Le capitalisme social du prix Nobel de la paix Muhammad Yunus
Par-delà les exemples parlants de la Graamen Bank et de tous ses développements, l’apport majeur de Muhammad Yunus est sa philosophie de la vie, positive, humaine, entreprenante et qui remet l’économie à sa place, à savoir un moyen et pas une fin.
Un libéral raisonné, raisonnable, et surtout humain
L’intérêt de la réflexion de Muhammad Yunus est qu’il s’agit de quelqu’un qui croît fondamentalement à l’économie de marché, notamment comme un moyen de sortir les pauvres de la misère mais qui en refuse les dérives théologiques des ultralibéraux. C’est ainsi que s’il reconnaît que la charité « convient aux situations de désastre » ou « pour ceux qui sont trop handicapés », il affirme « nous avons parfois tendance à nous reposer sur la charité » et que « l’aumône encourage davantage la dépendance que l’autonomie et la confiance ». C’est pourquoi « la Graamen Bank encourage à créer (des) fonds de sécurité plutôt qu’à compter sur les dons », y compris au Bangladesh, pays souvent ravagé par les inondations.
À la remise du prix Nobel de la paix, il affirmait être « favorable au renforcement de la liberté des marchés » mais « très mécontent des restrictions conceptuelles imposées aux acteurs du marché. Elles proviennent de l’hypothèse que les entrepreneurs sont des êtres humains unidimensionnels, qui se consacrent (…) à une seule mission : maximiser le profit. Cette interprétation du capitalisme isole les entrepreneurs de toutes les dimensions politiques, affectives, sociales, spirituelles, environnementales de leur vue. Elle a peut-être été conçue comme une simplification justifiée ; mais cette simplification fait abstraction de l’essence de la vie humaine. » Cette présentation rappelle beaucoup la « Dissociété » de Jacques Généreux.
À ce titre, il critique les inégalités d’un système, où, selon une étude des Nations Unies, les 1% les plus riches détiennent 40% des actifs mondiaux et les 10% les plus riches 85%. En fait, il montre que « les marchés libres ne sont pas conçus pour résoudre les problèmes sociaux » mais peuvent au contraire les exacerber, tout comme la globalisation. Il utilise alors une parabole où il compare le commerce mondial à une « autoroute à cent voies s’entrecroisant sur toute la surface du globe », où les camionnettes des petits entrepreneurs bangladais doivent affronter les camions géants des grandes puissances, ce qui nécessite une régulation équivalente à un code de la route, un encadrement du fonctionnement du capitalisme.
Des propositions concrètes : le social business
Donner accès au crédit aux plus pauvres devient alors une activité sociale car les conditions du marché sont trop restrictives. Il vante l’esprit d’initiative des pauvres et leur volonté de s’en sortir, soulignant les taux de remboursement de la Graamen Bank, souvent supérieurs à ceux des banques classiques. Il souligne ainsi qu’une activité rentable a pu être établie en prêtant aux plus pauvres, qui n’avaient pas accès au crédit auparavant. Ce manquement du marché démontre pour lui un disfonctionnement, qui ne peut être corrigé que par un « social business » comme Graamen Bank.
Pour lui, il n’y a guère d’espoir à avoir dans les entreprises traditionnelles où « la recherche du profit l’emporte toujours ». C’est pourquoi il propose la création de « social business », des entreprises dont l’objectif ne serait pas le profit (mais dont les comptes seraient équilibrés et qui s’autofinanceraient) mais dont les objectifs seraient avant tout sociaux ou environnementaux. Il soutient que beaucoup de gens pourraient préférer travailler dans de telles structures. Il appelle donc à leur développement, qui pourrait être financé par les mêmes personnes qui financent des associations. Il propose une cotation dans des bourses spécifiques et appelle le FMI et la Banque Mondiale à les aider.
Enfin, il pousse le vice jusqu’à suggérer aux Etats-Unis qu’un « social business » se voit confié la prise en charge de la couverture sociale des 47 millions de personnes qui en sont privées aujourd’hui. Au global, Yunus égratigne souvent les Etats-Unis, dont il dénonce les positions sur les accords de Kyoto, les plus de 500 milliards de dollars engloutis dans la guerre en Irak ou son protectionnisme commercial. En 2006, les 3,3 milliards d’exportations bangladaises ont ainsi généré autant de droits de douanes (500 millions) à Washington que les 54 milliards d’exportations du Royaume-Uni…
Ce livre est doublement enthousiasmant : par l’optimisme, l’humanisme et la volonté de s’en sortir de son auteur, pourtant issu d’un pays pauvre parmi les pauvres. Et il dessine également une possible alliance entre la vieille Europe (France, Allemagne) et la jeune Asie pour refonder le capitalisme.
Source : Vers un nouveau capitalisme, Muhammad Yunus, JC Lattès, texte publié en janvier 2009
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