’est par cette citation d’Henry Ford que commence cet essai court et percutant. Les auteurs présentent un bref historique de la monnaie et des banques. Si les premières traces de monnaie métallique remonte à plus de 2500 ans en Grèce, la monnaie papier est apparue en Chine au 8ème siècle.
Là où beaucoup d’économistes s’arrêtent à un constat, aussi brillant soit-il, Gérard Lafay a la particularité de développer de nombreuses propositions dans « 12 clés pour sortir de la crise », rendant ce livre d’autant plus intéressant, pour ne pas dire indispensable.
Une révolution monétaire et financière
Gérard Lafay est un partisan des solutions de Maurice Allais, qui va beaucoup plus loin que le simple Glass Steagall Act qui sépare banques de dépôts et banques d’investissements. Il est favorable au 100% money, théorie défendue notamment par Christian Gomez. Cette réforme suppose que la banque centrale reprenne le contrôle total de la création monétaire, abandonnée aujourd’hui aux banques privées. Elle interdit aux banques de se financer à court terme pour prêter à long terme.
« 12 clés pour sortir de la crise » est le coup de cœur de mes dernières lectures. Ce livre a l’immense intérêt de montrer qu’il existe un libéralisme humaniste et progressiste, à mille lieues du néolibéralisme.
Quand un économiste de droite est plus progressiste que le PS
Gérard Lafay n’est clairement pas un homme de gauche. On sent chez lui une vraie opposition à cette partie du spectre politique. Mais ce n’est pas pour autant un néolibéral. Il s’inscrit plutôt dans la continuité de Maurice Allais, qui se disait aussi libéral que socialiste. Il appartient à courant libéral modéré, volontiers paternaliste, sans doute influencé par le catholicisme social. Et au final, il apparaît bien plus progressiste que l’immense majorité des membres du parti « socialiste ».
Il avait combattu l’euro, avec Rosa et Lafay dans les années 1990. Il y a un an, il avait sorti un petit livre savoureux et toujours d’actualité « Sortir de l’euro ou mourir à petit feu ».
Les arguments des partisans de l’euro hachés menu
Comme Jean-Jacques Rosa après lui, l’économiste revient sur les nombreux arguments avancés par les partisans de l’unification monétaire européenne et depuis démentis par les faits. Il cite donc le fameux article du 28 octobre 1997 du Monde signé par tout ce que la pensée unique compte de partisans, de Pascal Lamy à Claude Bébéar. Le premier argument avancé était la protection contre les crises, prévision que les hoquets des bourses européennes depuis 18 mois infirment fortement.
Une Zone Monétaire non Optimale
Il dénonce d’emblée cette « monnaie unique appliquée à des économies dissemblables », qui a privé « les économies nationales d’un amortisseur de crise essentiel dans les remous de la grande récession ». Il dénonce la logique soviétique qui consiste à « préconiser une fois de plus un renforcement de la politique de centralisation continentale qui est à l’origine même du désastre qui s’annonce » ainsi que le décalage entre les citoyens ordinaires et des élites cosmopolites et globalisées.
C’est une des choses que j’avais particulièrement apprécié dans « L’implosion », la capacité de l’auteur à développer une réflexion philosophique sur notre société, sa déshumanisation et son retour à l’état de nature. Il la prolonge largement dans ce nouveau livre.
Paul Jorion, post-marxiste
Il souligne que théoriquement, les salariés devraient être de vrais parties prenantes dans la production d’une entreprise et, à ce titre, se partager avec les autres acteurs (actionnaires, capitalistes et dirigeants) les profits de la vente. Mais il note qu’aujourd’hui, ils ne sont qu’un frais de production comme un autre. De manière totalement asymétrique, la rémunération des traders se fixe en fonction des commissions qu’ils rapportent, ouvrant la voie à des salaires énormes.
Assez naturellement, l’auteur complète son analyse des causes de la crise économique actuelle par un regard pointu et passionnant sur les questions financières, qu’il connaît bien.
Un système dysfonctionnel
Paul Jorion classe les acteurs du capitalisme en trois grandes catégories : les capitalistes (actionnaires), les dirigeants d’entreprise et les salariés (la 4ème, les marchants, n’ajoute pas grand chose à l’analyse). Il souligne qu’aujourd’hui, les intérêts des dirigeants ont été trop alignés sur ceux des capitalistes et que les salariés ne sont plus traités comme parties prenantes des entreprises, mais comme un simple facteur de coût, purement substituable, du fait du chômage de masse.
Après « La crise » et « L’implosion », avec « Le capitalisme à l’agonie », Paul Jorion s’attaque à une tâche plus large, l’analyse des rouages du capitalisme à travers l’économie mais aussi l’histoire et la philosophie.
La dérive néolibérale
Comme beaucoup d’auteurs, Paul Jorion attribue en partie les dérives actuelles à la chute du mur de Berlin, qui incitait le capitalisme à une certaine « décence ». Dans un écho à l’analyse de Galbraith de la crise de 1929, il pointe le doigt sur l’effet de levier, qui « démultiplie le profit potentiel et démultiplie bien entendu la perte potentielle exactement dans la même proportion ». Il dénonce l’impasse actuelle : « réduire la dette publique des Etats tout en assurant la croissance ».
Outre une synthèse utile de la grande régression économique qui touche nos pays dits développés, Jacques Généreux développe également une analyse plus sociétale et politique de cette crise, en proposant une synthèse actualisée de sa thèse de « La dissociété ».
La guerre des idées
Jacques Généreux avait déjà beaucoup développé la question idéologique dans « La dissociété », expliquant la montée du néolibéralisme au tournant du siècle dernier. Il revient sur ce paradoxe qui veut que « tandis qu’une minorité semble profiter outrageusement d’une dynamique destructrice pour la vie du plus grand nombre, aucune force politique majoritaire n’émerge pour imposer une autre voie ». Pour lui, la société néolibérale secrète les ferments de son maintien.
L’économiste du Parti de Gauche, qui a longtemps officié au Parti Socialiste, a publié il y a quelques mois « la Grande Régression », une synthèse abordable de sa pensée et des nombreux ouvrages qu’il a pu publier (et notamment « La dissociété », dont j’avais écrit une revue en trois parties).
Le procès de la libéralisation
Comme avec Jacques Sapir, l’intérêt de l’analyse de Jacques Généreux est qu’elle est systémique, prenant en compte la libéralisation du commerce et de la finance. Mais si le premier y ajoute une dimension plus historique, le second y ajoute une analyse plus psychologique et philosophique, sur laquelle je reviendrai demain. Au global, les analyses des deux auteurs sont extrêmement proches. Ils mettent tous les deux en cause la libéralisation généralisée de l’économie depuis les années 1970.
C’est le cœur du nouveau livre de Jacques Sapir : produire une analyse critique systémique de la mondialisation, recoupant commerce, monnaie et finance, afin de proposer une alternative complète.
Les ravages de la globalisation marchande
L’économiste commence par une analyse des limites de la libéralisation commerciale. Il tord le cou à plusieurs mythes, soulignant que « c’est au contraire la croissance dans les principaux pays qui tire le commerce », comme l’a montré a contrario 2009. Il note aussi qu’il y a beaucoup d’effets d’optique, entre la montée considérable du prix des matières premières, ou la spécialisation qui fait progresser commerce et PIB sans forcément faire progresser le bien-être.
C’est par hasard que j’ai appris la sortie du dernier livre de Jacques Sapir, « La démondialisation », le mois dernier. Passées les premières pages, qui ne surprendront pas les amateurs de l’auteur, sa lecture révèle un essai indispensable pour la pensée économique alternative.
Un livre aux multiples facettes
Que pouvait encore apporter Jacques Sapir à la réflexion pour la construction d’un nouveau monde économique ? En effet, tant de livres ont été écrits depuis quelques années qu’il pouvait sembler difficile de trouver une vraie valeur ajoutée à une telle entreprise. Et pourtant, il y parvient brillamment. Tout d’abord, il est sans doute le premier à faire une analyse globale des travers de la mondialisation.
Après avoir fait un constat extrêmement détaillé, les auteurs ne s’arrêtent pas là et proposent une réforme clé en mains, tout en admettant qu’elle n’est pas parfaite et qu’il s’agit notamment de susciter un débat tout en donnant les moyens aux citoyens de travailler sur une proposition alternative.
La proposition des auteurs
Soyons clairs, l’immense majorité des propositions me semblent très pertinentes. Les objectifs sont les bons : créer une fiscalité plus simple et plus juste, notamment en la rendant progressive et en égalisant l’imposition sur les revenus du travail et du capital. Les Français ont (à raison) des doutes sur la justice de notre système fiscal : ils proposent donc une simplification radicale en supprimant un maximum d’impôts et d’aides pour les fusionner dans un dispositif global.
Thomas Piketty et Camille Landais se sont fait connaître depuis dix ans par des études qui montrent bien que le système économique actuel provoque une augmentation des inégalités. Dans ce livre, ils vont plus loin, analysant notre fiscalité et proposant une saine révolution.
Les inégalités en France
Autant le dire tout de suite : voici sans doute l’ouvrage de référence pour une réflexion sur la répartition des revenus et notre fiscalité. Associé au site www.revolution-fiscale.fr, les auteurs donnent en plus la possibilité aux citoyens ou aux partis de refondre totalement notre fiscalité et d’en mesurer précisément l’impact sur les recettes de l’Etat et sur sa progressivité globale.
J’avais déjà beaucoup apprécié le livre de Régis Debray sur le Général de Gaulle. D’une tendresse incroyable, ce « converti » avait écrit un hommage magnifique au plus grand homme de notre histoire. Il s’attaque dans ce court essai aux présupposés négatifs à l’égard des frontières.
Notre époque prise à contretemps
C’est peu de dire que les quarante dernières années semblent avoir eu pour unique objectif de supprimer les frontières qui caractérisaient nos Etats : liberté de circulation des capitaux, des biens, des personnes. La doxa néolibérale chercher à imposer une liberté de passage totale. Et le mot frontière est aujourd’hui connoté de manière très négative, à la fois chargé de passéisme et de nationalisme, comme on a pu le constater dans le débat entre NDA et Olivier Besancenot sur I-télé.
20 ans de crise du capitalisme financier
Pierre-Noël Giraud revient sur les crises des années 1990 : le Japon, la crise du SME, le défaut russe, la faillite de LTCM ou la crise Asiatique. Il souligne que la libéralisation financière rend le système instable du fait du caractère moutonnier des marchés. Il souligne que c’est le gouvernement Français de l’époque qui a fait le choix politique de défendre la parité franc-mark, au prix de taux d’intérêt qui ont déprimé la croissance : « si un gouvernement se fixe un objectif de change, la politique monétaire est entièrement asservie à la poursuite de cet objectif », quand les mouvements de capitaux sont libres.
La finance pour les nuls
Pierre-Noël Giraud est professeur d’économie à Dauphine et cela se ressent dans l’écriture de son livre, qui, plus qu’un « traité sur la finance moderne » semble être un manuel pour étudiant. Il est extrêmement riche puisqu’il comporte à la fois un volet théorique sérieux expliquant l’ensemble des principes de la finance, ainsi qu’une analyse économique des différentes crises que nous avons traversées pour se terminer sur une synthèse de la crise économique de 2008, le tout suivi d’une étude des solutions qui pourraient être apportées pour stabiliser le système.
Keynes, ce héros
Même s’il prédit un peu imprudemment la défaite idéologique des néolibéraux, l’auteur souligne la justesse de l’analyse keynésienne, pour laquelle si « les marchés sont au cœur de toute économie dynamique, ils ne fonctionnent pas bien tout seuls ». Il reprend la parabole du concours de beauté où les juges cherchent à juger non pas le plus beau visage mais celui que les autres vont juger comme tel pour illustrer la méthode d’investissement. Cela explique pour lui le caractère moutonnier du marché.
Dans « Le triomphe de la cupidité », le prix Nobel d’économie 2001 ne se contente pas de conter la crise. Il fait également de très nombreuses propositions pour tirer les leçons de nos erreurs.
Sa vision des plans de relance
Comme Paul Krugman, il juge le plan de relance insuffisant car Washington doit compenser les budgets des Etats, qui coupent dans les dépenses et augmentent les impôts. Il démonte l’équivalence ricardienne qui veut que les ménages réagissent à l’évolution des dépenses de l’Etat (en épargnant davantage si les dépenses publiques augmentent par anticipation d’une hausse des impôts) en soulignant que l’épargne avait baissé après les baisses d’impôt de 2001, en dépit des déficits.
L’auteur s’est fait connaître à la fois comme prix Nobel d’économie 2001 et également comme critique radical des pratiques du FMI, qu’il a dénoncées dans son livre « La grande désillusion ». Il vient de publier « Le triomphe de la cupidité », que je vous recommande vivement.
Une analyse de la crise
Joseph Stiglitz propose une bonne synthèse, centrée sur les Etats-Unis. Pour lui, la cause est financière : « il y avait une bulle, et elle a éclaté, en apportant la dévastation dans son sillage. Cette bulle était alimentée par des prêts douteux des banques, qui acceptaient pour nantissement des actifs dont la valeur était gonflée par la bulle. Des innovations récentes ont permis aux banques de cacher une bonne partie de leurs prêts pourris, de les retirer de leur bilan, et d’accroître ainsi leur effet de levier, ce qui a rendu la bulle encore plus grosse et le chaos quand elle a éclaté encore plus grave ».
Mais outre son analyse économique, qui démontre l’intérêt d’une plus grande régulation du cours des monnaies comme des flux de capitaux, Paul Krugman porte un regard plus politique sur ces crises et appelle à une reprise en main des politiques.
Les dangers du fanatisme du marché
Dans ce livre, Paul Krugman attaque sévèrement les partisans du tout marché qui pensent qu’une main invisible permet à l’économie de retrouver la croissance après une crise. Il dénonce les erreurs des gouvernements japonais qui ont beaucoup trop tardé à intervenir pour sortir le pays de la trappe déflationniste. Il souligne le temps pris à baisser les taux, à soutenir la dépense publique (le budget est en excédent de 2.9% du PIB en 91), ou même à assainir le système bancaire.
Paul Krugman est un économiste particulier, un libéral de plus en plus modéré. Et outre une capacité d’analyse qui lui a valu le prix d’économie décerné à la mémoire d’Alfred Nobel, il a une capacité de vulgarisation peu commune, ainsi qu’un véritable sens politique.
Le rôle de la libéralisation monétaire
« Pourquoi les crises reviennent toujours » est un ouvrage ancien (1999) qui a été réédité et mis à jour en 2009. Mon ami RST en avait fait un résumé très intéressant, mais je souhaite y apporter également mon regard. De manière très significative, ce livre est centré sur la crise des pays asiatiques, crise à laquelle Joseph Stiglitz et Jacques Sapir accordent une grande importance. Paul Krugman revient également dans ce livre sur l’ensemble des crises économiques des pays émergents.
Jacques Sapir n’est pas un économiste comme les autres. Passionné de géopolitique, ses écrits offrent également une lecture politique passionnante qui éclaire particulièrement bien les enjeux d’aujourd’hui et le « retour des nations » qu’il annonce.
L’illusion du droit d’ingérence
Dans la novlangue bien pensante, le « droit d’ingérence » est un morceau de choix. Il faut dire que le vocabulaire a été bien choisi pour éviter toute contestation. Mais ce n’est pas ce qui arrête un Jacques Sapir qui n’a que faire des convenances et attaque bille en tête. Il souligne que « l’ingérence humanitaire ne peut être que le fait du fort sur le faible, alors qu’un principe de droit doit par essence pouvoir être appliqué tout autant au fort qu’au faible » devenant au passage un « colonialisme humanitaire ».
Après avoir lu beaucoup de livres de penseurs alternatifs, Jacques Sapir était le dernier grand intellectuel que je voulais étudier. « Le nouveau 21ème siècle », écrit avant le déclenchement de la crise économique, est un ouvrage de référence sur l’économie et l’idée nationale.
Retour sur la crise de 1997-1999
C’est un point commun de Jacques Sapir avec les deux prix Nobel d’économie Joseph Stiglitz et Paul Krugman que de donner une importance particulière à la crise qui a secoué les pays émergents à la fin des années 90. Pour lui, contre pour eux, cette crise est la conséquence d’une déréglementation excessive, notamment sur le plan financier et monétaire et elle démontre, 10 ans avant la crise des subprimes, les immenses dangers de la globalisation néolibérale.
Comme dans son précédent livre, Frédéric Lordon ne se contente pas d’une analyse des raisons de la crise. Il fait de nombreuses propositions, volontiers radicales, pour changer notre système économique.
Pour un système socialisé du crédit
Depuis un an, Frédéric Lordon a apporté une contribution majeure à la réflexion sur la construction d’un système économique alternatif. Au regard des propositions faites dans son précédent opus, il prend un virage radicalement plus interventionniste qui a le grand mérite de pousser la réflexion sur la construction des structures même du capitalisme, de manière à éviter toutes les dérives qui ont pu être observées depuis plusieurs décennies. Une réflexion essentielle.
Dans « Jusqu’à quand », publié en septembre 2008, Frédéric Lordon livrait une analyse passionnante des mécanismes de la crise. Dans « La crise de trop », il affine son analyse et développe ses propositions.
Les causes de la crise
Pour l’auteur, il y a deux raisons principales à la crise économique que nous traversons, deux contraintes à laquelle nos économies se sont soumises, « celle de la finance, qui exige la rentabilité actionnariale, et celle de la concurrence qui veut la compétitivité-prix, qui ont écrasé les salaires et fait exploser les inégalités ». Une analyse proche de celle de Robert Reich dans « Supercapitalisme ».
C’est bien tout l’intérêt de la démarche de Christian Saint Etienne que de démontrer qu’à terme, la monnaie unique telle qu’elle a été conçue, n’est pas tenable, et qu’il faut penser à un plan B. Il en propose même trois dans le livre, étant donnée l’incertitude que fait peser « la fin de l’euro ».
Le pire et l’idéal
L’auteur souligne malicieusement que tout a été fait pour permettre un retour aisé aux monnaies nationales. Les banques centrales nationales existent toujours. Les pièces ont une face nationale qui permettrait d’introduire instantanément un « euromark », un « eurofranc »… Et même les billets ont un code national ! Bref, le retour en arrière est possible et semble même avoir été étudié lors de la genèse de l’euro.
Christian Saint Etienne est un économiste reconnu, partisan d’une Europe fédérale et de la mondialisation. Pourtant, dans son dernier ouvrage, il attaque l’euro d’une manière radicale.
Un bilan désastreux
Pour lui, l’euro accentue les divergences entre ses pays membres. Pire, l’Europe « est devenue une zone de non-croissance relative dans le monde au sein de laquelle l’Allemagne conduit une politique de désinflation salariale compétitive ». Elle fait de « ses prétendus citoyens (…) des gladiateurs dans le cirque de la concurrence fiscale et sociale alors que les bêtes fauves surgissent de toutes parts ».
« La crise économique de 1929 » est assez incroyable à lire tant l’histoire ressemble à celle de la dernière décennie. En fait, elle semble conjuguer les caractéristiques de la bulle Internet et des subprimes.
Le rôle des inégalités
Galbraith donne cinq explications à la crise de 1929. Tout d’abord, il y voit une conséquence des inégalités dans la répartition des revenus. Ensuite, il incrimine la structure des entreprises, et notamment le levier utilisé par les sociétés financières. Puis, il met en cause le rôle des banques, la balance commerciale américaine et enfin les erreurs des économistes de l’époque.
« La crise économique de 1929, anatomie d’une catastrophe financière » de James Kenneth Galbraith est un des livres de référence sur la crise des années 30. Il est aujourd’hui forcément utile de s’y replonger.
L’avant crise
Il est proprement sidérant de constater à quel point on peut faire des parallèles entre la grande crise des années 30 et les récentes crises boursières du début du 21ème siècle. Dans ce livre, l’un des disciples les plus célèbres de Keynes propose son récit et son analyse de la Grande Dépression. Il se concentre sur le récit de la catastrophe financière, depuis la catastrophe de Floride jusqu’à l’automne 1929.
C’est bien tout l’intérêt de l’ouvrage de Frédéric Lordon que d’aller plus loin que le simple constat et de chercher à structurer des propositions très concrètes pour réformer la finance.
Les coupables
L’auteur en profite pour attaquer tous ceux, au premier rang desquels Nicolas Sarkozy, qui ont présenté les Etats-Unis comme un modèle économique. Leurs bons résultats des dernières années ne sont que la conséquence d’une pyramide de dette. L’endettement des ménages atteint 120% de leurs revenus aux Etats-Unis et 140% en Grande-Bretagne contre 68% en France. Il cite une étude de Jacques Sapir qui montre que la dette a augmenté la consommation de 2,4% par an de 2002 à 2007.
Avec « L’implosion » de Paul Jorion pour expliquer les subprimes, « Jusqu’à quand ? » est sans doute le deuxième ouvrage de référence pour mieux comprendre la crise financière. Un livre indispensable.
Le must pour comprendre la crise financière
Autant Paul Jorion maîtrise comme personne les arcanes du marché des subprimes, autant Frédéric Lordon a un don particulier pour expliquer la crise financière de A jusqu’à Z de manière extrêmement pédagogique en aidant à comprendre des notions souvent survolées ailleurs. Je comprends désormais mieux pourquoi RST s’est fait le défenseur de cet économiste de talent qui rend les ténèbres financières lumineuses.
S’il est un économiste de talent, Paul Krugman est également un homme engagé en politique et parallèlement à l’histoire économique de son pays, il en livre également une histoire politique, tout aussi passionnante, mais tout aussi engagée.
Les trois vies du Parti Républicain
La première vie du GOP s’étend de 1870 jusqu’en 1948, avec dans un premier temps une large domination de la vie politique nationale (jusqu’en 1932, il gagne 12 élections présidentielles sur 16 et est majoritaire sous 27 législatures sur 32). Et encore, Paul Krugman explique que les interludes sont limités à des « démocrates Bourbons », finalement peu différents. L’auteur dénonce la structure électorale du pays, qui exclut le quart le plus pauvre (les 15% d’immigrés et les 10% de Noirs du Sud sans droit de vote) et dénonce le rôle de l’argent. Le candidat républicain de 1896 a dépensé l’équivalent de 3 milliards de dollars actuels pour écarter un démocrate dangereux, qui avait dit : « vous ne crucifierez pas l’humanité sur une croix d’or ».
Paul Krugman a été désigné prix Nobel* d’économie en 2008. Il est également un éditorialiste extrêmement connu pour son opposition radical à l’administration Bush. Dans « L’Amérique que nous voulons », il raconte de manière passionnante, mais non moins engagée l’histoire de son pays.
De l’âge d’or à la « Grande Contraction »
Paul Krugman commence son récit par le fameux « Age d’or » qui a précédé la Grande Dépression. Il montre que l’augmentation des inégalités atteint un sommet en 1929, où 1% de la population concentre 17% des revenus (et 70% des dividendes) et 10% 43%. Il raconte comment la première tentative d’instaurer un impôt sur le revenu, en 1894, à hauteur de 2% des revenus, est finalement censuré par la Cour Suprême et devra attendre le 16ème amendement à la Constitution en 1913 pour être enfin autorisé. Les dépenses de l’Etat représente alors 4,7% du PNB dans les années 20, largement moins qu’en Europe.
Après « L’implosion », Paul Jorion revient dans « La crise », sur la période couvrant mars à septembre 2008. Outre un récit très bien documenté, il offre une analyse de ses raisons particulièrement claire et pertinente.
L’accélération de la crise
Paul Jorion commence donc par la faillite de Bear Stearns en mars. Il souligne alors toute l’hypocrisie du montage financier qui permet à JP Morgan de racheter la 5ème banque d’affaire du pays pour à peine un milliard mais avec une garantie de 29 milliards de la Fed... En juillet, le régulateur n’hésite pas à limiter la spéculation en interdisant certains types de vente à découvert. Fin août, les banques avaient provisionné plus de 500 milliards de perte et obtenu des recapitalisations à hauteur de plus de 300 milliards…
Abonné à The Economist, je ne pensais pas trouver mieux que leurs explications à la crise de subprimes. Pourtant, Paul Jorion réalise cette prouesse dans son livre de mai 2008 « L’implosion ».
La déconfiture du marché immobilier Américain
Paul Jorion s’est fait connaître pour avoir prévu la crise des subprimes : à cela rien de surprenant quand on lit ce livre qui détaille tous les types d’emprunts aberrants proposés aux consommateurs : « interest only », où seuls les intérêts sont payés et le principal était remboursé à l’échéance, les ARM « adjusted rate mortgage », où les consommateurs paient un taux promotionnel pendant 2 ans, ou peuvent rembourser mensuellement moins que les intérêts dus, augmentant tous les mois le principal à régler à échéance ou les multiples mécanismes de refinancement permettant d’emprunter toujours plus (HELOC).
Après « L’avenir du capitalisme », où il annonçait, dès 2005, le risque d’une crise financière et prenait position pour une meilleure régulation des échanges commerciaux, Jean-Luc Gréau revient avec un nouvel opus où il règle ses comptes avec la pensée néolibérale avec brio.
La dénonciation des idées reçues
Jean-Luc Gréau n’est pas content, et cela fait plaisir à lire ! C’est avec un talent de conteur inédit qu’il décide de s’attaquer aux idées reçues de notre époque. La première à subir un sort est le modèle de développement des pays asiatiques, dont il souligne qu’ils combinent « des marchés intérieurs fermés aux biens de consommation étrangers et des productions nationales tournées vers l’exportation ». Ce modèle, inventé par le Japon, puis copié par la Corée, Taiwan ou maintenant la Chine, assure un développement économique par l’association du protectionnisme et du libre-échange des autres pays…
Malgré sa distinction, l’image de Maurice Allais reste troublée par son opposition au traité de Maastricht et à son combat précurseur pour une forme de protectionnisme, qui ont sans doute limité l’écho de sa parole, un peu trop provocante. Cela n’enlève rien à sa pertinence.
Un visionnaire
Beaucoup affirment que personne n’avait vu la crise actuelle venir. Il est vrai que parmi les partisans du système, peu imaginaient qu’il pouvait arriver à un tel état d’autodestruction. Pourtant, beaucoup avaient crié au loup, longtemps avant. On peut citer les avertissements d’Emmanuel Todd dans « Après l’empire » en 2002, ceux de Joseph Stiglitz la même année dans son livre « La grande désillusion », ceux de Jean-Luc Gréau en 2005 dans « L’avenir du capitalisme ». Paul Jorion a également vu venir la grande catastrophe des subprimes. On peut également ajouter à cette liste illustre Maurice Allais.
Par-delà son analyse sans œillère des conséquences du libre-échange, Maurice Allais nous laisse en héritage une réflexion sur le sens de l’économie, une critique radicale des erreurs des dirigeants occidentaux et des pistes de réflexion pour penser une alternative économique.
L’économie remise à sa place
Maurice Allais écrit ainsi que « l’économie doit être au service de l’homme et non l’homme au service de l’économie ». Il soutient que « dans le cadre d’une société libérale et humaniste, c’est l’homme qui doit constituer l’objectif final et la préoccupation essentielle. C’est à cet objectif que tout doit être subordonné », dans un écho de la célèbre phrase du Général de Gaulle sur « l’homme, la seule querelle qui vaille ». Il dénonce le scandale du chômage de masse, dont l’ampleur est camouflée par les différentes politiques de l’emploi, comme il le montre bien en s’appuyant sur des études du ministère de l’emploi.
Cela faisait depuis longtemps que je souhaitais lire un livre de notre prix Nobel* d’économie. Mais il m’a été difficile de trouver un de ses livres, y compris sur Internet. Voici donc le résumé d’un de ses ouvrages de référence, dont la matière intellectuelle compense une forme pas toujours attrayante.
La cassure de 1974
En bon économiste libéral, c’est en analysant les chiffres que Maurice Allais démarre son analyse. En effet, il s’est rendu compte d’une forte discontinuité dans les résultats économiques de la France à partir de 1974, qui semble indiquer un changement majeur. Le chômage, alors sous le cap des six cent mille personnes, s’envole jusqu’à trois millions, alors que le sous-emploi, selon une étude du ministère du travail, touche six millions de personnes à la fin des années 90. L’emploi industriel, qui regroupe 6 millions de personnes en 1974, décroît alors de plus de 25%, soit seulement 16% de la population active contre 28%.
Le brillant chroniqueur politique laisse souvent la place au sociologue et à l’anthropologue pour étudier alors les conséquences de cette décomposition politique et envisager les scénarios qui se présentent pour la société Français, entre République ethnique, fin de la démocratie ou sursaut protectionniste européen.
De la place de l’égalité et de la liberté dans les nations
Emmanuel Todd développe dans ce livre une théorie passionnante mais forcément difficile à restituer, sur la nature profonde des nations dans le monde, à savoir si elles privilégient plutôt l’égalité ou l’inégalité ou si elles préfèrent la liberté ou l’autorité. Il utilise pour cela son analyse des modèles de famille pour brosser à grands traits l’histoire des derniers siècles, en Europe, comme aux Etats-Unis ou en Asie. Son explication donne une perspective assez formidable et une lecture particulièrement éclairante des différences entre les nations et de leur rapport à l’égalité et la liberté.