dimanche 25 septembre 2011
Quand Régis Debray réhabilite les frontières
J’avais déjà beaucoup apprécié le livre de Régis Debray sur le Général de Gaulle. D’une tendresse incroyable, ce « converti » avait écrit un hommage magnifique au plus grand homme de notre histoire. Il s’attaque dans ce court essai aux présupposés négatifs à l’égard des frontières.
C’est peu de dire que les quarante dernières années semblent avoir eu pour unique objectif de supprimer les frontières qui caractérisaient nos Etats : liberté de circulation des capitaux, des biens, des personnes. La doxa néolibérale chercher à imposer une liberté de passage totale. Et le mot frontière est aujourd’hui connoté de manière très négative, à la fois chargé de passéisme et de nationalisme, comme on a pu le constater dans le débat entre NDA et Olivier Besancenot sur I-télé.
Régis Debray, dont le président de Debout la République a conseillé la lecture au candidat du NPA, s’attache à démontrer l’apport fondamental des frontières à l’homme et aux civilisations. Le livre est truffé de citations et de formules toutes plus percutantes les unes que les autres qui expriment bien cela. Il commence ainsi en affirmant : « Une idée bête enchante l’Occident : l’humanité, qui va mal, ira mieux sans frontières » évoquant « un monde sans dehors ni dedans ».
Il souligne que les frontières, « une affaire intellectuelle et morale », sont un mode d’organisation profondément humain, qui nous différencie des autres animaux. Il moque cette « planète lisse, débarrassée de l’autre (…) une terre liftée, toutes cicatrices effacées, d’où le Mal aurait miraculeusement disparu ». Pour lui, « l’intelligentsia post nationale, dite à tort critique et radicale, nous offre des abris anti réalité, avec des théoriciens de grand savoir et de peu d’expérience ».
C’est à Régis Debray que l’on doit cette comparaison de la frontière à la peau, qui « fait d’un tas un tout ». Il convoque religion et histoire pour montrer à quel point la frontière est liée à la civilisation et à l’humanité. Il n’oublie pas sa dimension ambivalente : « elle inhibe la violence et peut la justifier. Scelle une paix, déclenche une guerre. Brime et libère. Dissocie et réunit ». Mais c’est aussi « une forme intemporelle dans un temps volatil, du sans prix dans le tout marchandise ».
Pour lui, la frontière, c’est, comme la peau cette « couche isolante, dont le rôle n’est pas d’interdire mais de réguler l’échange entre un dedans et un dehors ». La frontière n’est pas un mur : elle régule et filtre le passage sans l’interdire. Il soutient qu’une « personne morale a un périmètre ou n’est pas. D’où vient que cette ‘communauté internationale’ n’en est pas une ». La fin des frontières c’est faire de nous des « n’importe qui, autant dire personne ».
Pour l’auteur, la frontière nous permet de faire corps, elle transforme une population en peuple. Il cite le dermatologue Jean-Paul Escande : « la peau est non seulement l’enveloppe de l’organisme, elle en est aussi le miroir et le résumé ». Pour lui, « l’indécence de l’époque ne provient pas d’un excès, mais d’un déficit de frontières. Il n’y a plus de limites à parce qu’il n’y a plus de limites entre ».
Plus politique, il note que notre laïcité sépare et que les frontières font des Etats des contre-pouvoirs : pour lui, le fort est fluide et n’aime par les remparts, au contraire du faible. Il montre que c’est l’absence de frontières fixes qui mine le conflit israélo-palestinien et dénonce le « sans-frontiérisme », un absolutisme impérialiste et occidentaliste qui avalise « le moins d’Etat et le plus de mafia ».
Avec ce livre, Régis Debray signe un ouvrage indispensable à une époque où la mondialisation qui abat les frontières semble être un horizon indépassable. Avec son style élégant et recherché, il invite à une réflexion fondamentale sur la nature de l’humanité, et les nations dont les frontières sont la peau.
Source : « Eloge des frontières », Régis Debray, NRF, Gallimard, texte publié en mai 2011
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