L’analyse politique de Joseph Stiglitz
En fait, Joseph Stiglitz, bien qu’économiste et technicien, dresse finalement un constat très politique des erreurs du FMI. Il dénonce une vision trop abstraite et théorique de l’économie, à laquelle il oppose une vision plus humaine et pragmatique, à l’écoute des peuples.
Si l’auteur dénonce leur dogmatisme, il réfute de mauvaises intentions : « le FMI n’a jamais voulu nuire aux pauvres, il pensait que la politique qu’il préconisait leur serait en définitive profitable ». Il soutient cependant que la trop grande proximité des décideurs (FMI, banquiers, mais aussi ministres) avec la communauté financière, où certains ont travaillé, créé une trop grande uniformité de vue, et un dogmatisme qui s’expliquent aussi par la bulle dans laquelle ils vivent. Ce dogmatisme fait que « le FMI confond les fins et les moyens », que « libéraliser le système financier (devient) une fin en soi ». Et son expérience lui permet de montrer par de nombreux exemples comment le FMI se comporte de manière quasi-coloniale avec les pays qu’il aide, ne souffrant aucune remise en question ou adaptation de ses préconisations.
Le problème est que ces politiques ne se soucient absolument pas du facteur humain. Il souligne que « Wall Street considère l’inflation comme le pire des maux (alors) que le chômage, est, à ses yeux, infiniment moins préoccupant ». Pourtant, il montre bien que le développement économique suppose une stabilité sociale peu compatible avec les politiques du Fonds : « des études de la Banque Mondiale montrent que ces luttes intestines sont systématiquement liées à des facteurs économiques négatifs, dont le chômage, que peut induire une politique d’austérité trop poussée. Pour créer un environnement propice aux investissements, un peu d’inflation n’est peut-être pas l’idéal, mais la violence et la guerre civile sont bien pires ».
Il souligne aussi l’inhumanité de ces politiques : « tout impact négatif à court terme n’est pour eux qu’une épreuve nécessaire dans le cadre de ce processus : la forte hausse des taux d’intérêt peut aujourd’hui répandre la famine, mais la liberté des marchés est indispensable à l’efficacité, l’efficacité engendre la croissance, et la croissance profite à tous. La souffrance et la douleur deviennent des phases de la rédemption : elles prouvent qu’un pays est sur la bonne voie ». Il souligne le gâchis de ces véritables purges : « une économie frappée d’une récession profonde connaîtra peut-être une croissance plus rapide au moment de la reprise, mais elle ne rattrapera jamais le temps perdu ». Pire, il souligne l’absurdité de politiques restrictives que l’Occident a abandonnées depuis la Grande Dépression.
L’auteur souligne que « le problème, c’est que beaucoup de ces politiques sont devenues des fins en soi, non des moyens au service d’une croissance juste et durable. Dans ces conditions, elles ont été poussées trop loin, trop vite et sans être accompagnées d’autres mesures qui étaient nécessaires ». Par de nombreux exemples, il montre que le FMI a encouragé des privatisations trop rapides : « si l’on privatisait un monopole avant de mettre en place une concurrence réelle ou une agence de réglementation, on allait remplacer un monopole public par un monopole privé (…) encore plus impitoyable pour le consommateur ». Il souligne également l’importance de l’ouverture progressive au commerce, pour s’assurer que la création de nouveaux emplois compense ceux perdus par la libéralisation, comme en Asie du Sud-Est.
L’auteur consacre un chapitre entier à la transition calamiteuse de la Russie, en pronostiquant comme issue possible, dès 2002, « qu’un pouvoir semi autoritaire assurera la stabilité, mais au prix de la perte de certaines libertés démocratiques ». Il souligne que les « fanatiques du marché » qui ont conseillé la Russie n’ont prêté aucune attention à l’expérience chinoise, qui aurait dû inspirer des solutions beaucoup plus graduelles. Il montre que la libération instantanée des prix a engendré une hyperinflation qui a englouti l’épargne et appauvri la population puis entraîné une hausse des taux peu favorable à la création d’activité. Il note que les privatisations n’ont été qu’un « pillage d’actifs » par quelques oligarques qui avaient de bonnes relations. Résultat, le PIB russe a baissé de 54% de 1990 à 1999 et l’espérance de vie a reculé.
Se pose alors la question des raisons de ces erreurs. Il y voit la conséquence de l’opacité de ces organisations, ni élues ni « responsables devant le corps civique », qui « sont opaques, quasiment étanches : non seulement la circulation de l’information vers l’extérieur est très insuffisante, mais elle l’est peut-être encore plus dans l’autre sens ». Il fait un plaidoyer pour que « toute autorité publique soit responsable devant les citoyens » et propose que les pays émergents soient davantage associés à la définition des politiques suivies. Il affirme qu’aujourd’hui, « telle qu’on l’a préconisée, la mondialisation paraît souvent remplacer les dictatures des élites nationales par la dictature de la finance internationale » et recommande de confier les choix « au processus politique et non aux bureaucrates internationaux ».
L’un des apports majeurs de ce livre est de montrer comment des élites coupées de la réalité et non soumises à l’impératif démocratique, peuvent promouvoir des politiques volontiers inhumaines et inefficaces, par dogmatisme.
Source : « La Grande Désillusion », Joseph Stiglitz, Le Livre de Poche, texte publié en septembre 2008
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