dimanche 25 septembre 2011
Une histoire économique des Etats-Unis
Paul Krugman a été désigné prix Nobel* d’économie en 2008. Il est également un éditorialiste extrêmement connu pour son opposition radical à l’administration Bush. Dans « L’Amérique que nous voulons », il raconte de manière passionnante, mais non moins engagée l’histoire de son pays.
Paul Krugman commence son récit par le fameux « Age d’or » qui a précédé la Grande Dépression. Il montre que l’augmentation des inégalités atteint un sommet en 1929, où 1% de la population concentre 17% des revenus (et 70% des dividendes) et 10% 43%. Il raconte comment la première tentative d’instaurer un impôt sur le revenu, en 1894, à hauteur de 2% des revenus, est finalement censuré par la Cour Suprême et devra attendre le 16ème amendement à la Constitution en 1913 pour être enfin autorisé. Les dépenses de l’Etat représente alors 4,7% du PNB dans les années 20, largement moins qu’en Europe.
Mais l’effondrement économique majeur de la Grande Dépression et l’incapacité du président républicain Hoover à y répondre, par dogmatisme libéral, permet l’élection de Roosevelt en 1932. Cette élection lui a permis de faire passer un agenda politique alors vu comme quasiment révolutionnaire et que seul le contexte d’une crise aussi grave a pu permettre, avec 25% de chômeurs à son pic. On retient volontiers la mise en place d’une Sécurité Sociale (à part pour la maladie) et des grands travaux d’une ampleur considérable, mais la guerre pousse alors plus loin l’étatisation de l’économie.
En effet, pendant les années de guerre, les Etats-Unis rentrent dans une ère dirigiste où le gouvernement intervient dans la fixation des prix et des salaires, poussant notamment à une « Grande Compression » qui a largement réduit les inégalités de l’âge d’or. La tranche marginale de l’impôt sur le revenu passe alors de 24% dans les années 20 à 79% sous le second mandat de Roosevelt (il faut noter que cette tranche n’intervient qu’à un niveau très élevé de revenus) et l’impôt sur les profits des sociétés de 14% en 1929 à 45% en 1955. Les Etats-Unis se transforment et deviennent un pays de classe moyenne.
Mais une nouvelle cassure a lieu après l’épisode de stagflation (chute de la croissance, chômage et inflation) des années 70. À partir des années 80, les inégalités se creusent fortement de nouveau puisque c’est en 2005 que les records de 1929 ont été battus : 1% de la population concentre alors 17% des revenus et les 10% les plus riches 44%. Les études montrent que depuis plus de 20 ans, seul le revenu des 10% les plus aisés progresse en terme réel. Ce creusement des inégalités s’illustre bien par la baisse du salaire minimum, qui était de 8 dollars (constants) l’heure en 1966 contre 5,15 aujourd’hui (soit 31% du salaire moyen) !
Le salaire médian a ainsi baissé de 12% depuis 1973, ce qui a été compensé par la hausse du travail des femmes, qui a permis un gain de 16% au niveau des ménages. Paul Krugman soutient également que le libre-échange a un effet dépressif sur les salaires et l’emploi : « le commerce des Etats-Unis avec les pays du tiers-monde réduit le nombre d’emplois offerts aux travailleurs américains peu qualifiés (…) et élargit l’écart de salaires entre actifs peu qualifiés et actifs très qualifiés, ce qui contribue à aggraver l’inégalité ».
Paul Krugman souligne que ce phénomène touche davantage les Etats-Unis que les autres pays du fait des politiques suivies depuis le début des années 80. Il voit un rôle fondamental dans l’affaiblissement des syndicats (13% des ouvriers sont syndiqués en 2005 contre 39% en 1973) et dénonce les tentatives d’affaiblissement de l’Etat providence par les républicains (Medicare en 1995 et le système de retraite dix ans plus tard). Il souligne la baisse des impôts sous Reagan et Georges W Bush (le taux d’imposition sur le 1% le plus riche est passé de 34,6% en 1980 à 27,7% en 1982, puis de 35,8% en 1994 à 31,1% en 2004).
Il montre que cette dérive a cassé l’ascenseur social, qui fonctionne désormais mieux en Europe. Il cite une étude de 2003 sur le devenir d’élèves de 4ème en fonction de leur note à un examen et des revenus de leurs parents. 74% des élèves ayant obtenu plus de 15 et ayant des parents dans le premier quartile de revenus sont allés à l’université, contre 29% des élèves ayant les mêmes notes mais avec des parents du dernier quartile. Mais, 30% des élèves ayant obtenu moins de 5 mais avec des parents appartenant au premier quartile sont allés à l’université… Bref, l’argent compte aujourd’hui plus que le travail.
Cette histoire économique des Etats-Unis est passionnante à lire, comme un roman. On se pose néanmoins la question du nom « âge d’or », qui a une connotation positive, alors que Paul Krugman nous en expose bien toutes les limites de la première comme de la seconde.
Source : Paul Krugman, « L’Amérique que nous voulons », Flammarion, * titre admis comme tel, texte publié en février 2009
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire