dimanche 25 septembre 2011
Quand le philosophe Paul Jorion dépasse l’économiste
C’est une des choses que j’avais particulièrement apprécié dans « L’implosion », la capacité de l’auteur à développer une réflexion philosophique sur notre société, sa déshumanisation et son retour à l’état de nature. Il la prolonge largement dans ce nouveau livre.
Il souligne que théoriquement, les salariés devraient être de vrais parties prenantes dans la production d’une entreprise et, à ce titre, se partager avec les autres acteurs (actionnaires, capitalistes et dirigeants) les profits de la vente. Mais il note qu’aujourd’hui, ils ne sont qu’un frais de production comme un autre. De manière totalement asymétrique, la rémunération des traders se fixe en fonction des commissions qu’ils rapportent, ouvrant la voie à des salaires énormes.
Jorion rappelle que pour Marx, « la baisse tendancielle du taux de profit est la raison pour laquelle le capitalisme est condamné à terme ». Mais il note que, bien au contraire, le taux de profit ne cesse ne progresser, notamment du fait de la baisse de la part des salaires dans la valeur ajoutée, passée, selon Edouard Husson, de 1992 à 2007 de 66.4 à 54.8%, sans conduire à une forte hausse des investissements mais à une progression des dividendes et du cash flow.
Il revient sur le fait que Keynes avait fait « du plein emploi un principe intangible autour duquel redéfinir l’économie » pour refuser la substitution des salaires par le crédit et éliminer la fonction parasitaire de la finance. Il souligne que l’absence trop forte d’égalité affecte la liberté des individus et la fraternité est remise en cause par le néolibéralisme devenu principe organisateur de notre société.
Citant Thomas Hobbes, il revient sur son image de retour à l’état de nature et de loi de la jungle pour définir nos sociétés modernes, où « l’homme est un loup pour l’homme » du fait de la trop forte concentration de la richesse. Il cite Freud pour qui « l’homme civilisé a fait l’échange d’une part de bonheur possible contre une part de sécurité » et qui rejetait le communisme où la vertu n’étant pas récompensée.
Il cite également Hegel pour souligner l’importance du travail dans le processus d’intégration à la société et évoque les « exigences contradictoires du citoyen et du bourgeois qui cohabitent en nous : le citoyen aspire à l’égalité de tous (…) alors que le bourgeois insiste sur son droit personnel à accumuler autant de richesses qu’il le jugera bon ». Il cite également plusieurs fois Robespierre pour qui « l’extrême disproportion des fortunes est la source de bien des maux et de bien des crimes ».
S’opposant aux néolibéraux et libertariens, Paul Jorion affirme que : « c’est l’Etat seul qui pourra organiser la force collective qui permettra de défendre la propriété de chacun ». Il cite Lacordaire : « entre le fort et le faible, entre le riche et le pauvre, entre le maître et le serviteur, c’est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit ». Il termine son livre en appelant à une grande réforme fiscale progressiste qui n’est pas sans rappeler les principes de celle défendue par Piketty et Landais.
Si ce livre est très réussi, j’y mettrai deux bémols. Le premier concerne l’analyse que fait l’auteur du travail « devenu rare dans un monde où la productivité croît par l’automation ». Un déficit commercial équivalent à 4% du PIB et la crise permettent de fortement contester cette vision en France. Il me semble que le chômage de masse est davantage le produit de choix politiques qu’un fait inéluctable consécutif au progrès (ce qui aurait pu être dit plusieurs fois dans l’histoire).
Enfin, l’auteur affirme de manière un peu rapide que « les banques centrales – et elles seules – sont en charge de création monétaire ». Un simple cours de comptabilité, ou, par exemple, le livre de Pierre-Noël Giraud, « Le commerce des promesses » permettent de comprendre que ce sont les banques privées qui créent la monnaie aujourd’hui. En outre, si l’assertion de l’auteur était juste, le bilan de la BCE serait équivalent à la masse monétaire de la zone euro. Or, il n’en représente que 20% (2000 milliards contre 9500), et leurs évolutions sont totalement dé corrélées.
Malgré ces deux points, la lecture de ce nouvel ouvrage de Paul Jorion est hautement recommandable car si son foisonnement est parfois un peu désordonné, il est extrêmement riche, tant sur l’analyse pointue des dérives de la finance, que de son histoire et il présente une analyse philosophique passionnante.
Source : Paul Jorion, « Le capitalisme à l’agonie », Fayard, texte publié en juillet 2011
Il souligne que théoriquement, les salariés devraient être de vrais parties prenantes dans la production d’une entreprise et, à ce titre, se partager avec les autres acteurs (actionnaires, capitalistes et dirigeants) les profits de la vente. Mais il note qu’aujourd’hui, ils ne sont qu’un frais de production comme un autre. De manière totalement asymétrique, la rémunération des traders se fixe en fonction des commissions qu’ils rapportent, ouvrant la voie à des salaires énormes.
Jorion rappelle que pour Marx, « la baisse tendancielle du taux de profit est la raison pour laquelle le capitalisme est condamné à terme ». Mais il note que, bien au contraire, le taux de profit ne cesse ne progresser, notamment du fait de la baisse de la part des salaires dans la valeur ajoutée, passée, selon Edouard Husson, de 1992 à 2007 de 66.4 à 54.8%, sans conduire à une forte hausse des investissements mais à une progression des dividendes et du cash flow.
Il revient sur le fait que Keynes avait fait « du plein emploi un principe intangible autour duquel redéfinir l’économie » pour refuser la substitution des salaires par le crédit et éliminer la fonction parasitaire de la finance. Il souligne que l’absence trop forte d’égalité affecte la liberté des individus et la fraternité est remise en cause par le néolibéralisme devenu principe organisateur de notre société.
Citant Thomas Hobbes, il revient sur son image de retour à l’état de nature et de loi de la jungle pour définir nos sociétés modernes, où « l’homme est un loup pour l’homme » du fait de la trop forte concentration de la richesse. Il cite Freud pour qui « l’homme civilisé a fait l’échange d’une part de bonheur possible contre une part de sécurité » et qui rejetait le communisme où la vertu n’étant pas récompensée.
Il cite également Hegel pour souligner l’importance du travail dans le processus d’intégration à la société et évoque les « exigences contradictoires du citoyen et du bourgeois qui cohabitent en nous : le citoyen aspire à l’égalité de tous (…) alors que le bourgeois insiste sur son droit personnel à accumuler autant de richesses qu’il le jugera bon ». Il cite également plusieurs fois Robespierre pour qui « l’extrême disproportion des fortunes est la source de bien des maux et de bien des crimes ».
S’opposant aux néolibéraux et libertariens, Paul Jorion affirme que : « c’est l’Etat seul qui pourra organiser la force collective qui permettra de défendre la propriété de chacun ». Il cite Lacordaire : « entre le fort et le faible, entre le riche et le pauvre, entre le maître et le serviteur, c’est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit ». Il termine son livre en appelant à une grande réforme fiscale progressiste qui n’est pas sans rappeler les principes de celle défendue par Piketty et Landais.
Si ce livre est très réussi, j’y mettrai deux bémols. Le premier concerne l’analyse que fait l’auteur du travail « devenu rare dans un monde où la productivité croît par l’automation ». Un déficit commercial équivalent à 4% du PIB et la crise permettent de fortement contester cette vision en France. Il me semble que le chômage de masse est davantage le produit de choix politiques qu’un fait inéluctable consécutif au progrès (ce qui aurait pu être dit plusieurs fois dans l’histoire).
Enfin, l’auteur affirme de manière un peu rapide que « les banques centrales – et elles seules – sont en charge de création monétaire ». Un simple cours de comptabilité, ou, par exemple, le livre de Pierre-Noël Giraud, « Le commerce des promesses » permettent de comprendre que ce sont les banques privées qui créent la monnaie aujourd’hui. En outre, si l’assertion de l’auteur était juste, le bilan de la BCE serait équivalent à la masse monétaire de la zone euro. Or, il n’en représente que 20% (2000 milliards contre 9500), et leurs évolutions sont totalement dé corrélées.
Malgré ces deux points, la lecture de ce nouvel ouvrage de Paul Jorion est hautement recommandable car si son foisonnement est parfois un peu désordonné, il est extrêmement riche, tant sur l’analyse pointue des dérives de la finance, que de son histoire et il présente une analyse philosophique passionnante.
Source : Paul Jorion, « Le capitalisme à l’agonie », Fayard, texte publié en juillet 2011
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