dimanche 25 septembre 2011
Emmanuel Todd, chroniqueur et analyste politique de talent
Emmanuel Todd est une de mes références les plus importantes, tant la qualité de ses livres révèle une analyse qui puise dans l’ensemble des sciences humaines pour remettre en perspective notre histoire. Je n’ai pas été déçu avec son dernier opus « Après la démocratie ».
Cette élection semble avoir été le déclencheur du livre. Elle permet à Emmanuel Todd de révéler un talent de chroniqueur politique dont la plume acide révèle un sacré brio. Il qualifie le second tour de « choc de deux vides » et en résume l’issue d’une manière très juste : « les électeurs qui avaient peur de l’incompétence de Ségolène Royal l’ont finalement emporté sur ceux qui avaient peur de la brutalité de Nicolas Sarkozy ». On pourra ajouter que certains avaient peur des deux et devaient arbitrer entre le moindre de deux maux… Il avance également que les quatre candidats principaux étaient de droite : d’extrême droite, de droite extrême, de centre-droit et « de droite loufoque socialo-traditionnaliste ».
Mais les mots les plus durs vont à Nicolas Sarkozy, qui « exaspère nos partenaires européens, spécialement l’Allemagne », qui, « tel un voyou, insulte un marin pêcheur ». Il dénonce « l’incohérence de sa pensée, sa médiocrité intellectuelle, son agressivité, sa fascination de l’argent et son instabilité affective ». Il compare son rapprochement avec les Etats-Unis à un « rat pressé d’embarquer sur un navire qui coule ». Il attaque sa critique de mai 1968 en soulignant que « le premier, il a appliqué à l’institution présidentielle le slogan soixante-huitard qu’il dénonce ‘le vivre sans contrainte et jouir sans entrave’ ».
Mais Emmanuel Todd n’est pas moins acide à l’égard des socialistes, notamment Dominique Strauss-Kahn (FMI) et Pascal Lamy (OMC), qui « nous montre que si les chefs de la gauche Française ont renoncé à sauver leur pays, ils gardent la capacité de se sauver eux-mêmes. » Il affirme même que « le conformisme des hauts fonctionnaires socialistes est statistiquement supérieur à celui de leurs homologues de la sphère UMP » et souligne « la brutalité enfantine de leur engagement néolibéral ». Il remet à Franz-Olivier Giesbert le titre de pionnier de « l’ouverture » pour être passé en 1988 du Nouvel Observateur au Figaro.
Plus gravement, il dénonce la dérive d’un parti socialiste qui finit par mépriser les classes populaires, comme le montre un dialogue avec une militante. Il dénonce leur soutien au libre-échange qui permet un détournement des profits dégagés par la croissance indienne et chinoise de peuples qui en ont bien besoin, au profit du monde financier. Il souligne que les questions sociétales furent sous Jospin « un moyen d’éviter d’affronter l’essentiel, l’économie ». L’auteur attaque également Philippe Séguin, accusé d’avoir oublié ses idées pour la présidence de l’Assemblée en 1995 puis celle de la Cour des Comptes et il n’est guère indulgent vis-à-vis de Jacques Chirac, prisonnier de la bien-pensance, à part sur l’Irak.
Il rejette Bertrand Delanoë « version managériale de gauche du narcissisme contemporain » comme Olivier Besancenot qui ne sont que des pièces comme les autres du spectacle politique car ni l’un, ni l’autre n’a « de programme économique réaliste, c’est-à-dire capable de maîtriser la globalisation ». Il propose une lecture du vote FN qui va au-delà du racisme en le qualifiant d’ « insoumission, défi à une classe dirigeante arrogante, capable de martyriser la population par sa politique économique et monétaire » étant donnés le fort niveau de mariage mixte en France et la géographie du vote frontiste.
Emmanuel Todd cherche alors à analyser la raison du malaise. Il y voit une conséquence de la fin des idéologies, qu’elles soient religieuses ou politiques. Il souligne que le 20ème siècle a vu l’effondrement de la pratique religieuse (5% de la population va régulièrement à la baisse). Mais il montre également que le communisme a subi un déclin parallèle. Il conclut que « la bipolarisation droite gauche se fixe sur l’opposition des deux partis qui résistent le mieux à l’affaiblissement des idéologies parce qu’ils sont au départ plus plastiques, et tout disposés à mollir encore, jusqu’à l’extinction de toute idéologie propre ».
Face à ce noir constat, l’auteur va alors chercher à imaginer ce qui peut arriver à notre société, étudier les conséquences de tous ces bouleversements sur notre démocratie pour étudier plusieurs scénarios et les moyens d’en sortir.
Source : Emmanuel Todd, « Après la démocratie », Gallimard, texte publié en janvier 2009
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Oui, c'est un bon livre, même pour un Allemand. Mais il faut lire 'L'illusion économique': celui-ci est aujourd'hui sur la hauteur de l'actualité européenne, 18 ans après son apparition. Todd est fort. Il n'y pas d'intellectuel comparable en Allemagne, aussi clair-voyant, courageux et libéral.
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