dimanche 18 septembre 2011
La critique philosophique de la dissociété par Jacques Généreux
Dans un second temps, Jacques Généreux prend davantage de recul et poursuit sa réflexion d’un point de vue plus philosophique. Il propose une analyse passionnante des philosophies politiques depuis le 16ème siècle pour remettre en perspective l’évolution actuelle.
L’auteur commence sa démonstration en analysant la nature profonde de l’homme. Il soutient que « la nature humaine est faite de l’interaction continue entre une aspiration à l’autonomie et une aspiration à l’association, entre la pulsion d’autosatisfaction et le désir de société, (…) le désir d’être soi et le désir d’être avec ». Il dénonce « le délire fusionnel noyant l’individu dans le tout social » et le « délire narcissique exaltant l’autonomie et la toute-puissance du moi ». Pour lui, l’homme ne peut s’épanouir que dans un équilibre de son être soi et son être avec et un déséquilibre en faveur de l’un ou l’autre revient à une « mutilation » de son moi profond. Il définit la notion d’hypersociété (totalitaire), qui « est une société qui hypertrophie l’être avec au point de réprimer l’être soi » et la dissociété (néolibérale) « société qui réprime ou mutile le désir d’être avec pour imposer la domination du désir d’être soi ».
La dissociété revient à dissocier ses deux aspirations et à enfler le désir d’être soi et étouffer le désir d’être avec en isolant les individus et en exacerbant leur rivalité. C’est pour lui le cas de la société ultralibéral qui a tendance à négliger le désir d’être avec des hommes et qui les réduit à leur quête solitaire de maximisation de leur bonheur personnel, ainsi que l’enseigne la microéconomie libérale. Pour lui, cela néglige l’altruisme naturel des hommes et leur volonté de coopération. De même, l’auteur soutient que l’idéologie libérale, tout comme l’idéologie marxiste, pêchent par excès de matérialisme en réduisant l’homme à un individu dont les attentes seraient purement matérielles et en oubliant des aspirations plus immatérielles, comme le lien social. La démonstration, un peu longue, pêche néanmoins par une présentation parfois très caricaturale de la vision ultralibérale, qui réduirait l’homme à un monstre égoïste et guerrier.
L’autre apport très intéressant de l’auteur est de souligner à quel point la philosophie libérale présuppose un homme naturellement égoïste et prédateur à l’égard des autres et pour laquelle le commerce doit adoucir les mœurs par le respect des règles qu’il présuppose et l’abondance qu’il doit créer. Il attribue cette vision assez négative de l’homme aux massacres religieux du 16ème siècle qui auraient montré, selon lui, les excès de l’idéologie collective, à laquelle le libéralisme répondra en mettant en avant l’individu que les lumières détacheront du fanatisme religieux et que le « doux commerce » détournera de ses excès. Il souligne qu’Adam Smith était un peu moins négatif et qu’il décrivait dans sa « Théorie des sentiments moraux » un être humain pas uniquement égoïste, mais empli de « sympathie et de désir d’approbation ».
Jacques Généreux date de la fin du 19ème siècle la dérive vers le néolibéralisme par la conjonction de deux phénomènes. D’une part, la théorie de l’évolution de Darwin a poussé à une lecture darwiniste de l’histoire pour laquelle la loi du plus fort serait la loi de la nature. À cela s’est ajouté le développement « d’une science mathématique de l’économie, qui entraîne le retour en force du postulat de l’égoïsme rationnel ». La mise en équation des aspirations de l’homme en a fait un individu complètement autonome et uniquement préoccupé par la satisfaction de ses besoins, l’être avec ne pouvant pas être mis en équation… Résultat, une nouvelle école s’est développée pour laquelle « laisser faire la compétition sauvage entre les hommes serait le meilleur moyen de les faire progresser vers les solutions les plus efficaces ». L’auteur souligne également l’irréalisme total des conditions pour aboutir à l’équilibre dans un marché concurrentiel.
Jacques Généreux consacre une (longue) partie de son livre à la critique des dix piliers du néolibéralisme. S’il gratifie le lecteur d’analyses très intéressantes, ce procédé est un peu artificiel puisque c’est lui qui a édicté ces dix piliers. Sa critique de certains présupposés outranciers comme « les individus préexistent à la société » n’apporte pas grand chose à l’analyse. En revanche, il montre la surprenante proximité du néolibéralisme et du marxisme, qui partagent de nombreux postulats (même vision pessimiste de l’homme, même rejet du politique, mal nécessaire à sa propre éradication ou rêve d’une société où l’essor de la production est le moyen de parvenir à une harmonie sociale). En fait, il soutient que ces deux idéologies font le même constat mais qu’elles divergent uniquement par les moyens à mettre en œuvre pour corriger ce constat (hypersociété ou dissociété).
À défaut de partager toutes les analyses de l’auteur, son raisonnement sur la nature de l’homme et les présupposés des grandes idéologies est très enrichissant. Demain, je finirai par la partie politique.
Source : « La dissociété », Jacques Généreux, Seuil, texte publié en juillet 2008
L’auteur commence sa démonstration en analysant la nature profonde de l’homme. Il soutient que « la nature humaine est faite de l’interaction continue entre une aspiration à l’autonomie et une aspiration à l’association, entre la pulsion d’autosatisfaction et le désir de société, (…) le désir d’être soi et le désir d’être avec ». Il dénonce « le délire fusionnel noyant l’individu dans le tout social » et le « délire narcissique exaltant l’autonomie et la toute-puissance du moi ». Pour lui, l’homme ne peut s’épanouir que dans un équilibre de son être soi et son être avec et un déséquilibre en faveur de l’un ou l’autre revient à une « mutilation » de son moi profond. Il définit la notion d’hypersociété (totalitaire), qui « est une société qui hypertrophie l’être avec au point de réprimer l’être soi » et la dissociété (néolibérale) « société qui réprime ou mutile le désir d’être avec pour imposer la domination du désir d’être soi ».
La dissociété revient à dissocier ses deux aspirations et à enfler le désir d’être soi et étouffer le désir d’être avec en isolant les individus et en exacerbant leur rivalité. C’est pour lui le cas de la société ultralibéral qui a tendance à négliger le désir d’être avec des hommes et qui les réduit à leur quête solitaire de maximisation de leur bonheur personnel, ainsi que l’enseigne la microéconomie libérale. Pour lui, cela néglige l’altruisme naturel des hommes et leur volonté de coopération. De même, l’auteur soutient que l’idéologie libérale, tout comme l’idéologie marxiste, pêchent par excès de matérialisme en réduisant l’homme à un individu dont les attentes seraient purement matérielles et en oubliant des aspirations plus immatérielles, comme le lien social. La démonstration, un peu longue, pêche néanmoins par une présentation parfois très caricaturale de la vision ultralibérale, qui réduirait l’homme à un monstre égoïste et guerrier.
L’autre apport très intéressant de l’auteur est de souligner à quel point la philosophie libérale présuppose un homme naturellement égoïste et prédateur à l’égard des autres et pour laquelle le commerce doit adoucir les mœurs par le respect des règles qu’il présuppose et l’abondance qu’il doit créer. Il attribue cette vision assez négative de l’homme aux massacres religieux du 16ème siècle qui auraient montré, selon lui, les excès de l’idéologie collective, à laquelle le libéralisme répondra en mettant en avant l’individu que les lumières détacheront du fanatisme religieux et que le « doux commerce » détournera de ses excès. Il souligne qu’Adam Smith était un peu moins négatif et qu’il décrivait dans sa « Théorie des sentiments moraux » un être humain pas uniquement égoïste, mais empli de « sympathie et de désir d’approbation ».
Jacques Généreux date de la fin du 19ème siècle la dérive vers le néolibéralisme par la conjonction de deux phénomènes. D’une part, la théorie de l’évolution de Darwin a poussé à une lecture darwiniste de l’histoire pour laquelle la loi du plus fort serait la loi de la nature. À cela s’est ajouté le développement « d’une science mathématique de l’économie, qui entraîne le retour en force du postulat de l’égoïsme rationnel ». La mise en équation des aspirations de l’homme en a fait un individu complètement autonome et uniquement préoccupé par la satisfaction de ses besoins, l’être avec ne pouvant pas être mis en équation… Résultat, une nouvelle école s’est développée pour laquelle « laisser faire la compétition sauvage entre les hommes serait le meilleur moyen de les faire progresser vers les solutions les plus efficaces ». L’auteur souligne également l’irréalisme total des conditions pour aboutir à l’équilibre dans un marché concurrentiel.
Jacques Généreux consacre une (longue) partie de son livre à la critique des dix piliers du néolibéralisme. S’il gratifie le lecteur d’analyses très intéressantes, ce procédé est un peu artificiel puisque c’est lui qui a édicté ces dix piliers. Sa critique de certains présupposés outranciers comme « les individus préexistent à la société » n’apporte pas grand chose à l’analyse. En revanche, il montre la surprenante proximité du néolibéralisme et du marxisme, qui partagent de nombreux postulats (même vision pessimiste de l’homme, même rejet du politique, mal nécessaire à sa propre éradication ou rêve d’une société où l’essor de la production est le moyen de parvenir à une harmonie sociale). En fait, il soutient que ces deux idéologies font le même constat mais qu’elles divergent uniquement par les moyens à mettre en œuvre pour corriger ce constat (hypersociété ou dissociété).
À défaut de partager toutes les analyses de l’auteur, son raisonnement sur la nature de l’homme et les présupposés des grandes idéologies est très enrichissant. Demain, je finirai par la partie politique.
Source : « La dissociété », Jacques Généreux, Seuil, texte publié en juillet 2008
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"L’autre apport très intéressant de l’auteur est de souligner à quel point la philosophie libérale présuppose un homme naturellement égoïste et prédateur à l’égard des autres et pour laquelle le commerce doit adoucir les mœurs par le respect des règles qu’il présuppose et l’abondance qu’il doit créer. "
RépondreSupprimerC'est extrêmement contestable et je n'hésiterai pas à dire carrément: faux. La vision libérale de l'Homme est à l'exact contraire: extrêmement optimiste, puisqu'elle suppose justement un Homme assez grand, assez indépendant d'esprit, pour s'autogérer, être libre (et économiquement libre via le jeu des échanges marchands), et donc, se passer d’État. L'Homo oeconomicus-libre et libéré des errements du politique: c'est du libéralisme dans le texte. Si tout le reste du livre est à l'avenant...
Le "libéralisme" n'est pas se "libérer" de l'Etat... mais se débarrasser de la tyrannie (de la toute puissance du roi).
SupprimerSe dégager de l'Etat, c'est une idéologie qui n'a rien à voir avec le libéralisme.
Le libéralisme, c'est au contraire vouloir vivre dans un Etat, où les citoyens ont des droits garantis (qui ne changent pas selon l'humeur du roi).
Par contre, les penseurs originels de libéralisme parlent bien de l'égoïsme qui produirait de la vertu (certains d'entre eux en tout cas).
Vous allez à l'encontre de tous les enseignements philosophiques (je m'empresse d'ajouter qu'il ne suffit pas de penser le contraire de tous pour avoir raison) : le libéralisme est une doctrine basée essentiellement sur l'égoisme supposée de l'homme. C'est en ce sens que c'est une idéologie pessimiste. Vous faites bien d'employer le conditionnel pour la prétendue production de vertus publiques à partir des vices privés !!!
SupprimerLa Théorie de l'Evolution n'a rien à voir avec ce que les libéraux lui font dire.
RépondreSupprimerCe n'est pas la théorie de Darwin qui a poussé à une lecture "darwiniste" de l'Histoire, ce sont les adeptes égocentrés du "chacun pour soi" qui ont projeté une idée fachiste de "loi de la jungle" sur la Théorie de l'Evolution ("loi de la jungle" qui est malgré son nom une projection anthropomorphique sur la nature).
Y'a une véritable inversion des sens... Le "darwanisme" n'est pas cette idée facho qu'il y a des forts et des faibles.
Des forts qui ont toutes les qualités et des faibles qui ont toutes les lacunes. Ça c'est précisément la vision facho que l'on projette sur la Théorie de l'Evolution.