Un produit de la théologie néolibérale
La banque libre consiste en un système où des banques privées émettent librement des monnaies qui leur sont propres, des monnaies concurrentes mais échangeables. Dans ce système, qui a eu cours dans de nombreux pays au 19ème siècle, il n’y avait pas de banque centrale. Aujourd’hui, cela reviendrait à laisser la BNP, la Société Générale, ING… émettre leurs euros, tout en supprimant la Banque Centrale Européenne et les banques centrales nationales.
Non, il ne s’agit pas d’un poisson d’avril, mais d’une proposition émise par quelques intellectuels ultra-libéraux pour qui l’Etat est forcément le mal absolu. C’est ainsi que Pascal Salin affirme que « la rentabilité des investissements est inférieure lorsque la décision est une décision publique ». Il semble ignorer que l’Etat peut justement se permettre d’investir à plus long terme qu’une entreprise privée, soumise à la pression des résultats trimestriels.
Il soutient également que « le taux d’intérêt qui se forme sur les marchés est forcément le meilleur possible » ou que « l’échange libre est par définition profitable aux deux parties ». Voire. La volatilité des taux accordés par les marchés à la Grèce démontre bien qu’ils n’étaient pas les meilleurs possibles. George Séglin n’est pas moins dogmatique quand il oppose deux alternatives : « un idéal d’administrateur monétaire, qui serait mécaniquement apolitique et se pose en termes d’efficacité désintéressée, ou bien l’idéal d’un système monétaire entièrement privé et discipliné par les lois du marché ».
Le rejet de l’Etat
Il faut néanmoins porter à leur décharge le fait que les banques centrales ont parfois été créées dans le but de financer l’Etat, qui accordait le monopole d’émission contre espèces sonnantes et trébuchantes. Néanmoins, le dogmatisme le plus obtus qui se dégage de ces lectures est assez sidérant. Tout d’abord, ces moines soldats du néolibéralisme partent du postulat que le marché est forcément efficace, contrairement à l’Etat, de manière inconditionnelle et sans nuance.
Dans son obsession anti banque centrale, Séglin en vient même à minorer le rôle des banques privées dans la création monétaire privée en affirmant : « Gurley et Shaw se trompent (…) en affirmant que toutes les institutions financières ont la même capacité de faire de la création de crédit active. En raison de son incapacité à reconnaître le rôle joué par les banques à monopole comme ultime source de création de crédit, cette théorie a servi de justification pour maintenir les restrictions réglementaires à l’accroissement du crédit par les banques de dépôts, et pour imposer des restrictions similaires à des établissements d’épargne et autres intermédiaires financiers non bancaires ». La comparaison entre le bilan d’une banque centrale et la masse monétaire permet de comprendre que cela ne tient pas.
Pour lui, « une banque centrale est incapable de prendre les dispositions nécessaires pour répondre à des variations à court terme de la demande de monnaie, et lorsqu’elle tente de le faire en utilisant les orientations imprécises dont elle dispose, elle a des chances de provoquer plus d’instabilité et de déséquilibre qu’elle n’en élimine ». Bref, toujours la même antienne où l’intervention publique serait forcément moins pertinente que l’action des marchés…
Le rôle du prêteur de dernier ressort
Ce que les néolibéraux oublient aussi, c’est que les banques centrales sont là pour éviter que le système ne s’effondre sous ses propres excès, comme il l’a fait en 1929 et comme il n’a pas été loin de le faire en 2008. C’est d’ailleurs ce qui a poussé les autorités ou même les banques privées à créer ces banques centrales à l’origine. Bien sûr, leur croyance dans le dieu marché fait qu’il est inconcevable que le marché ne s’équilibre pas tout seul de manière harmonieuse. Pour eux, chaque problème vient nécessairement de l’intervention étatique qui perturberait l’initiative privée, forcément parfaite.
Séglin s’attaque aussi à Keynes : « la théorie keynésienne, toutefois, en vint à accorder trop d’importance à l’éventualité d’une “trappe à liquidités”, une possibilité que Keynes lui-même considérait comme un cas extrême, un cas limite. L’existence d’une “trappe à liquidités” (signifiant une demande d’encaisses monétaires s’accroissant à l’infini à mesure que baisse le taux d’intérêt), rendrait l’expansion monétaire par les canaux bancaires traditionnels incapable de stimuler en aucune façon l’investissement. Elle implique donc le recours à des dépenses publiques accrues, pour accroître la demande globale ». Les années 1930 et la crise que nous traversons valide pourtant à nouveau cette théorie.
Plus globalement, une immense faiblesse de leur raisonnement est de présupposer qu’une grave du crédit ne peut pas arriver, ce qui ne rend pas nécessaire l’existence du prêteur de dernier ressort qu’est la Banque Centrale. En effet, qu’aurions-nous fait en 2008 si on avait laissé AIG faire faillite et si personne n’avait agi pour assurer la liquidité du système bancaire ?
Bref, tout ce qui vient de l’Etat serait forcément mauvais et tout ce qui vient de la main invisible du marché serait forcément bon. Ce manque de mesure et de nuance suffit déjà à disqualifier toutes ces thèses. Mais surtout, les évènements récents les discréditent plus encore.
C'est l’éternel débat entre les incroyants et les croyants quand je lis "main invisible du marché" je vois le "bon dieu sur son petit nuage"
RépondreSupprimerMercredi 28 décembre 2011 :
RépondreSupprimerBanques de la zone euro : nouveau record des dépôts au jour le jour : 452 milliards d'euros.
Les dépôts au jour le jour des banques auprès de la Banque centrale européenne (BCE) ont franchi un nouveau record, après celui atteint la veille, selon des chiffres publiés mercredi par la BCE sur son site internet.
Les banques ont déposé 452 milliards d'euros auprès de l'institution monétaire de Francfort entre mardi et mercredi contre 411,81 milliards d'euros la veille, des niveaux jamais atteints jusqu'ici et qui témoignent des dysfonctionnements sur le marché inter-bancaire.
Le précédent record remonte à juin 2010, avec 384,3 milliards d'euros de dépôts. Les dépôts avaient ensuite progressivement diminué avant de connaître de nouveaux pics depuis l'été et l'aggravation de la crise de la dette en zone euro.
http://www.bloomberg.com/apps/quote?ticker=ECBLDEPO:IND
Bonjour,
RépondreSupprimerSur mon blog, j'organise le débat suivant : La politique peut-elle être morale ?
Si ça vous intéresse d'y participer vous êtes le bienvenu.
Cordialement.
http://debats-politique.over-blog.fr/
@ BA
RépondreSupprimerMerci
@ Patrice
Des lectures très instructives sur le niveau de dogmatisme des néolibéraux.
@ Anonyme
Merci pour la proposition
Vous etes même pas foutu de bien orthographier George SELGIN. Et il n'y a pas que lui parmi les libre-banquistes. Vous n'avez manifestement rien lu de ces auteurs ou vous les avez lus de droite à gauche...
RépondreSupprimerMr. Pinsolle, I would happily engage you in a discussion concerning the validity of my theoretical arguments, or evidence appearing to contradict them. But to declare my position to be dogmatic, when you have in fact never (so far as I'm aware) had occasion to observe me defending them with anything other than reasonable (if perhaps mistaken) terms, is perfectly unjust, and rather contemptible.. .
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