dimanche 25 septembre 2011
Jacques Généreux conte la grande régression de nos sociétés
Outre une synthèse utile de la grande régression économique qui touche nos pays dits développés, Jacques Généreux développe également une analyse plus sociétale et politique de cette crise, en proposant une synthèse actualisée de sa thèse de « La dissociété ».
Jacques Généreux avait déjà beaucoup développé la question idéologique dans « La dissociété », expliquant la montée du néolibéralisme au tournant du siècle dernier. Il revient sur ce paradoxe qui veut que « tandis qu’une minorité semble profiter outrageusement d’une dynamique destructrice pour la vie du plus grand nombre, aucune force politique majoritaire n’émerge pour imposer une autre voie ». Pour lui, la société néolibérale secrète les ferments de son maintien.
Tout d’abord, elle parvient à faire passer l’idée qu’il n’y a pas d’autres politiques possibles. Ensuite, il faut déplacer le débat. Pour lui « plus on entend livrer une société à la libre compétition des intérêts privés, plus on doit se préparer à contenir les conflits et la violence par des normes sociales et des institutions répressives ». Et donc, pour Jacques Généreux, cela conduit à une poussée identitaire et conservatrice, puis un rejet de l’autre et notamment de l’étranger.
Mais l’auteur complète son analyse en montrant que le libertarisme économique s’appuie sur une poussée libertaire plus générale. Il souligne « qu’à la fin des années 1970, hormis quelques philosophes et écologistes, personne n’a la hantise d’une société trop libérale ou d’un excès d’individualisme ». Pour lui, « la grande régression pousse d’abord à leurs limites les traits libertaires de la modernité pour n’instaurer, finalement qu’une nouvelle aliénation ».
Jacques Généreux en profite pour revenir à sa théorie d’organisation des sociétés, cœur de « La dissociété » qui distingue « dissociété individualiste », « dissociété communautariste », « hypersociété » et « société de progrès humain » en fonction des liens intra et intercommunautaires. Il y voit une cause de la permissivité et du manque d’éducation des enfants, du délitement de l’école républicaine et de la violence. Pour lui, le néolibéralisme ignore la nature profonde de l’homme, être social.
Il conteste fermement le « mythe des marges de manœuvres disparues » car pour lui, « la mise en œuvre des réformes néolibérales ne manifeste aucune défaite du politique, mais bien au contraire, la victoire durable d’une politique ». Il utilise une image assez spectaculaire : « on voudrait nous suggérer que nous n’avons plus de bras, jusqu’à nous faire oublier la scie qui est en train de nous amputer » et critique fortement l’Europe, parlant même de « soft fascisme » au sujet du TCE.
Pour lui « la fonction politique fondamentale d’une extension globale et d’une intensification locale de la compétition : contourner et finalement abolir le débat démocratique en instituant des conduites à sens unique imposées par une nécessité artificielle de survivre à la compétition ». En 5 ans, Jacques Généreux est devenu plus critique vis-à-vis de ses anciens camarades socialistes, « pseudo-progressistes » qui « dénoncent des symptômes mais pas la maladie ».
Il dénonce une gauche qui « cherche d’abord à gagner des élections », qui « est devenue la championne de l’inconsistance idéologique et a perdu la confiance des classes populaires ». En revanche, quand il soutient que la doxa néolibérale a perdu de sa vigueur à la fin des années 1990, il omet le débat sur « l’autre politique », porté par Philippe Séguin et Jean-Pierre Chevènement, les éclaireurs politiques de la pensée politique alternative dont il fait partie.
Malgré quelques petits bémols, ce livre est une bonne synthèse, très différente de celle de Jacques Sapir, plus sociétale et psychologisante. En outre, il permet d’accéder dans une version simplifiée et plus grand public à la pensée très intéressante de Jacques Généreux.
Source : Jacques Généreux, « La grande régression », Seuil, texte publié en juin 2011
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