samedi 24 mars 2012

La crise de l’anarchie néolibérale

La crise actuelle n’est pas seulement la conséquence des excès des subprimes ou du comportement individuel de quelques traders. Elle est la conséquence directe des excès de la déréglementation.

Aux racines du mal : une triple déréglementation

À partir des années 70, les structures économiques relativement rigides issues de l’après-guerre ont été démantelées par les tenants d’une liberté économique sans limites. Ils sont parvenus à mettre en place une triple déréglementation, monétaire, commerciale et financière, liée par l’idéologie et des intérêts croisés. La libéralisation financière pousse ainsi celle du commerce puisque les multinationales qui investissent à l’étranger cherchent ensuite à exporter. La libéralisation monétaire pousse la libéralisation financière pour permettre aux entreprises de se couvrir contres les évolutions erratiques du cours des monnaies.

On oublie aujourd’hui le rôle fondamental de la fin de la convertibilité du dollar en 1971, qui a accéléré la financiarisation de l’économie (le marché des devises est le premier au monde). Puis, les accords commerciaux se sont multipliés pour démanteler les barrières douanières et assurer une circulation la plus libre possible des biens. Enfin, les années 80 ont vu une accélération de la déréglementation financière jusqu’à ce que les échanges financiers soient 50 fois plus importants que ceux de marchandises.

Les trois conséquences de la déréglementation

La déréglementation a eu trois conséquences. La première a été un gonflement incontrôlé de l’endettement (des ménages et des Etats,), permis par le manque d’encadrement des pratiques financières. Les institutions financières peuvent créer toujours plus de monnaie par rapport à leurs capitaux, que ce soit par l’effet de levier, qui permet de prêter ou placer davantage que ce qui est autorisé (par le hors bilan) ou la titrisation (qui permet de sortir le risque du bilan). Les excès de cette libéralisation sont particulièrement bien illustrés par les excès du marché de l’immobilier subprimes aux Etats-Unis, que Paul Jorion décrit si bien.

La deuxième conséquence est une amplification radicale du caractère cyclique de nos économies et la multiplication des crises. Nous vivons dans un monde économique de plus en plus instable : krach boursier en 1987, crise économique du début des années 90 (conséquence d’une bulle immobilière), crise asiatique de 1997, bulle Internet de 2001, subprimes en 2007. Et du fait de la libéralisation, la contagion est plus rapide et les crises sont plus violentes. Le repli de la régulation laisse mieux apparaître le caractère exagérément cyclique du marché, exubérant à la hausse comme à la baisse.

La troisième conséquence est une hausse des inégalités. Le libre-échange non régulé des pays développés avec les pays émergents provoque une déflation salariale et une hausse du chômage. Le système actuel ne profite au mieux qu’à 10% de la population. Et la hausse des inégalités se retrouve également dans la soumission accrue des entreprises au diktat du marché. Enfin, cette inégalité transparaît dans le rapport entre les entreprises et les citoyens puisque les premières s’accaparent une part toujours plus grande de la richesse au détriment des salaires, preuve que déréglementation ne rime pas forcément avec concurrence.

Pire, les trois conséquences de la déréglementation se renforcent entre elles. En effet, c’est bien la hausse des inégalités aux Etats-Unis qui a provoqué la catastrophe des subprimes puisque les ménages modestes ont compensé par l’emprunt la baisse de leur pouvoir d’achat à cause à la déréglementation financière. Et c’est la déréglementation monétaire et financière qui pousse les pays d’Asie à engranger des excédents colossaux pour se protéger des marchés, créant d’énormes déséquilibres financiers mondiaux.

Une guerre sémantique et philosophique

De manière intéressante, les tenants du système ont gagné une partie de la bataille en parvenant à qualifier la destruction de la réglementation économique issue de l’après-guerre des beaux noms de mondialisation, globalisation ou déréglementation. En effet, comment être contre ces termes, porteurs de valeurs positives ? Notre combat idéologique passera également par les mots et il nous revient de qualifier ce qu’est vraiment cette évolution de ce capitalisme sauvage : la loi de la jungle, la loi du plus fort ou l’anarchie néolibérale.

Pire, certains ont réussi à faire passer ce retour en arrière pour moderne. Il s’agit d’une arnaque incroyable tant cette idéologie tend à revenir au capitalisme sauvage du tournant du siècle, celui d’avant les grandes conquêtes sociales. En quelque sorte, pour reprendre Paul Jorion, il s’agit d’une volonté de retour du capitalisme à l’état de nature, d’un déni de tout ce qui fait l’humanité, l’abandon du processus de civilisation où le bien commun et la solidarité l’emportent sur les calculs égoïstes individuels.

Quelques économistes darwiniens ont vendu l’idée que la somme des égoïsmes correspond à l’intérêt général et qu’une main invisible bienveillante veille sur le marché pour promouvoir le « laissez faire » et le « laissez passer ». La crise leur fait perdre une bataille, mais ils n’ont pas encore perdu la guerre…


Texte publié en février 2009 sur mon premier blog. Rendez vous demain à Paris pour le grand meeting de campagne de Nicolas Dupont-Aignan (voir article suivant).

8 commentaires:

  1. Cette semaine, j'ai entendu, sur BFM, quelqu'un qui conseillait à Sarkozy, une fois réélu, de prendre tout les pouvoirs avec l'article 16 ; histoire de finir de tout déréglementer plus rapidement et plus facilement. D'ailleurs, c'est peut-être ce que sous-entendait le président dans sa critique des corps intermédiaires, il y a quelques semaines.
    Jusqu'où sont-ils prêts à aller pour une idéologie et la défense des profits et des pouvoirs de quelque uns !!!

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  2. Un bon resumé de l'orthodoxie actuelle. Pour compliquer l'affaire ces causes profondes du déclin économique occidental sont érigées en dogmes. Pas de chance, il faudra virer du pouvoir, pacifiquement bien sur, des partis bien installés avec tous les relais et les reseau necessaire.

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  3. cela fait plusieurs fois sur ce bloc que j’écris sur le pouvoir des mots qui ne sont pas pris en compte par les économistes . Par exemple retour au Franc qui sonne comme la retraite de Russie pourquoi ne pas parler de nouvelle monnaie ; sur le sujet il peut être intéressant de parler de maladie qui font peur par exemple le "cancer financier" les "métastases des déréglementation" le néolibéralisme c'est l’Alzheimer de la finance etc....

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  4. Si on en juge par la quantité sans cesse croissante d'Autorité, Haute ou non, de Conseil, Supérieur ou non, chargés de contrôler toujours plus de choses (le prix du gaz, de l'eau, de l'électricité ou du téléphone, la qualité des aliments ou des médicaments, les ententes illicites etc...) il est difficile de parler d'anarchie ou de dérégulation. Il s'agit au contraire d'une extrême régulation de l'économie ayant un seul but : privatiser l'économie et détruire les états-nations. Tout cela pour le plus grand profit de grandes entreprises généralement américaines et des États-Unis eux-mêmes qui restent la seule puissance politique occidentale.

    Antoine

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  5. @ Antoine,

    Il y a une anarchie au niveau macro, et paradoxalement, parfois trop de règlementations au niveau micro.

    @ Patrice

    Très juste.

    @ TeoNeo

    Les Français partagent notre constat. Le point de basculement viendra quand ils comprendront que le changement est possible.

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  6. Beaucoup, ici en Amérique du nord (notamment les libertariens avec leur discours très populiste et anarchiste) pointent du doigt tout l'inverse, c'est-à-dire que c'est l'État qui aurait trop réglementé, qui aurait favorisé les taux bas d'hypothèques et l'endettement, etc. Pour eux, la crise est due précisément à un excès de réglementation et ils nient la hausse des inégalités des 30 dernières années. Le capitalisme n'était pas le vrai capitalisme, etc.
    http://www.antagoniste.net/2011/12/03/nous-capitalistes-croyons-que/
    http://www.antagoniste.net/2012/01/05/reglementation-et-capitalisme/
    http://www.iedm.org/fr/35707-les-illettres-economiques

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  7. La doctrine néolibérale des Chicago boys n'est qu'un des vecteurs intellectuels de la mondialisation. Le projet de celle-ci est bien antérieur et remonte probablement à la fin du 18ème siècle.C'est un peu le contrepied des thèses rousseauistes sur la propriété. S'il est exact que c'est durant le mandat de J Carter (eminent membre de la Commission Trilatérale)que les actions dérégulatrice ont été les plus visibles aux Etats Unis, le transfert du droit régalien de "battre monnaie" qui est un des attributs fondamentaux de la souveraineté, avait été transféré pratiquement dés la naissance des Etats-Unis aux banques privées, comme cela se faisait déja en Angleterre.
    Milton Friedman, qui s'inspirait beaucoup de Friedrich Hayek, a posé en quasi postulat que la monnaie était indépendante de l'économie, ou du moins sans action sur celle-ci. A partir de là,le sort des démocraties était scellé, car il ne restait plus qu'à garantir les dettes publiques par le patrimoine des contribuables en arguant de l'absolue nécessité de diminuer les dettes d’état. On fait en quelque sorte "coup double" car on fait disparaitre à la fois l'état et les classes moyennes, donc la démocratie. Cela ouvre naturellement la porte à la mondialisation financière, la seule qui intéresse les banquiers. Et dire qu'il y en a qui veulent encore croire à la sincérité de la construction européenne...

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  8. Après les 30 ans d'économie programmée de la génération baby-boom et les 30 ans d'économie libérée de la génération post 68, on est donc parti pour 30 ans de quoi ?

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