La semaine
dernière, j’ai fait une série de papiers sur la
faillite de l’euro, détaillant
les raisons de cet échec, l’impasse
d’une solution de type fédérale et comment
il est possible d’en sortir. Mais la faillite de la monnaie unique
s’illustre également dans la complexité et l’échec complet de sa gestion.
A quand
la sortie de crise ?
La zone euro
est entrée en crise fin 2009, quand
les premières rumeurs d’une sortie de la Grèce de la monnaie unique sont
apparues. Il faut bien noter ici que cette crise est spécifique à la zone
euro car la quasi totalité des pays membres de l’Union Européenne vont mieux
que les participants à l’union monétaire, malgré l’immense interdépendance avec
la zone euro. Londres va aussi mal, mais cela s’explique par une austérité
sauvage et les conséquences de la crise financière.
Il est
frappant de constater à quel point cette crise ne parvient pas à être traitée.
Au début était la crise grecque, « traitée » au printemps 2010, puis
la crise irlandaise, « traitée » à l’automne 2010, puis la crise
portugaise, « traitée » au printemps 2011, puis une nouvelle crise
grecque, « traitée » à l’été 2011, puis une crise touchant l’Espagne
et l’Italie, en partie réglée à la fin de l’été, puis en décembre. Enfin, la
crise grecque a rebondi en début d’année avec un 3ème plan.
A chaque
fois, les dirigeants européens font mine de croire que le dernier plan en date
règle la crise en cours. A chaque fois, les mêmes voix (Sapir,
Lordon, Gréau, votre serviteur) répètent inlassablement que la crise
reprendra, que rien n’est résolu. Et à chaque fois, la crise reprend, comme
elle le fait aujourd’hui, sur deux fronts, en Grèce et en Espagne, avec une
possible forte aggravation si
SYRIZA emporte les élections législatives grecques prévues le 17 juin.
Une
monnaie ingérable
Bien sûr,
quelques cabris s’échinent à dire « fédéralisme,
fédéralisme, fédéralisme » ou « euros obligations, euros obligations, euros obligations » en
sautant sur leur chaise, pour paraphraser le Général de Gaulle. Mais, aucun n’a
réussi à imaginer un dispositif un tant soit peu solide et crédible. La
solution imaginée par l’institut Bruegel est totalement disfonctionnelle et
invendable en Allemagne (79% de la population s’oppose aux euros
obligations, 14% seulement y est favorable).
Je serais
ravi de débattre avec des partisans de la monnaie unique de modalités concrètes
de solutions qui permettraient de faire fonctionner l’euro, mais ils en restent
le plus souvent à des exhortations des plus floues. Et quand c’est flou, il y a
un loup disent certains… La réalité, c’est que la gestion en commun de dettes
ou d’un budget entre des démocraties est forcément très compliquée. Et comment
fonctionner si le vote d’un seul pays peut tout faire s’effondrer ?
C’est sans
doute pour cela que les eurocrates préfèrent une gouvernance technocratique,
coupée de l’influence démocratique des peuples, comme
avec la BCE. Mais même cette voie est illusoire car tôt ou tard, les
peuples balaieront cette tour de Babel qui les torture qu’est devenue l’Europe.
Entièrement d'accord avec vous Laurent Pinsolle, mais les oligarques européens useront de tout leur pouvoir pour retarder l'échéance, ce moment où les peuples balaieront cette tour de Babel. Les enjeux politiques et financiers derrière cette construction sont énormes.
RépondreSupprimerMarc-Antoine
Mercredi 6 juin 2012 :
RépondreSupprimerL'Espagne va devoir s'adresser au FESF, estime un proche de Merkel.
Le chef de file des députés conservateurs allemands, Volker Kauder, a estimé mercredi que l'Espagne devait demander de l'aide au fonds de secours européen FESF, à cause de ses banques.
« L'Espagne va devoir prendre une décision, et je pense qu'elle doit se placer sous la protection du FESF à cause de ses banques », a dit dans une interview télévisée M. Kauder, un proche de la chancelière Angela Merkel qui dirige le groupe parlementaire des Unions chrétiennes CDU/CSU.
http://www.romandie.com/news/n/_L_Espagne_va_devoir_s_adresser_au_FESF_estime_un_proche_de_Merkel_RP_060620120849-11-190680.asp
Le FESF va devoir intervenir pour sauver l'Espagne. Mais qui est derrière le FESF ?
Réponse :
1- L'Allemagne apporte au FESF une garantie de 211,045 milliards d'euros, soit 27,06 % du FESF.
2- La France apporte au FESF une garantie de 158,487 milliards d'euros, soit 20,32 % du FESF.
3- L'Italie apporte au FESF une garantie de 139,267 milliards d'euros, soit 17,85 % du FESF.
4- L'Espagne apporte au FESF une garantie de 92,543 milliards d'euros, soit 11,86 % du FESF.
En clair : pour sauver l'Espagne, le FESF va intervenir et va lui prêter 50 milliards d'euros.
Mais le FESF est une coquille vide. Comme le FESF ne possède pas ces 50 milliards d'euros, le FESF va devoir les emprunter sur les marchés internationaux, pour pouvoir ensuite les reprêter à l'Espagne !
L'Espagne est écrasée sous des montagnes de dettes. Et donc on va empiler des montagnes de dettes supplémentaires sur les montagnes de dettes qui existent déjà !
Et on va continuer à croire que ces montagnes de dettes peuvent monter jusqu'au ciel !
Évidemment d'accord sur le fond.
RépondreSupprimerLa monnaie unique est l'exemple le plus flagrant et le plus emblématique de cette construction européenne-là (je ne dis pas la construction européenne, parce qu'on aurait pu et on pourrait procéder autrement). Sa mise en place (et son maintien contre vents et marées) s'inscrit dans la logique qui préside les évolutions de l'Union, c'est-à-dire un processus fonctionnant sur le fait accompli et non sur l'assentiment des peuples.
Schématiquement, après les traités CECA et CEE, la Cour de justice avait réussi le tour de force de nous dire que tous ces textes ne serviraient à rien si on n'instaurait pas un certain degré de contraintes dont les États ne voulaient pas au moment de signer. C'est un peu une sorte de pêché originel de cette construction européenne, qui n'a cessé d'être prolongé depuis. Les points d'orgue ont été le traité de Maastricht, où le "oui" l'a emporté de peu malgré le brio de l'héroïque et solitaire Philippe Séguin et le TCE. Dans les deux cas, peu de cas ont été fait des peuples : en 1992, le Danemark a dû revoter ; après 2005, on est passé outre la volonté des Français, des Irlandais et des Néerlandais.
Profondément, la logique qui sous-tend les communautés, puis l'Union, est concentrationniste, au sens économique du terme : plus l'espace est grand, plus on est censé être fort. Le contexte de la mondialisation explique cette obsession de la taille minimale critique. Et à l'intérieur de cet espace, plus il y aurait d'intégration, plus on serait fort également. C'est dans cette combinaison que le bât blesse et que le système dans sa globalité - incluant l'euro - est ingérable, pour reprendre l'intitulé du billet.
Cette Union mourra nécessairement de cette boulimie, un peu à la façon de l'impérialisme napoléonien sur le terrain militaire au début du 19è. Parce qu'effectivement, elle ne peut fonctionner correctement qu'avec une intégration complète, c'est-à-dire avec le fédéralisme. Mais celui-ci est précisément impossible : il l'était à 6, il l'est a fortiori à 27 (dont 17 dans l'euro), avec des États de plus en plus nombreux et hétérogènes (bientôt les Croates...).
Il est là, le cœur de toute la rhétorique actuellement employée par les euro-béats pour prolonger leur rêve éveillé. Elle joue sur la peur, en essayant de nous faire avaler le fait que l'euro est un merveilleux bouclier qui nous protège, dont l'abandon nous conduirait tout droit à la troisième guerre mondiale (je paraphrase le discours du caricatural et inénarrable Philippe Dessertine). L'idée est qu'on n'aurait d'autre choix que de rester dans l'euro et de passer à un fédéralisme accru jusqu'à la plénitude. Sauf que quand on voit comment les Grecs se font insulter sur leur incivisme fiscal (réel ou supposé, mais ce n'est pas ça qui importe), on a une preuve évidente (on pourrait les multiplier), que ce système rêvé des anges ne peut être accepté.
C'est pour cela que l'on s'échine à maintenir coûte que coute la Grèce dans l'euro : pas pour le pays lui-même, dont on a que foutre du bien-être, mais pour sauver le système. Car si les Grecs sortent de l'euro et que par malheur (pour nos fédéralistes), ça marche, c'est la légitimité intégrale du système monétaire et politique européen qui vacille. D'où les éructations autoritaires contre les Hellènes, d'où le fait qu'on n'a sans doute pas tout vu en terme d'aberrations pour imposer sa continuation...
L'euro est ingérable, le système est ingérable et on sait que c'est quand on est impuissant que les tentations totalitaires naissent et grandissent...
"L’euro est une cause de désintégration. L’importance économique de la zone euro pour l’Allemagne ne cesse de diminuer. Entre 1998 et 2011, les exportations allemandes ont augmenté de seulement 89% vers la zone euro, de 97% vers l’UE-27 et de 154% vers le reste du monde. La perte de compétitivité des pays périphériques réduit en effet leur capacité à acheter des produits allemands. Le même phénomène d’éloignement des autres pays de la zone euro est vrai pour les importations."
RépondreSupprimerhttp://www.letemps.ch/Page/Uuid/a02e732e-af3e-11e1-8217-282d8dd650e3|2
On voit mal l'Allemagne ne pas sortir de l'Euro quand la récession se prolongera :
http://de.reuters.com/article/economicsNews/idDEBEE85402W20120605
Olaf
@ Marc-Antoine, Olaf & BA
RépondreSupprimerMerci.
@ Lambda
Certes, la tentation post-démocratique existe, mais le problème est que cette monnaie a autant de talons d'Achille que de pays qui la composent. Chacun (ou presque) peut partir, et alors, cet édifice bien fragile le sera plus encore et approchera de sa destruction.