dimanche 25 septembre 2011
Jean-Luc Gréau contre le néolibéralisme
Après « L’avenir du capitalisme », où il annonçait, dès 2005, le risque d’une crise financière et prenait position pour une meilleure régulation des échanges commerciaux, Jean-Luc Gréau revient avec un nouvel opus où il règle ses comptes avec la pensée néolibérale avec brio.
Jean-Luc Gréau n’est pas content, et cela fait plaisir à lire ! C’est avec un talent de conteur inédit qu’il décide de s’attaquer aux idées reçues de notre époque. La première à subir un sort est le modèle de développement des pays asiatiques, dont il souligne qu’ils combinent « des marchés intérieurs fermés aux biens de consommation étrangers et des productions nationales tournées vers l’exportation ». Ce modèle, inventé par le Japon, puis copié par la Corée, Taiwan ou maintenant la Chine, assure un développement économique par l’association du protectionnisme et du libre-échange des autres pays…
Il s’attaque ensuite à la théorie qui supporte le libre-échange en ridiculisant littéralement la pensée (datée) de Ricardo. Il montre bien qu’en dehors des matières premières, la théorie des avantages comparatifs ne fonctionne pas car « lorsqu’ils existent, (ils) ne sont pas attribués une fois pour toutes » comme le montre l’ascension de la Chine dans les produits électroniques. En outre, il souligne les dangers qu’une spécialisation à outrance ferait finalement peser sur la concurrence… Enfin, il fait un sort à l’idée de société post-industrielle en soulignant que la consommation de produits industriels tient mieux que la production.
Jean-Luc Gréau s’attaque ensuite au mythe d’une France en faillite. Il explique comment nous sommes passée de 21 à 65% du PIB de dette depuis 1980 mais tempère le jugement des cassandres en soulignant que, comme le Japon, nous ne sommes pas endettés vis-à-vis de l’étranger, au contraire des Etats-Unis. Il souligne le rôle de la baisse de l’inflation dans la hausse de la dette, du fait de la hausse brutale induite des taux et accuse clairement le passage à l’euro puisque notre dette a bondi de 32 à 58% du PIB de 1992 à 1998. Il attaque également le gouvernement Jospin, qui a dilapidé les fruits de la croissance.
Enfin, lors d’une passionnante rétrospective de l’histoire des banques centrales, il s’en prend à leur indépendance en soulignant ce que les deux cas particuliers doivent à l’histoire : aux Etats-Unis, ce sont les banques privées qui ont constitué la Fed en 1913, et l’Allemagne a subi un épisode hyper inflationniste douloureux. Il souligne que leur indépendance n’a pas assuré un moindre dérapage inflationniste dans les années 70 et que ce sont les politiques qui ont vaincu l’inflation dans les années 80. Il dénonce en outre la dérive actuelle de banques qui semblent surtout soucieuses de protéger la valeur des actifs financiers.
Après ce florilège réjouissant, Jean-Luc Gréau reprend sa mission de démontage des limites du système économique actuel. Il rappelle rapidement que la libéralisation financière associée à la libéralisation du commerce pousse à une déflation salariale par la recherche du coût du travail le moins cher possible, « déconnectant alors la rémunération du travail de la productivité ». Il montre alors comment cette déflation salariale a été compensée dans certains pays par l’explosion de l’endettement, notamment aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne, où les ménages sont endettés à hauteur de 100% du PIB (+ 30 points en dix ans).
Il évoque ensuite naturellement la première partie de la crise des subprimes (le livre a été écrit au printemps 2008) comme un roman, démontant l’ensemble des mécanismes qui ont abouti au désastre actuel, soulignant le rôle de l’effet de levier et attribuant la crise à un « krach du crédit ». Il dénonce la titrisation des créances des banques, qui « constitue un reniement du métier traditionnel du banquier » et souligne les excès de la spéculation, qui fait qu’un baril de pétrole peut être échangé 480 fois avant d’être livré…
Il attaque un monde où « les innovateurs de tout poil de la nouvelle finance cherchent à disséminer les risques qu’ils démultiplient par leurs innovations ». Il attaque également les hedge funds, dont Charlie McCreevy, commissaire européen estimait en juin 2007 qu’ils « faisaient du bon travail » et que « si des règles devaient leur être appliquées, il appartenait aux gérants des fonds d’en décider ». Enfin, il revient sur son jugement très positif des Private Equity de son dernier livre pour souligner leurs limites. Il conclut malheureusement sur le fait que le système est en train de se sauver par des injections massives d’argent.
Ecrit au printemps 2008, ce livre ne prend pas en compte l’accélération terrible de la crise de l’automne dernier. En revanche, on peut dire qu’il l’anticipe quelque peu quand l’auteur affirme « qu’il suffirait qu’un risque systémique se matérialise pour que les prêteurs jusqu’ici complaisants rétablissent des primes de risque » pour les emprunts d’Etat, ce qui s’est vérifié. De même il souligne que la crise va remettre en cause « le courant vigoureux d’exportations de biens d’équipement qui a sauvé d’un marasme total les économies allemandes et japonaises » : leur production industrielle est en baisse de 15 et 20% fin décembre…
L’auteur est un peu plus court sur les solutions à apporter. Il détaille en revanche davantage sa proposition de protectionnisme européen en recommandant la mise en place de tarifs proportionnels à l’écart de salaires avec le pays concerné, sur le modèle de ce qui existe sur les vélos, où plus de 60% de notre consommation est produite localement. Il prend l’exemple de la Suède jugeant la stabilité du capital de ses entreprises, sa stricte régulation financière et son indépendance monétaire comme des atouts essentiels. Il conclut par sept propositions intéressantes pour sortir l’Europe de l’impasse néolibérale.
Avec ce nouveau livre, Jean-Luc Gréau confirme son statut d’économiste alternatif. Il démontre, avec un brio inédit qu’il est aujourd’hui un des meilleurs critiques des dérives néolibérales, tant par la force de ses arguments, très bien illustrés, qu’un talent, nouveau, de conteur.
Source : Jean-Luc Gréau, « La trahison des économistes », Gallimard, texte publié en janvier 2009
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