Jacques Généreux conte la grande régression économique
L’économiste du Parti de Gauche, qui a longtemps officié au Parti Socialiste, a publié il y a quelques mois « la Grande Régression », une synthèse abordable de sa pensée et des nombreux ouvrages qu’il a pu publier (et notamment « La dissociété », dont j’avais écrit une revue en trois parties).
Le procès de la libéralisation
Comme avec Jacques Sapir, l’intérêt de l’analyse de Jacques Généreux est qu’elle est systémique, prenant en compte la libéralisation du commerce et de la finance. Mais si le premier y ajoute une dimension plus historique, le second y ajoute une analyse plus psychologique et philosophique, sur laquelle je reviendrai demain. Au global, les analyses des deux auteurs sont extrêmement proches. Ils mettent tous les deux en cause la libéralisation généralisée de l’économie depuis les années 1970.
Pour lui, les pays du Nord « ont placé leurs propres travailleurs en état de guerre économique (…) ; ils ont restauré les pleins pouvoirs du capital en déréglementant les transactions financières et en étendant le principe du libre-échange ». « En instituant une libre concurrence entre des pays où les standards de rémunération, de droits sociaux, de sécurité sociale et d’imposition des revenus sont très différents, la généralisation du libre-échange ne peut avoir d’autre effet ni d’autre but que de miner la compétitivité de ceux qui ont les standards les plus élevés ».
Il critique la libéralisation des mouvements de capitaux, et souligne « qu’un marché où la compétition est sans limites n’institue pas un doux commerce profitable à tous les hommes, mais une guerre impitoyable où les gagnants accumulent toujours plus de moyens pour renforcer leur domination ». Il critique un système où l’on oppose « les poids mouches aux super-welters ». Pour lui, « ce que le capitaliste revendique en réalité, dans son appel au marché libre, c’est la liberté d’agir à sa guise pour dominer tous ses concurrents au sens large, c’est à dire tous ceux qui se mettent en travers de sa course au profit ». En fait, « la libre concurrence susceptible de menacer les profits est en même temps l’outil nécessaire à l’élimination de la concurrence, car elle n’est au fond que la loi du plus fort qui élimine les plus faibles ».
Il dénonce également les inégalités entre une Bourse « sangsue qui pompe bien plus de revenus aux entreprises qu’elle ne leur fournit de capitaux propres » mais aussi les inégalités de revenus en soulignant qu’à un certain niveau, elles ont un effet démobilisateur pour la majorité de la population. Il critique vertement le modèle étasunien, sa violence, sa pauvreté et souligne qu’au contraire, ce sont nos services publics qui font que la France attire toujours autant de capitaux.
Un processus historique
Jacques Généreux synthétise les mouvements de l’histoire ainsi : « la phase précédant la Grande Régression avait enclenché une dialectique positive dans laquelle le capitalisme s’adaptait aux exigences de la société. La contre-révolution néolibérale des années 1980 a mis ce moteur dialectique en marche arrière, contraignant désormais la société à s’adapter continuellement aux exigences toujours plus hautes du capital ». Puis il s’attarde un peu plus longuement sur la crise que nous traversons.
Il souligne justement que les attaques contre quelques capitalistes (Madoff, Kerviel ) sont surtout un moyen « d’épargner le capitalisme ». Il montre que plus qu’une régulation de la finance, c’est à une « régulation des Etats conforme aux attentes des marchés financiers » que l’on assiste. Il note que « la capacité de notre société à survivre à une crise mondiale de la finance affaiblit la contestation du système fauteur de crise », indiquant la victoire de la lecture néolibérale de la crise.
Il souligne les dangers de la couverture des risques, qui distord les intérêts des banques : « imaginez que vous puissiez vous assurer contre le risque d’incendie non seulement chez vous, mais aussi chez n’importe qui : voilà de quoi susciter des vocations de pyromanes ! ». Il rappelle que la baisse du pouvoir d’achat a été compensée par l’endettement des ménages. Enfin, il attaque le plan européen « d’aide » à la Grèce en disant qu’il revient à « pratiquer une saignée sur un patient en pleine hémorragie ».
Ce nouveau livre de Jacques Généreux a l’intérêt de représenter une synthèse extrêmement bien balancée des carences de notre système actuel. Demain, j’étudierai son volet sociétal.
Source : Jacques Généreux, « La grande régression », Seuil, texte publié en juin 2011
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