dimanche 25 septembre 2011
Emmanuel Todd, sociologue des démocraties
Le brillant chroniqueur politique laisse souvent la place au sociologue et à l’anthropologue pour étudier alors les conséquences de cette décomposition politique et envisager les scénarios qui se présentent pour la société Français, entre République ethnique, fin de la démocratie ou sursaut protectionniste européen.
Emmanuel Todd développe dans ce livre une théorie passionnante mais forcément difficile à restituer, sur la nature profonde des nations dans le monde, à savoir si elles privilégient plutôt l’égalité ou l’inégalité ou si elles préfèrent la liberté ou l’autorité. Il utilise pour cela son analyse des modèles de famille pour brosser à grands traits l’histoire des derniers siècles, en Europe, comme aux Etats-Unis ou en Asie. Son explication donne une perspective assez formidable et une lecture particulièrement éclairante des différences entre les nations et de leur rapport à l’égalité et la liberté.
L’un des exemples les plus frappants est bien sûr la comparaison entre la France et l’Allemagne des années 30. La Grande Dépression a produit le Front Populaire dans notre nation à la tradition familiale libérale et égalitaire et le nazisme chez notre voisin où domine la famille souche autoritaire et inégalitaire. Il montre également comment l’Angleterre a développé la première une représentation parlementaire capable d’alternance mais que c’est la France, plus égalitaire, qui a été la pionnière du suffrage universel, que les Anglais ont mis du temps à adopter. Il montre également la différence de nature entre une Inde inégalitaire et une Chine égalitaire, dont l’acceptation des inégalités économiques sera plus difficile.
Emmanuel Todd en profite alors pour remettre au goût du jour la fameuse « fracture sociale ». Il en profite pour rappeler que l’auteur de ce terme, popularisé par les discours de Jacques Chirac écrits par Henri Guaino, est Marcel Gaucher. L’auteur souligne que si le niveau peu élevé des inégalités de revenus s’est maintenu en France jusqu’à récemment, les années 1998-2006 ont vu une envolée significative, démontrée par Camille Landais : alors que le revenu médian a progressé de 4,3%, les 10% les plus riches ont gagné 8,7% de plus, le 1% le plus riche 19,4%, le 0,1% 32% et le 0,01% 42,6%.
Il souligne que le système actuel ne profite qu’à 1% de la population et est neutre pour les 10% suivants. Pour lui, cela explique le fort biais social du vote sur le TCE, où 81% des ouvriers ont voté « non » mais 62% des professions supérieures « oui ». Il souligne que l’appauvrissement progressif et désormais majoritaire des personnes qui accèdent aux études supérieures (28% des Français atteignent Bac +2) pose la question de la survie d’un système trop inégalitaire et qui « déréalise la vie concrète des individus les plus riches, de moins en moins capables de concevoir les difficultés concrètes qu’éprouve le gros de la population ».
Il souligne le rôle crucial de la dérégulation du commerce mondial qui pousse les salaires à la baisse et demande aux défenseurs du libre-échange « le courage de nous dire à quel niveau de revenus l’équilibre s’établira entre salaires européens, chinois et indiens ». Il souligne que la mondialisation a provoqué un glissement important dans la logique des entreprises, autrefois essentiellement nationales. Alors qu’elles pensaient aux salaires comme un moyen (fordiste) de soutenir la demande, les sommes versées aux salariés ne sont plus aujourd’hui qu’un coûté qu’il faut réduire, ce qui déprime la demande.
Emmanuel Todd voit trois solutions. La première serait un repli ethnique contre l’immigré, mais il n’y croit pas à cause de la tradition égalitaire Française, illustrée par les émeutes de 2005, dont il souligne le caractère social et non racial. La deuxième solution serait une fin du suffrage universel, dont il voit les prémices dans le refus des « non » Français ou Irlandais par des élites « exaspérées sur le mauvais usage que les populations font du droit de vote ». Il voit le risque au PS qui pourrait « conclure que le peuple est par nature mauvais et qu’il faut lui retirer le droit de suffrage, ou du moins en limiter sérieusement l’usage ».
Emmanuel Todd voit une troisième issue qui serait la mise en place d’un protectionnisme européen. Il note aussi la nécessité d’une réforme monétaire puisque « avec l’euro fou (plus encore que fort), l’Europe réussit le tour de force d’utiliser sa propre puissance économique pour se torturer ». Il souligne que l’Europe peut se protéger car sa balance commerciale est équilibrée afin de « créer les conditions d’une remontée des salaires ». Il souligne que l’Allemagne pourra être convaincue car « elle souffre de l’appauvrissement des classes moyennes » et propose de mettre la participation de la France à l’euro en balance.
Avec « Après la démocratie », Emmanuel Todd signe un nouveau livre indispensable. Il conserve une formidable capacité de synthèse de l’ensemble des sciences humaines pour donner du sens et une perspective à notre vie. À lire absolument.
Source : Emmanuel Todd, « Après la démocratie », Gallimard, texte publié en janvier 2009
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Petite coquille dans votre texte, c'est "Marcel Gauchet" et pas "Gaucher".
RépondreSupprimerSinon excellent article.