C’est un
livre passionnant qui est sorti à l’automne dernier, écrit par Eric
Juillot, titulaire d’un Master d’études politiques sous la direction de Marcel
Gauchet. L’auteur propose une analyse de la construction européenne depuis la
fin de la Seconde Guerre mondiale.
Le
délitement de l’idée de nation
Dans le
début du livre, Eric Juillot rappelle qu’en 1954, quand l’Assemblée Nationale
rejette la CED (qui plaçait, déjà, les armées européennes dans l’orbite de
l’OTAN), « les députés MRP quittent
l’hémicycle pour protester contre son résultat, tandis que les députés
communistes et gaullistes entonnent une marseillaise victorieuse ».
Pendant une longue époque en effet, le
sentiment national était fort, y compris à la gauche de la gauche, comme
l’illustre le discours du PCF il y a trente ans.
Mais si l’Europe
supranationale a pu avancer, l’auteur souligne le rôle de la mutation du
sentiment national. Pour lui, la nation s’est désacralisée après la Première
Guerre mondiale du fait des 1,4 millions de morts pour la Patrie : « le sacrifice de la vie des hommes va
apparaître comme un prix trop lourd à payer pour une nation qui n’en vaut pas
la peine ». Pour lui, cette guerre a fait émerger « le sacré de l’individu dont la vie doit être
préservée ». On passe des devoirs aux droits.
Pour lui,
cela explique le comportement de nos dirigeants avec Hitler, citant Blum, qui,
après les accords de Munich écrivait se sentir « partagé entre la honte et un lâche soulagement ». Pour lui, en
1940, « les Français ont préféré
survivre à leur pays », « la
France a viscéralement refusé la guerre ». Il souligne que tout cela
explique sans doute que ce soit un Français, Aristide Briand qui, le premier, a
évoqué une construction fédérale de l’Europe, en 1929.
Puis, nous
rentrons dans une phase de mythification de la nation après 1945.
Naturellement, la période gaulliste constitue une parenthèse avec le Général de
Gaulle qui refuse toute dérive supranationale de l’Europe, allant jusqu’au
conflit avec la politique de la chaise vide. Mais ce
sursaut patriotique prend fin avec le départ du Général et on passe
carrément au déni de la nation pour laquelle ce dernier portait une « piété un peu idolâtrique » selon
Beuve-Méry.
L’Europe
contre les nations
Cette
évolution voit apparaître dans les années 1970 une caricature parfois agressive
des classes populaires par les élites intellectuelles, y compris de gauche,
comme le souligne Todd, avec l’apparition du « beauf » de Reiser.
L’ouvrier est souvent caricaturé, un terrain idéal pour le FN « enfant détestable et inévitable du déni de
la nation qui capte à son profit la
colère et parfois le désespoir de ceux qui se sentent exclus des réjouissances
économiques néolibérales ».
L’auteur
souligne qu’alors que la nation a permis l’émancipation des individus, elle est
alors rejetée comme obstacle à cette émancipation, par le cadre rigide qu’elle
imposerait. Cela favorise l’émergence de l’Europe, qui devient un « horizon moral » aligné avec « la forte tonalité anti-politique de
l’individualisme libéral ». « La
construction européenne représente une tentative de dépassement du politique
par la technocratie et le marché » ultra dominant dans les élites.
Uniquement
pour cette remise en perspective historique de la construction européenne et de
la nation, ce livre vaut le détour. Je reviendrai plus tard sur son analyse
plus politique sur les évènements récents.
Source :
« La déconstruction européenne »,
Eric Juillot, éditions Xenia
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire