Robert Reich fustige les excès du capitalisme (1/2)
Robert Reich a été le secrétaire d’Etat à l’emploi de Bill Clinton et est aujourd’hui professeur à Berkley. Il livre un constat sévère sur l’évolution du capitalisme dans son livre « Supercapitalisme ».
Si son analyse est uniquement centrée sur les Etats-Unis, elle est intéressante à plusieurs titres. Tout d’abord, on peut considérer que les Etats-Unis devancent l’Europe dans l’évolution économique. Ensuite, son analyse économique se double d’une analyse politique et d’une capacité à formuler des propositions pour corriger les excès actuels. De manière assez surprenante, ses analyses rejoignent finalement celles d’économistes de la vieille Europe, comme Gréau ou Généreux, même si les solutions qu’il préconise divergent du fait des différences de nos deux continents. Enfin, on peut louer son souci de vulgarisation qui fait que son livre se lit presque comme un roman.
Il commence par nous raconter l’histoire de l’évolution du capitalisme en trois temps. Jusqu’au début du 20ème siècle, ce fut celui d’un capitalisme triomphant mais dont les « conséquences sociales – conditions de vie sordides dans les villes, salaires de misère et journées de travail interminables des ouvriers, travail des enfants, inégalités de plus en plus marquées (…) - touchaient de nombreux Américains ». Ce capitalisme primitif, dérégulé et sauvage, buta sur la Grande Dépression et fut remis en question par de nombreux politiques : « Teddy Roosevelt traita les géants industriels d’escrocs enrichis ». Woodrow Wilson les fustigeait lui aussi pendant la campagne présidentielle de 1912 : « les maîtres du gouvernement des Etats-Unis sont les capitalistes et les industriels réunis ».
L’économie américaine rentra alors dans une nouvelle ère, plus régulée. La plupart des industries mirent en place des codes visant à encadrer la concurrence (commerce, salaires, prix…) au point que le président de la chambre de commerce des Etats-Unis affirma que le marché libre « devait être remplacé par une philosophie d’économie nationale planifiée ». Cet encadrement, avait l’avantage de procurer une grande stabilité à tous les acteurs (entreprises et employés). L’Etat n’hésitait pas à intervenir pour faire progresser les salaires, comme pour l’industrie automobile en 1946 mais cela était accepté puisque touchant tous les acteurs de l’industrie. Résultat, les Trente Glorieuses ont profité à tous: les revenus réels des 20% les plus riches ont progressé de 85% de 1947 à 1973 et ceux des 20% les moins riches de 116%.
Mais les années 70 virent l’avènement du « néo-libéralisme », ou « consensus de Washington », fondé sur le libre-échange, la déréglementation et les privatisations. John Maynard Keynes qualifiait ces partisans de « fous détenant le pouvoir, qui (…) distillent des utopies nées quelques années plus tôt dans le cerveau de quelques écrivailleurs de faculté ». Cette évolution a été facilitée par la révolution technologique des communications qui a permis une prise de pouvoir des consommateurs et des investisseurs qui dictent aujourd’hui leur loi : des prix toujours plus bas et des profits toujours plus hauts. Ceci a été renforcée par la libéralisation de la finance qui a abouti à une rotation des actifs toujours plus rapide : « dans les années 90, l’investisseur moyen conservait ses actions un peu plus de 2 ans (…) en 2004, à peine 6 mois ».
Cette évolution a provoqué de nombreux effets pervers. Le souci de rentabilité a poussé par exemple GE à économiser sur le coût de nettoyage de l’Hudson. Comme Jean-Luc Gréau, il dénonce la déflation salariale que provoque cette concurrence effrénée : réductions de salaires dans les compagnies aériennes, dans l’automobile (le patron de Delphi s’était engagé en 2005 à réduire les salaires de 27 à 10 dollars de l’heure). Il explique que « les ouvriers qui ont perdu leur emploi en raison de la concurrence des produits importés ont trouvé de nouveaux postes dont la rémunération était, en moyenne, inférieure de 12% ». Il montre que les inégalités ont explosé puisque de 1974 à 2004, le revenu réel des 20% les moins riches a progressé de seulement 2,8% contre 63,6% pour les 20% les plus riches. Il montre que le 1% le plus riche touche désormais 16% des revenus totaux, et les 0,1% 7%, le plus haut niveau depuis les années 30.
Néanmoins, deux points de son argumentation peuvent être contestés. S’il décrit très bien en quoi la concurrence est particulièrement forte aujourd’hui dans certains secteurs, du fait des nouvelles technologies, sa description d’une économie débarrassée des oligopoles et pleinement concurrentielle est un peu idéalisée. Il est tout de même paradoxal que la part des profits dans le PIB n’ait jamais été aussi élevée qu’aujourd’hui. Si certains secteurs sont très concurrentiels, d’autres, du fait de la concentration ou de dynamiques spécifiques, ne le semblent pas autant. De même, son jugement sur « les marchés de capitaux – y compris les Bourses, les banques (…) – (qui) sont beaucoup plus efficaces qu’il y a vingt ans » est surprenant après tant de crises financières (pays émergents, bulle Internet, subprimes) ».
Mais le constat général n’en est que plus intéressant puisqu’il émane de quelqu’un qui n’est pas fondamentalement opposé aux marchés, mais qui met en lumière des dysfonctionnements majeurs qui peuvent, selon lui, être corrigés par les politiques, comme je le rapporterai demain.
Source : « Supercapitalisme », Robert Reich, Vuibert, texte publié en août 2008
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