C’est encore The Economist qui vient de publier un papier passionnant sur le système éducatif sud-coréen, affirmant que « s’il a permis à la Corée du Sud de prospérer, il commence à se détériorer ». Un constat qui amène à une réflexion plus large sur la nation de progrès dans une société humaine.
Lumières et ombres
Il y a cinquante ans, la Corée du Sud avait le PNB par habitant du Ghana. L’imitation du Japon et la mobilisation de la population a permis à ce pays de se hisser parmi les pays les plus développés du monde. Le niveau de vie a très fortement progressé et la pauvreté largement disparu. Le système éducatif est fréquemment cité comme un des meilleurs du monde (l’OCDE l’a classé au 4ème rang mondial en 2009). Les entreprises locales sont parties à la conquête du monde.
Mais cet article remet en perspective cette réussite par le sort réservé à la jeunesse du pays, qui s’éreinte pour réussir les examens qui peuvent les mener dans les meilleures universités. Si le système est méritocratique, il semble mettre une pression démesurée sur les épaules de la jeunesse du pays et de leurs parents, qui investissent des sommes énormes pour faire réussir leur progéniture (16% des revenus sont utilisées pour les cours du soir à Séoul !).
Aujourd’hui, 71% d’une génération parvient à l’université mais 40% ne parvient pas à trouver d’emploi à la sortie. Et cette pression explique sans doute en partie le fait que le taux de fécondité soit tombé à seulement 1,15 enfant par femme, nettement moins qu’en Allemagne ou en Italie, un niveau qui confine au suicide démographique. Pire, le taux de suicide très élevé des jeunes sud-coréens révèle un profond malaise. Pour The Economist, « le lycée, c’est l’enfer ».
Qu’est-ce que le progrès ?
En simplifiant, The Economist décrit une société coupée en trois. Le premier tiers aurait accès à des emplois à vie bien rémunérés dans des grands groupes, mais où l’avancement se fait à l’ancienneté, et où le salarié est totalement soumis à son entreprise. Un second tiers trouve des emplois dans des petites entreprises, où l’on reste en général toute sa carrière mais avec des perspectives d’évolution nettement restreintes. Et le dernier tiers est coincé dans le temps partiel, en forte croissance.
La rencontre de la culture asiatique avec la globalisation néolibérale ne semble pas produire un résultat très épanouissant pour l’homme. Une société à la fois extrêmement dure, notamment pour la jeunesse, et une forte rigidité qui soumet les hommes aux entreprises dans une quête de croissance économique qui en finit par devenir aliénante et inhumaine. Bien sûr, il est positif de valoriser l’effort. Mais cette dureté amène à s’interroger plus globalement sur le sens du progrès.
Bien sûr, la Corée du Sud réussit dans l’économie globalisée. Mais les déséquilibres violents de cette société doivent nous faire réfléchir sur la direction que nous souhaitons prendre. Le progrès ne se mesure pas seulement à la croissance du PIB, mais au moins autant au bien-être de la population. Et parfois, le premier peut aller contre le second. Jacques Généreux a bien raison de nous alerter en parlant de la « dissociété » que nous sommes en train de construire.
C'est exactement cela l’économie doit être un outil mais bien compris dans un développement harmonieux étudier doit être possible pour tous tout au long de la vie et pas uniquement pour un retour d'investissement intellectuel immédiat
RépondreSupprimerTout comme il faut effectivement voir des excès dans l'éducation coréenne, il faut aussi voir le niveau également très préoccupant de l'école française (dont échappe seulement ceux qui en ont les moyens culturels et financiers).
RépondreSupprimerLe coréen est éduqué de manière à servir le système productif (robotisation de l'homme).
Le français est éduqué de manière à élever la consommation (décervelage de l'homme).
Comme d'habitude, tout est question d'équilibre...
@ Anonyme
RépondreSupprimerComment ne pas partager votre point de vue ?
@Laurent Pinsolle : J'ai l'impression qu'Anonyme voudrait d'une école qui tenterait de trouver le juste milieu entre robotisation de l'homme et décervelage de l'homme mais je l'ai peut-être mal compris.
RépondreSupprimerEn tout cas, il est toujours intéressant de voir qu'un gaulliste puisse montrer qu'il y a encore des républicains dans ce bas monde pour défendre une vision de l'homme autre que celle de l'homo eoconomicus défendue par les Sarkozy, les Bayrou, les Hollande et surtout les Strauss-Kahn. Je tiens à vous signaler que sur le même sujet le MAUSS a publié un excellent article sur la "lutte citoyenne" en Corée du Sud: http://www.journaldumauss.net/spip.php?article365. Bonne lecture si vous décidez de le lire.
@ GW108
RépondreSupprimerOn va dire que vous avez mal compris...
Je crois que c'est juste normal : "la seule querelle qui vaille". Je vais regarder le papier cette fin de semaine. Merci pour le lien.
L'économie coréenne s'est développée dans un cadre national protégé pour ensuite être assez forte pour être "compétitive" dans la mondialisation néolibérale avec à ses tout début une monnaie faible qui s'est apprécié comme le Yuan devrait le faire si les dirigeants chinois ne s'y opposait pas.
RépondreSupprimerLa société coréenne est-elle aussi individualiste que la nôtre? Existe-t-il un Etat-providence aussi développé que le nôtre?
@ GW108
RépondreSupprimerMerci beaucoup pour cet article très éclairant sur ce qui se passe en Corée du Sud. La croissance n'est pas tout. Je le recommande vivement.
Le fait que les ministres envoient leurs enfants faire leurs études aux Etats-Unis est très révélateur de la dureté du système coréen...