Jean-Claude Michéa critique le néolibéralisme
Publié quelques mois après « La dissociété » de Jacques Généreux, « L’empire du moindre mal » du philosophe Jean-Claude Michéa, présente une opinion très proche, dans un livre plus court et naturellement centré sur l’analyse philosophique.
C’est ainsi que l’auteur souligne que « c’est vraisemblablement cette hantise de la guerre civile qui explique, en premier lieu, les raisons pour lesquelles les philosophes du 17ème et 18ème siècle décrivent presque toujours leur « état de nature » comme un état où règnerait nécessairement la guerre de tous contre tous ». Jean-Claude Michéa soutient que cela a favorisé « la guerre de l’homme contre la nature, conduite avec les armes de la science et de la technologie, guerre de substitution (…) à la guerre de l’homme contre l’homme ». Cela explique, comme le souligne Benjamin Constant, que « le but des modernes est la sécurité dans les jouissances privées ». La pensée libérale prend sa source dans une vision très noire de l’homme « incapable de vrai et de bien », selon Pascal ou « libre que pour le mal » pour Luther.
Le problème est que cette vision terrifiante de l’homme influence logiquement le cadre nécessaire pour permettre la vie en société. Les deux piliers en sont le Marché, qui doit apporter une abondance de biens par le « doux commerce » et le Droit, qui assurera « l’ordre et l’harmonie politiques nécessaires, sans qu’il n’y ait plus jamais lieu de faire appel à la vertu des sujets ». C’est donc à un projet de société sans valeurs et finalement très peu politique que le libéralisme appelle, un simple « modus vivendi ». Jean-Claude Michéa fait alors un parallèle très intéressant avec la construction européenne, qui se place complètement dans la droite ligne de la philosophie libérale en bâtissant un marché commun et ouvert et un espace de Droit.
L’auteur souligne bien à quel point cette construction est réductrice parce qu’elle repose « sur l’idée que l’avenir de l’humanité n’est lisible qu’à partir des seules contraintes de la croissance économique, elle-même dépendante du progrès incessant des nouvelles technologies ». Il souligne que le PIB est un indicateur bien limité pour mesurer la bonne marche d’une société et cite un large extrait d’un discours de Robert Kennedy en 1968, soulignant que « notre PIB prend en compte, sans ses calculs, la pollution de l’air, la publicité pour le tabac (…) la destruction de nos forêts (…) la production de napalm. En revanche, il ne tient pas compte de la santé de nos enfants, de la qualité de leur éduction (…) En un mot, le PIB mesure tout, sauf ce qui fait que la vie vaut la peine d’être vécue ».
Comme Jacques Généreux, il souligne que le système néolibéral a réussi à mettre en place un système « d’alternance unique ». Il souligne le paradoxe du raisonnement de ses apôtres qui « exhortent inlassablement les classes populaires à adapter leurs mentalités archaïques au monde » alors qu’ils soutiennent qu’il n’y a pas d’autre solution que celle qu’ils proposent, solution qui serait donc aussi immuable que les mentalités des peuples… La gauche en prend pour son grade, elle qui a substitué la lutte des classes par un « anti-racisme » soutenu par le show biz et les médias. L’auteur reprend même une attaque très dure de Christopher Lasch : « la gauche a trop souvent servi de refuge à ceux que terrifiait la vie intérieure », qui « provoque un besoin de chercher à tout prix une explication purement sociologique à l’ensemble des comportements humains ».
L’auteur remet en cause le postulat néolibéral d’égoïsme naturel de l’homme et s’appuie sur de nombreux travaux sociologiques et souligne que la philosophie chinoise valorise davantage les relations entre individus. Heureusement, comme le dit Georges Orwell « mon principal motif d’espoir pour l’avenir tient au fait que les gens ordinaires sont toujours restés fidèles à leur code moral ». Il évoque lui aussi « la souffrance psychologique permanente des individus », conséquence de cette société dure et guerrière. Lui aussi souligne que les présupposés pessimistes et l’irréalisme de la pensée libérale, et plus encore néolibérale, finissent par rejaillir sur la société « malgré la fâcheuse obstination des gens ordinaires à vouloir rester humains ».
« L’empire du moindre mal » apporte également une contribution majeure à la réflexion sur nos sociétés, leur sens et la direction qu’elles prennent. Dans un format beaucoup plus court et plus philosophique (et donc un peu moins facile d’accès) que « La dissociété », un livre essentiel.
Source : « L’empire du moindre mal », Jean-Claude Michéa, Climats, texte publié en juillet 2008
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