Les paris du prix Nobel de la paix Muhammad Yunus
Il y a des livres qui marquent plus que d’autres. Celui du prix Nobel de la Paix 2006 Muhammad Yunus, l’inventeur du micro crédit au Bangladesh, fait partie des meilleurs livres d’économie politique que j’ai pu lire, un exemple d’humanisme que je conseille vivement.
La Graamen bank, la banque des pauvres
Muhammad Yunus vient du Bangladesh. Après avoir étudié puis enseigné l’économie aux Etats-Unis, il est revenu dans son pays natal en 1972 et s’est engagé dans la lutte contre la pauvreté. C’est en travaillant sur un programme d’irrigation qu’il a compris l’importance du crédit dans la lutte contre la pauvreté. Il cite le cas d’une femme, Sufiya Begum, qui « avait recours au prêteur local pour obtenir l’argent nécessaire à l’achat du bambou servant à fabriquer les tabourets. Mais le prêteur ne lui donnait de l’argent que si elle acceptait de lui vendre la totalité de sa production au prix qu’il fixerait », dans un « arrangement inéquitable ».
Dans le village de Jobra, il fit la liste de 42 personnes qui avaient emprunté 27 dollars et décida de récupérer leur créance. Il chercha à persuader les banques de prêter de l’argent aux pauvres, sans succès. Il se porta alors garant et fut stupéfié par le résultat : « les pauvres me remboursaient toujours, et toujours à temps ». Il créa alors une succursale avec une grande banque en 1977 avant de lancer en 1983 la Graamen Bank, qui prête aujourd’hui à 7 millions de pauvres, dont 97% de femmes, au Bangladesh. Depuis son ouverture, la banque a distribué pour 6 milliards de dollars de prêt et affiche un taux de remboursement de 98,6%.
Le développement de Graamen
Le prix Nobel de la paix explique que son projet dépasse le cadre étroit du simple financement. Il va bien au-delà en apportant un accompagnement aux emprunteurs. C’est ainsi qu’ils appartiennent à des groupes de 5 amis. Et pour obtenir un prêt, il leur faut obtenir l’accord des quatre autres. De même, une dizaine de groupes se réunissent chaque semaine au centre local de Graamen (il y en a 130 000 dans le pays) pour collecter les remboursements et discuter des nouvelles demandes de prêts. Le Chef du centre est élu démocratiquement et les membres doivent suivre seize résolutions, qui vont de recommandations liées à la santé à l’éducation des enfants.
Depuis, Graamen a considérablement développé son activité. Le micro crédit s’est développé ailleurs, en Inde notamment, où il concerne 33 millions de clients. Le groupe propose ainsi des prêts au logement (qui ont permis de construire 650 000 maisons). Parmi les nombreuses activités, on retiendra notamment les « dames téléphone » qui ont permis aux villages les plus reculés d’accéder aux technologies de l’information en vendant des minutes d’accès au téléphone, puis à Internet. Graamen a également développé un réseau de téléphonie mobile bon marché, se développe dans l’énergie durable (panneaux solaires) et la santé. Les résultats sont spectaculaires puisque le taux de pauvreté est passé de 57% en 1991 à 40% en 2005.
L’épopée de Graamen Danone
Ce n’est pas sans une certaine fierté patriotique que l’on lit les pages consacrées au partenariat de Graamen avec Danone. Muhammad Yunus commence son livre en racontant sa rencontre avec Franck Riboud en octobre 2005, qui lui a proposé « d’aider à nourrir les pauvres ». Il décrit sa stupéfaction quand le patron du premier groupe agro-alimentaire Français lui a instantanément donné son accord pour monter une joint venture qui ne distribuera pas de dividendes, sous la forme d’un « social business », en allant lui serrer la main « car vous m’avez dit qu’à la Graamen Bank, banquier et emprunteur scellent leur accord en se serrant la main ».
Le prix Nobel de la paix consacre de longues pages à la description de son projet avec Danone. Il décrit avec admiration le professionnalisme des méthodes du groupe Français et sa capacité à s’adapter à un marché aussi particulier, où la chaîne du froid, par exemple, est inexistante, ce qui ne facilite pas la tâche de vendre un yaourt ! La description de cette aventure qui aboutit à la commercialisation en 2007 d’un yaourt vendu l’équivalent de 7 cents est passionnante. Il cite l’objectif d’Antoine Riboud, fondateur de Danone : « une croissance économique soutenable ne saurait être dissociée du développement personnel et de l’expression des valeurs humanistes ».
Cette très courte évocation des réalisations de Muhammad Yunus ne rend pas justice aux innombrables projets de Graamen. Elle représente néanmoins un hymne à l’ingéniosité des hommes, tout en démontrant qu’elle peut également s’exercer dans une direction sociale.
Source : Vers un nouveau capitalisme, Muhammad Yunus, JC Lattès, texte publié en janvier 2009
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