Si la banque libre restera dans les oubliettes de la pensée économique, défendue par quelques marginaux ultra libéraux, il n’en reste pas moins qu’il faut absolument réformer le système monétaire actuel pour parvenir à corriger ses innombrables défauts.
Le constat qu’il faut partager
Cité par A-J Holbecq, Maurice Allais affirmait qu’« au regard d’une expérience d’au moins deux siècles quant aux désordres de toutes sortes et à la succession sans cesse constatée de périodes d’expansion et de récession, on doit considérer que les deux facteurs majeurs qui les ont considérablement amplifiées, sinon suscitées, sont la création de monnaie et de pouvoir d’achat ex nihilo par le mécanisme du crédit et le financement d’investissements à long terme par des fonds empruntés à court terme ».
Dans son papier, Christian Gomez fait une synthèse lumineuse et extrêmement claire des problèmes posés par le système monétaire actuel. Tout d’abord, il explique que « le système bancaire mêle le système de paiement, l’intermédiation financière (l’épargne) et les opérations de marché ». Pour lui, le système est « instable », du fait du système fractionnaire qui fait que le montant des dépôts n’est que très partiellement couvert par les actifs liquides de la banque.Il est « dangereux » car « lorsqu’une banque tombe, c’est tout le système de paiement qui est mis à mal en raison des interconnections entre toutes les banques ». Il est « incontrôlable » car « l’alimentation en liquidités dépend des humeurs des agents économiques », et donc pro cyclique, accentuant les bulles et les dépressions. Il est « inefficace » car il brouille les frontières entre la monnaie et l’épargne. Enfin, il est « injuste » car il donne le pouvoir aux banques de battre monnaie.
A-J Holbecq soutient que « le secteur bancaire n’est pas une industrie comme les autres car son fonctionnement produit des « externalités » qui peuvent être dommageables pour les autres secteurs, et le produit qu’il crée, la monnaie, n’est pas un produit comme les autres car il permet d’exercer sur les marchés un pouvoir d’achat déstabilisateur. Or, le système de paiements et l’intégrité du moyen d’échange sont des biens publics essentiels. Il est dès lors normal que la société dessine le système de paiement et de financement le plus sécurisé et le plus efficace possible tout en s’appropriant les gains de la création monétaire, ce mécanisme générateur par nature de « faux droits » sur la production ».
Les conditions nécessaires à la réforme
Comment ne pas partager complètement ce constat lucide et pédagogique ? Notre organisation monétaire actuelle pose d’immenses problèmes. Depuis 2008, comme lors de la Grande Dépression, elle démontre sa grande instabilité, menaçant s’effondrer à tout moment. Il est tout de même inquiétant de constater à quel point le système financier et monétaire semble fragile, sachant que toute notre économie repose sur lui. Et il est absolument incroyable de voir les efforts dérisoires de réforme en Europe.
Enfin, le secteur bancaire peut créer à volonté de la monnaie pour gagner toujours plus d’argent. Cela lui a permis de se lancer dans une spéculation infernale, qui a culminé dans deux bulles (2001 et 2008) mais qui a aussi vue une envolée des revenus de ce secteur. Et si cela le mène à la faillite, ce n’est pas grave, l’Etat viendra le secourir, créant une forme suprême de hasard moral où les profits sont privatisés et les pertes sont collectivisées, même si les actionnaires sont parfois liquidés.
Il y a deux conditions préalables à toute réforme du secteur bancaire et monétaire. La première est de quitter la monnaie unique. Il est bien évident qu’une réforme sera beaucoup plus difficile dans le cadre d’une discussion avec nos partenaires européens. Trop d’intérêts sont en jeu. Trop de conservatismes pourront freiner ou amoindrir la réforme. Seule la main forte d’un Etat, appuyé sur la légitimité démocratique du peuple, pourra entreprendre la réforme nécessaire.
La deuxième condition, est une reprise en main de la création monétaire par l’Etat. Il est totalement anormal qu’aujourd’hui, les banques privées aient le monopole de la création monétaire dans la zone euro. La monnaie est un bien public, dont la création doit être non seulement strictement encadrée par l’Etat ,mais dont les bénéfices doivent revenir à la collectivité et non à des banques privées qui l’ont habilement échangée contre une fausse gratuité de la gestion des comptes bancaires.
Une fois le constat partagé et ces deux conditions posées, j’étudierai demain la description de la proposition du « 100% monnaie », de ses nombreux avantages mais aussi des quelques questions qui subsistent encore, en espérant que des réponses y seront apportées.
Salut Laurent,
RépondreSupprimerIl y aurait beaucoup à dire sur cette introduction.
Je me permets juste quelques remarques. Lorsque tu dit les banques privées auraiennt habilement échangée contre une fausse gratuité de la gestion des comptes bancaires le bénéfice de la création monétaire", là tu m'interesses beaucoup. Quelle est cette banque qui gèrerait gratuitement les comptes bancaires? Je ne l'ai pas encore trouvée!
La justification de la non-répercussion de nombre des coûts, c'est bien entendu l'utilisation de l'épargne disponible sur ces comptes par la banque.
Sur la citation de Maurice Allais, elle est bien entendu éclairante. Sauf que le problème de la "transformation" de l'épargne courte en investissements longs est une constante du capitalisme, et je vois mal ce qu'on peut faire contre sauf à brider dangereusement le crédit. C'est justement l'un des rôles actuels des banques...
La création monétaire doit être strictement encadré par l'Etat. Mais si tu en retires les bénéfice aux Banques, il faudra bien qu'elles se rémunèrent autrement. Je souhaite bon courage au parti politique suffisamment fou pour expliquer aux millions de clients que "le bénéfice de la création monétaire va être affecté à la collectivité" mais qu'en contrepartie, ils vont devoir payer tous les frais bancaires!
"Lorsque tu dis que le secteur bancaire peut créer à volonté de la monnaie", il me semble vraiment que tu te trompes. D'abord parce que les banques doivent trouver des emprunteurs solvables en face, avec des projets réalistes. Ensuite et surtout parce que les banques sont strictement contrôlées, soumises tant à des ratios réglementaires que des exigences évidentes de solvabilité.
Quant au "constat" de M. Holbecq, j'avoue avoir du mal à comprendre comment tu peux le trouver "lucide et pédagogique". Il est en premier lieu passablement abscon. Qualifier la banque "d'industrie" est par exemple pour le moins inhabituel.
Ensuite, l'auteur y affirme des opinions qui n'engagent que lui et je crois que lui-même n'a pas la prétention de faire un constat en les couchant sur le papier.
"Le produit" créé par le système bancaire, c'est avant tout le crédit, et non la création monétaire qui en provient, qui bien entendu en est la conséquence.
La qualification de "biens publics" s'agissant de la monnaie me paraît tout à fait hasardeuse. L'auteur fait-il référence à la théorie du même nom élaborée par Samuelson? Il ne me semble pas. Dès lors, à quoi fait-elle référence?
Enfin, lorsque AJ Holbecq dit "Il est dès lors normal que la société dessine le système de paiement et de financement le plus sécurisé et le plus efficace possible", il a tout à fait raison. Je me permets de lui indiquer qu'en effet, une législation extrêmement complexe a été élaborée, et que le système n'est pas si mauvais que cela... Le reste de la phrase est un concentré d'idéologie.
J'ai vraiment l'impression que M. Holbecq est persuadé qu'il existe une recette cachée, gratuite qui ne coûterait rien. Si vraiement une telle chose existait, alors effectivement AJ Holbecq et ses disciples aurait tout à fait raison de vouloir la confisquer aux banquiers et de vouloir donner cette richesse miraculeuse au peuple.
Reste qu'évidemment, une telle chose n'existe pas, et j'en suis désolé pour ceux qui croient encore au père noël.
Je vous souhaite à tous un très bon réveillon
tythan
Salut Tythan,
RépondreSupprimerJe ne suis pas surpris que tu réagisses… Mais comme souvent, tu extrapoles un peu trop et tu sors du cœur du sujet.
Quand je parle de « fausse gratuité », cela a deux sens :
- cela signifie que la gestion des comptes n’est pas gratuite (sinon, j’aurais parlé de gratuité, tout court). Je n’ai jamais dit que les banques offrent des services gratuitement.
- le fait de pouvoir créer de la monnaie rapporte de l’argent aux banques. Si on ne leur permet plus d’en créer aussi librement, elles perdront une source de revenus et il faudra sans doute payer davantage les services bancaires, un point important qu’il ne faut pas oublier, comme tu le soulignes dans un paragraphe suivant. Tu devrais donc apprécier mon honnêteté et le fait que j’essaie d’être cohérent et ne pas ignorer les inconvénients de la réforme.
Sur la citation de Maurice Allais, ton commentaire ne remet pas en cause ce problème. Et justement, comme le montre Morad El Hattab dans un de ces livres, les contraintes qui pèsent sur les banques se sont largement relâchées, leur permettant de largement financer à court terme des prêts qu’elles font à long terme, beaucoup plus qu’avant. Et ce n’est pas bon car cela veut dire qu’elles sont vulnérables à tout mouvement d’humeur des marchés et que la collectivité est alors contrainte de les refinancer pour éviter leur faillite, ce qui ne semble pas une bonne idée. Il serait sans doute beaucoup plus normal d’aligner la maturité des prêts et des emprunts, comme l’évoquent de nombreux économistes.
Sur la création de la monnaie par les banques, il suffit de voir la croissance de la masse monétaire dans les années 1990 et 2000, l’explosion du bilan des banques pour voir que les règles prudentielles, aussi volumineuses soient-elles, ne semblent pas être une lourde contrainte pour les banques. N’oublie pas également les montages financiers entre filiales des banques. Là, je te renvoie aux 31 livres d’économie qui décrivent tous parfaitement ces phénomènes, venant d’économistes de gauche comme de droite.
Sur le constat d’André-Jacques, je t’invite à lire son papier en entier. Il n’y a pas besoin de référence pour qualifier la monnaie de « bien public », je l’ai sans doute fait par principe, sans me référer à quiconque. Je ne vois pas le besoin d’avoir une référence pour utiliser ce terme.
Sur le « système de financement le plus sécurisé et le plus efficace possible », je crois que l’on peut voir depuis plus de trois ans et demi qu’il y a d’immenses carences dans le système actuel.
Ton dernier point est un peu malheureux car ce n’est absolument pas sa démarche. Lis les papiers. Je tiens même à ta disposition si tu le souhaites son livre sur la dette publique et tu verras que ce n’est pas cela.
Passe un bon réveillon.
Laurent
Quel est le processus pour spéculer avec de la création monétaire sachant qu'il faut qu'un tiers fasse une demande de credit pour avoir cette création monétaire ? Ce sont les fameuses banques d'affaires qui demandent des credits a d'autres banques ? Ceci n'est pas une critique de l'article mais une simple question de la part d'un non specialiste.
RépondreSupprimer@ TeoNeo
RépondreSupprimerAu final les banques (commerciales) ont de nombreuses manières de créer de la monnaie:
- Opération de crédit
- Acquisition d’un actif réel (terrain, immeuble…)
- Acquisition d’un actif financier (actions, obligations d’entreprises)
- Acquisition des bon du Trésor (créances sur le Trésor).
- Conversion des devises (suite exportation d’une entreprise cliente)
- Opération d’escompte
- Paiements pour compte propre (ex : loyers, salaires et charges diverses)
Les "banques d'affaires" ne sont pas différenciées dans le système bancaire (banques universelles qui font aussi bien du crédit aux particuliers, aux entreprises aux administrations publiques que de l'intermédiation, de la spéculation, de l'assurance, de la téléphonie, etc...)
La réglementation actuelle distingue
- Les établissements de crédit qui peuvent recevoir des dépôts à moins de 2 ans: banques commerciales, banques mutualistes, caisse de crédit municipal
- les sociétés financières qui ne peuvent collecter des ressources qu'à plus de 2 ans
- les institutions financières spécialisées
Après on a les OPCVM, les entreprises d'investissement et surtout les entreprises d'assurances (lesquelles sont des intermédiaires financiers non soumis aux autorités bancaires)
Pour spéculer il suffit d'être certain d'obtenir si nécessaire une partie des fonds ... si on perds!
Quand je lis les articles et commentaires je vois que tout cela est d'une incroyable complexité et que personne n'arrive a maitriser l'ensemble du sujet (sauf si j'ai mal compris ) ; le coup de génie ne serait il pas de revenir au simple
RépondreSupprimer@ A-J H
RépondreSupprimerMerci pour la réponse.
@ Patrice
Pas faux. J'espère que le papier d'aujourd'hui aura clarifier les choses.
@AJH
RépondreSupprimerMerci pour cette reponse rapide. J'ignorais que les banques avaient tant de moyens de créer de la monnaie.
Messieurs
RépondreSupprimermerci pour ce travail remarquable et un grand merci à Laurent pour son courage.
Je milite sur viadéo, et j'encaisse. Alors vous tous....
C'est là que je me rends compte qu'il faut être rudement solide pour faire face à l'oligarchie, à la bêtise et la méchanceté. Solide et une grande capacité à travailler, une grande force de travail pour pouvoir assumer le quotidien, le travail et la famille, la santé et défendre l'intérêt général... Mais comment faites vous ?