dimanche 18 septembre 2011
La critique économique de la dissociété par Jacques Généreux
Jacques Généreux est un économiste, professeur à Sciences Po, engagé au Parti Socialiste qui s’est fait connaître d’un plus large public par sa participation à la campagne contre le Traité Constitutionnel Européenne. Il a écrit en 2006 « La dissociété », un livre qui analyse les causes et conséquences de la montée du néolibéralisme. Voici un résumé de sa partie consacrée à l’économie.
L’un des premiers postulats du livre est très intéressant : « l’idée d’un pouvoir politique débordé par l’élargissement de l’espace et du pouvoir de l’économie mondiale est une idée fausse (…) elle en est l’effet délibérément choisi ». Contrairement à ce que véhiculent la plupart des politiques et des médias, le mouvement d’ouverture des frontières et des marchés est un choix politique. Jacques Généreux explique que les Etats ont choisi de davantage intervenir pour résoudre la grave crise des années 30 mais que la crise consécutive aux chocs pétroliers a décrédibilisé l’intervention publique et a permis une victoire politique du néolibéralisme dans la plupart des pays occidentaux.
Et pour chercher la preuve que ce choix est bien politique, il traverse l’Atlantique. Et oui, la meilleure preuve vient des Etats-Unis, qui continuent allégrement à utiliser l’intégralité de la panoplie keynésienne pour soutenir leur activité. C’est ainsi que la Banque Centrale intervient vigoureusement pour prévenir toute récession (début des années 90, après l’éclatement de la bulle Internet, encore aujourd’hui). L’Etat n’hésite pas également à utiliser la relance budgétaire de manière massive (sous Reagan et Bush). Les Etats-Unis utilisent également tous les outils de la politique industrielle : protectionnisme (on peut penser au dernier contrat Airbus annulé), protection des PME ou constitution de champions nationaux. Il conclut que « Les Etats Unis ont d’autant plus intérêt à l’extension d’une guerre économique mondiale que leurs principaux concurrents européens acceptent de mener celle-ci à mains nues ».
Jacques Généreux se montre extrêmement critique à l’égard de la marche actuelle de l’Europe. Il soutient que le projet européen a pris une mauvaise direction en 1986 avec l’Acte Unique depuis lequel « la concurrence fiscale et le dumping social tendent à l’emporter sur la coopération ». Il soutient que depuis vingt ans, il ne consiste qu’à uniformiser et ouvrir le marché européen, y compris à toutes les importations. Résultat, le moins disant (fiscal, social, environnemental) se retrouve avantagé, ce qui pousse à une baisse de la fiscalité sur tous les agents économiques mobiles (hauts revenus, entreprises…), au détriment de la collectivité. Le paradoxe est « que les compétiteurs les plus puissants (autres grands pays) n’hésitent pas une seconde à mobiliser tous les instruments de la puissance publique pour soutenir leur économie ».
Jacques Généreux y voit surtout « un moyen de diluer le pouvoir des nations ».
Résultat, pour l’auteur, cette organisation d’une guerre économique sans limites provoque « la mutation du citoyen en guerrier ». Il affirme qu’ « une société qui dit à ses enfants que la vie n’est pas une entreprise collective mais une compétition individuelle permanente récolte ce qu’elle a semé : des jeunes qui se battent les uns contre les autres ». Il soutient « que les sociétés de marché contemporaines sont restructurées en ‘dissociétés’, réseaux d’individus atomisés, où les sentiments de solitude, d’incertitude et d’urgence permanente se conjuguent pour annihiler non seulement la possibilité, mais surtout le désir de s’insurger ». Il soutient que la violence de la guerre économique se reflète dans le comportement des individus qui se trouvent contraints d’abandonner la coopération pour combattre leurs semblables.
Si j’adhère en partie à ce discours, l’auteur tombe souvent dans l’outrance. Sa description du monde de l’entreprise, qu’il connaît mal, est très dure et pas assez nuancée. Il va trop beaucoup trop loin en expliquant que « sans la pénalisation systématique et accrue des délits mineurs, les Etats-Unis auraient connu un taux de chômage comparable à ceux de l’Union Européenne » ou en qualifiant brièvement le régime en place de « fascisme libéral ». La présentation de la vie politique Française est biaisée jusqu’à l’absurde puisque le gouvernement Jospin (qui a plus privatisé que quiconque ou accepté les décrets européens de mise en concurrence des services publics) n’est jamais critiqué. Par contre, la présentation de Jacques Chirac confine au ridicule puisqu’il aurait mis en place « le programme de l’extrême droite du patronat », oubliant les coups de pouce au SMIC, le logement social (en jachère sous Jospin), ou les lois sur les handicapés…
Malgré ces limites non négligeables et assez fréquentes, le constat global reste particulièrement intéressant et recommandable. Demain, je traiterai la partie plus philosophique.
Source : « La dissociété », Jacques Généreux, Seuil, texte publié en juillet 2008
L’un des premiers postulats du livre est très intéressant : « l’idée d’un pouvoir politique débordé par l’élargissement de l’espace et du pouvoir de l’économie mondiale est une idée fausse (…) elle en est l’effet délibérément choisi ». Contrairement à ce que véhiculent la plupart des politiques et des médias, le mouvement d’ouverture des frontières et des marchés est un choix politique. Jacques Généreux explique que les Etats ont choisi de davantage intervenir pour résoudre la grave crise des années 30 mais que la crise consécutive aux chocs pétroliers a décrédibilisé l’intervention publique et a permis une victoire politique du néolibéralisme dans la plupart des pays occidentaux.
Et pour chercher la preuve que ce choix est bien politique, il traverse l’Atlantique. Et oui, la meilleure preuve vient des Etats-Unis, qui continuent allégrement à utiliser l’intégralité de la panoplie keynésienne pour soutenir leur activité. C’est ainsi que la Banque Centrale intervient vigoureusement pour prévenir toute récession (début des années 90, après l’éclatement de la bulle Internet, encore aujourd’hui). L’Etat n’hésite pas également à utiliser la relance budgétaire de manière massive (sous Reagan et Bush). Les Etats-Unis utilisent également tous les outils de la politique industrielle : protectionnisme (on peut penser au dernier contrat Airbus annulé), protection des PME ou constitution de champions nationaux. Il conclut que « Les Etats Unis ont d’autant plus intérêt à l’extension d’une guerre économique mondiale que leurs principaux concurrents européens acceptent de mener celle-ci à mains nues ».
Jacques Généreux se montre extrêmement critique à l’égard de la marche actuelle de l’Europe. Il soutient que le projet européen a pris une mauvaise direction en 1986 avec l’Acte Unique depuis lequel « la concurrence fiscale et le dumping social tendent à l’emporter sur la coopération ». Il soutient que depuis vingt ans, il ne consiste qu’à uniformiser et ouvrir le marché européen, y compris à toutes les importations. Résultat, le moins disant (fiscal, social, environnemental) se retrouve avantagé, ce qui pousse à une baisse de la fiscalité sur tous les agents économiques mobiles (hauts revenus, entreprises…), au détriment de la collectivité. Le paradoxe est « que les compétiteurs les plus puissants (autres grands pays) n’hésitent pas une seconde à mobiliser tous les instruments de la puissance publique pour soutenir leur économie ».
Jacques Généreux y voit surtout « un moyen de diluer le pouvoir des nations ».
Résultat, pour l’auteur, cette organisation d’une guerre économique sans limites provoque « la mutation du citoyen en guerrier ». Il affirme qu’ « une société qui dit à ses enfants que la vie n’est pas une entreprise collective mais une compétition individuelle permanente récolte ce qu’elle a semé : des jeunes qui se battent les uns contre les autres ». Il soutient « que les sociétés de marché contemporaines sont restructurées en ‘dissociétés’, réseaux d’individus atomisés, où les sentiments de solitude, d’incertitude et d’urgence permanente se conjuguent pour annihiler non seulement la possibilité, mais surtout le désir de s’insurger ». Il soutient que la violence de la guerre économique se reflète dans le comportement des individus qui se trouvent contraints d’abandonner la coopération pour combattre leurs semblables.
Si j’adhère en partie à ce discours, l’auteur tombe souvent dans l’outrance. Sa description du monde de l’entreprise, qu’il connaît mal, est très dure et pas assez nuancée. Il va trop beaucoup trop loin en expliquant que « sans la pénalisation systématique et accrue des délits mineurs, les Etats-Unis auraient connu un taux de chômage comparable à ceux de l’Union Européenne » ou en qualifiant brièvement le régime en place de « fascisme libéral ». La présentation de la vie politique Française est biaisée jusqu’à l’absurde puisque le gouvernement Jospin (qui a plus privatisé que quiconque ou accepté les décrets européens de mise en concurrence des services publics) n’est jamais critiqué. Par contre, la présentation de Jacques Chirac confine au ridicule puisqu’il aurait mis en place « le programme de l’extrême droite du patronat », oubliant les coups de pouce au SMIC, le logement social (en jachère sous Jospin), ou les lois sur les handicapés…
Malgré ces limites non négligeables et assez fréquentes, le constat global reste particulièrement intéressant et recommandable. Demain, je traiterai la partie plus philosophique.
Source : « La dissociété », Jacques Généreux, Seuil, texte publié en juillet 2008
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