Maurice Allais, la parole d’un visionnaire à méditer
Malgré sa distinction, l’image de Maurice Allais reste troublée par son opposition au traité de Maastricht et à son combat précurseur pour une forme de protectionnisme, qui ont sans doute limité l’écho de sa parole, un peu trop provocante. Cela n’enlève rien à sa pertinence.
Un visionnaire
Beaucoup affirment que personne n’avait vu la crise actuelle venir. Il est vrai que parmi les partisans du système, peu imaginaient qu’il pouvait arriver à un tel état d’autodestruction. Pourtant, beaucoup avaient crié au loup, longtemps avant. On peut citer les avertissements d’Emmanuel Todd dans « Après l’empire » en 2002, ceux de Joseph Stiglitz la même année dans son livre « La grande désillusion », ceux de Jean-Luc Gréau en 2005 dans « L’avenir du capitalisme ». Paul Jorion a également vu venir la grande catastrophe des subprimes. On peut également ajouter à cette liste illustre Maurice Allais.
En effet, ce livre est truffé de citations alarmistes sur le fonctionnement des marchés financiers, notamment Américains, avertissements bien prophétiques avant l’éclatement de la bulle Internet de 2001 et celui de 2008. Il dénonce ainsi « une monétisation accélérée des dettes et une confusion croissante entre l’épargne et la monnaie, une expansion inconsidérée du crédit, l’instabilité potentielle du système bancaire fondé sur la couverture fractionnaire des dépôts, sur la création de monnaie ex nihilo, et sur la généralisation de prêts à long terme de fonds empruntés à court terme ».
Il affirme (en 1999) qu’à « long terme, on peut prédire en tout certitude que tant que les structures monétaires et financières actuelles seront maintenues, le monde ne cessera de constater des crises, qu’elles seront de plus en plus fortes, et que leur déclenchement restera toujours aussi imprévisible ». Il souligne que la Chine ne se contentera pas uniquement d’une spécialisation dans les produits à faible valeur ajoutée et annonce que l’élargissement à l’Est de l’Europe aura des conséquences sur l’emploi.
Les limites du visionnaire
Malgré tout, ce livre n’est pas dénué de limites. Il verse dans la théorie du complot en invoquant : « un incessant matraquage de l’opinion par certains médias financés par de puissants lobbies plus ou moins occultes », là où Joseph Stiglitz voit seulement une mauvaise croyance. Il cède parfois à un catastrophisme un peu pesant : « en engendrant des inégalités croissantes et la suprématie partout du culte de l’argent avec toutes ses implications, le développement d’une politique de libéralisation mondialiste anarchique des échanges a puissamment contribué à la désagrégation morale des sociétés occidentales… ».
En outre, son modèle peut poser problème par deux dimensions. La première est la faiblesse de l’élément conjoncturel, qui fait que les ajustements du chômage passent presque tous par le chômage issu du libre-échange, à la hausse (ce qui est logique) comme à la baisse quand l’économie va mieux (ce qui est plus surprenant). Enfin, ses développements sur un chômage issu de l’immigration sont d’autant moins convaincants que l’analyse y est curieusement très lapidaire.
Une lumière pour l’avenir
Malgré ces quelques limites, la pensée de Maurice Allais est particulièrement intéressante pour décrypter notre monde économique et essayer de comprendre pourquoi la performance économique de l’Europe n’en finit plus de se détériorer. Sa pensée est d’autant plus intéressante qu’il ne s’agit pas d’un économiste alternatif un peu farfelu et isolationniste, loin de là. Maurice Allais croit à l’Europe : « il est bien certain que la France ne peut avoir d’avenir que dans le cadre européen, mais ce cadre ne saurait se réduire ni à la domination limitée et irresponsable de nouveaux apparatchiks de Bruxelles, ni à une vaste zone de libre-échange ouverte à tous les vents, ni à une domination de fait des Etats-Unis ».
En fait, Maurice Allais a initié la vague des libéraux humanistes, qui savent mettre l’économie à sa place, même s’ils restent libéraux : « la vérité, c’est que j’ai toujours été et que je reste ‘un chantre du libéralisme ‘. Je n’ai pas changé. Mais je n’ai jamais identifié le libéralisme avec le laisser-fairisme ». Ainsi, il affirme croire « qu’une société fondée sur la décentralisation des décisions, sur l’économie de marchés, et sur la propriété privée, est non pas la forme de société la meilleure dont on pourrait rêver sur un plan purement abstrait dans un monde idéal mais celle, qui, sur le plan concret des réalités se révèle comme la seule forme de société susceptible de répondre au mieux aux questions fondamentales de notre temps ».
Parce qu’il est un libéral capable d’admettre les limites d’une application dogmatique et excessive du libéralisme, Maurice Allais est un auteur essentiel à lire pour prendre du recul sur les idées préconçues véhiculées en matière économique.
Source : Maurice Allais, « La mondialisation, la destruction des emplois et de la croissance », Clément Juglar, texte publié en janvier 2009
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