Frédéric Lordon décrypte la crise
Dans « Jusqu’à quand », publié en septembre 2008, Frédéric Lordon livrait une analyse passionnante des mécanismes de la crise. Dans « La crise de trop », il affine son analyse et développe ses propositions.
Les causes de la crise
Pour l’auteur, il y a deux raisons principales à la crise économique que nous traversons, deux contraintes à laquelle nos économies se sont soumises, « celle de la finance, qui exige la rentabilité actionnariale, et celle de la concurrence qui veut la compétitivité-prix, qui ont écrasé les salaires et fait exploser les inégalités ». Une analyse proche de celle de Robert Reich dans « Supercapitalisme ».
Il souligne que « l’origine réelle (de la crise), c’est l’insuffisance des salaires » et demande si « les ménages se seraient endettés pour le plaisir ? Ou plutôt parce que l’évolution de leur revenu ne leur laissait pas d’autre choix ? » Il parle à raison d’un « capitalisme à basse pression salariale » et montre que cette basse pression épargne le 1% de la population qui a vu ses revenus fortement progresser (+19% de 1998 à 2006 selon Camille Landais et même +32% pour 0,1% de la population, contre 4% pour 90% de la population).
Frédéric Lordon souligne aussi la responsabilité de l’administration Clinton, qui a abrogé le Glass Steagall Act, qui limitait la concentration bancaire. Il souligne le comportement indécent des banques, en citant l’exemple de Merrill Lynch, dont le président n’a pas hésité à distribuer plus de 4 milliards de dollars de bonus avant sa reprise par Bank of America, alors que l’Etat fournissait 20 milliards d’aides publiques. Il rappelle que même The Economist avait alors parlé de « racket » et « pillage »…
La responsabilité des politiques
Surprise, Frédéric Lordon exonère les banquiers de toute responsabilité. Pour lui, ils profitent du système que les politiques ont bien voulu construire. Il souligne que « la crise n’est pas simplement financière » et vient des structures économiques que les gouvernements ont construites depuis des années. Pour lui, « lorsque les structures sont installées, il ne faut pas s’étonner que les agents qui y sont plongés se comportent comme ces structures les déterminent ou les autorisent à se comporter ».
Il souligne que « les Etats ont été les instituteurs des marchés, et que la mondialisation, qui a si dramatiquement restreint la marge de manœuvre des politiques publiques, a été le fait d’autres politiques publiques ». Suit une critique radicale et virulente de ce qu’il appelle « le socialisme de gouvernement », qui est un responsable majeur de la déréglementation. Il dénonce de manière croustillante les éditorialistes schizophrènes du Monde et de Libération ainsi que les dirigeants socialistes.
La chronologie est édifiante. En 1986, Pierre Bérégovoy présente la loi de déréglementation des marchés financiers. En 1988, la directive Delors-Lamy vise à réaliser la pleine mobilité des capitaux, faisant « du marché financier européen un terrain vague de la finance, ouvert à tous les vents ». Il cite la baisse de la fiscalité sur les revenus du capital (Bérégovoy, 1990), le régime fiscal favorable des stock-options (Strauss-Kahn, 1998) ou l’épargne salariale (Fabius, 2001)…
Il attaque également le rapport Attali, promoteur « d’une concurrence efficace et un système financier capable d’attirer du capital ». Il proposait « d’harmoniser les réglementations financières et boursières avec celles applicable au Royaume-Uni pour ne pas handicaper les acteurs français » et de « modifier la composition des commissions et des collèges de régulateurs pour que les champions de la finance puissent s’exprimer et influencer la position du Haut Comité de place ».
La mondialisation en cause
« En appeler au gouvernement mondial est le plus sûr moyen d’avoir la paix – entendre : pas de gouvernement du tout » : Frédéric Lordon décrit bien l’impasse des solutions globales, qui n’ont jamais fait autre chose que pousser l’agenda néolibéral. Il souligne sa proximité avec Joseph Stiglitz en affirmant que « la mondialisation a précisément eu pour effet de redéployer les marchés à l’échelle mondiale, c’est-à-dire dans un environnement de faible densité institutionnelle ».
Pour lui, les marchés financiers sont l’exemple le plus pur du marché libéralisé, avec toutes les conséquences que cela a pu avoir. Selon lui, il manque « une authentique communauté politique constituée » qui pourrait réguler le marché. Les Etats-nations sont donc une solution mais il croit également à une solution européenne, même s’il reconnaît que l’Europe actuelle fait plus partie du problème que de la solution. Il voit cependant dans les violations récentes et répétées des traités un motif d’espoir.
Il attaque les commissaires qui lui font « penser à des témoins de Jéhovah, qui préfèrent laisser mourir plutôt que d’offenser leurs interdits de la transfusion ». Il qualifie la Commission de « nuisible » soulignant qu’elle veut « couper une jambe aux banques au moment où l’on voudrait qu’elles marchent à nouveau ». Mordant, il parle de son « délire » qui reviendrait à « arrêter une ambulance parce qu’elle vient de passer à l’orange en se rendant sur une scène de carambolage ». Pour lui, « la Commission a perdu tout sens commun ».
L’analyse de Frédéric Lordon a le don d’être intellectuellement passionnante mais elle est également distrayante à lire, comme le montre les dernières citations qui donnent un piment bien agréable à la lecture.
Source : « La crise de trop », Frédéric Lordon, Fayard, texte publié en octobre 2009
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