Depuis deux
ans, j’ai souvent pris l’exemple de l’Argentine pour démontrer l’intérêt mais
aussi la possibilité d’une sortie
d’une union monétaire comme de la mise en place d’une véritable politique
protectionniste. Mais le modèle économique de Buenos Aires comporte aussi des
zones d’ombre.
L’essouflement
d’un modèle ?
Le principal
problème de l’économie argentine est la persistance d’une forte inflation.
Officiellement, elle reste sous les 10% par an, mais dans la réalité, comme le
souligne The Economist, qui publie un
indice alternatif, elle est sans doute au-delà de 20% par an, ce que confirme ce
papier de Régis Soubrouillard, de Marianne.
Depuis, les signaux se multiplient puisque l’économie
argentine se serait repliée en mai 2012, pour la première fois depuis
juillet 2009.
Régis
Soubrouillard reprend les propos du ministre de l’économie de 2002 à 2005,
Roberto Lavagna, celui a organisé la fin du lien avec le dollar, le défaut
et l’incroyable croissance du pays (8% par an de 2003 à 2011, sauf en 2009). L’institut
EcoLatina, qu’il a fondé, affirme que « l’inflation ne cède pas, la tension sur le marché de change persiste,
la situation financière se déteriore et les réserves internationales n’ont pas
augmenté. Une tendance à la stagnation est réellement palpable ».
Il faut dire
qu’une inflation à deux chiffres pose de gros problèmes car elle peut engendrer
une course entre prix et salaires où il n’est pas évident que les les seconds
suivent les premiers, provoquant alors de fortes pertes de pouvoir d’achat. En
outre, cela ne créé pas forcément un climat favorable à l’investissement si les
taux d’interêts sont élevés, pénalisant alors le niveau de croissance et
d’emploi. Néanmoins, cela n’a pas été le cas pour l’Argentine depuis dix ans.
Buenos
Aires reste une source d’inspiration
L’exemple
argentin indique clairement qu’il n’est pas possible pour des économies en fort
déficit extérieur et confrontée à une fuite des capitaux de rester dans une
union monétaire contre-nature. En cassant le lien avec le dollar et en faisant
défaut, l’Argentine est parvenu à relancer son économie, croître de 8% par an
et créer plus de 5 millions d’emplois, faisant fortement reculer le chômage et
la pauvreté. Et
le pays vient de rembourser les dernières dettes issues du défaut de 2002.
Bien sûr,
tout n’a pas été rose, mais on constate tous les jours que la situation de
l’Argentine se compare extrêmement favorablement à celle de la Grèce. Il faut
dire qu’outre une politique monétaire raisonnable, Buenos
Aires n’hésite pas à protéger ses industriels de la concurrence déloyale.
Le pays protège son industrie automobile, au
contraire de la France, et a imposé à Blackberry de fabriquer ses
téléphones portables localement pour les vendre.
Si l’exemple
argentin n’est pas parfait, les politiques menées à Buenos Aires sont
incomparablement meilleures que celles, mortifères et antisociales, appliquées
en Europe. C’est qu’en Argentine, on donne la priorité au peuple plutôt qu’à
des dogmes économiques abstraits.
Entièrement d'accord avec vous. Toute réussite et toute politique ont leurs limites ; l'Argentine n'échappe pas à la règle. Il n'en reste pas moins que soumise à une forte pression externe, elle a su retrouver la voie de la souveraineté et de l'indépendance.
RépondreSupprimerAu final, l'inflation est certainement un problème, mais un problème que les Argentins devront et pourront gérer eux-mêmes, dans la mesure où ils contrôlent leur politique monétaire. Ils sont bien plus libres de leur destin que les peuples européens prisonniers de l'euro, n'en déplaise à tous les nostalgiques de l'école de Chicago.
L'Argentine est liée à l'économie UE, d'où une part de ralentissement :
RépondreSupprimerhttp://www.atlantico.fr/decryptage/espagne-grece-c-est-surtout-royaume-uni-qui-est-plus-expose-crise-441832.html?page=0,0
*lève le doigt* m'sieur j'ai des questions !
RépondreSupprimerAu sujet de l'inflation :
- pour celle de l'argentine, est ce que son inflation pourrait être en lien avec le fait qu'elle ait eu une politique de remboursement de dette justement ? si non ou pas totalement, quelle en serait l'origine ?
- Je regardais une conférence/débat avec Etienne Chouard rappelait qu'il existe la possibilité d'indexer les salaires sur le cout de la vie, mais NDA ne semblait pas très favorable si ma mémoire est bonne ... pour quelle raison ? (NB : ce système existe en Belgique et a donné lieu a des manifs lorsque le gvt a voulu le supprimer)
- certains comportements économiques ne sont-ils pas inflationnistes et contre l'intérêt général ? par exemple l'usure (les taux d'intérêts) revient a créer plus d'argent que de valeur anticipée par le prêt, non ? n'est-ce pas inflationniste par nature ?
de même, que produit concrètement l'industrie du virtuel (logiciels) ? des arts ? certaines productions sans réelle valeur ne sont-elles pas abusivement incorporées a l'économie ?
tout cela ne devrait-il pas être réglementé ?
d'avance merci. veuillez recevoir blablabla.
Age
Il faut se méfier des analogies en politique. L'Argentine n'est pas l'Europe. L'Argentine peut toujours monnayer des matières premières qui se trouvent sur (sous) son sol. C'est un pays potentiellement riche (depuis son indépendance), doté d'une seule monnaie et une seule langue officielle.
RépondreSupprimerSi mes informations sont fiables, ce pays a su mettre fin aux ingérences de la part de quelques puissances étrangères, y compris des organisation supranationales telles que le FMI qui est un véritable nid pour toutes sortes de lobbys à vocation économique.
L'Argentine a compris que "l'américanisation" (néologisme de ma part), la gangstérisation de la politique dans le passé a été néfaste pour la nation, et que rien ne remplace l'autonomie, l'indépendance d'un pays.
Si je suis un partisan du modèle argentin, il faut voir qu'il a pu advenir grâce à une quasi-révolution, qui a permis de chasser les politiciens vendus aux lobbys et les conseillers du FMI.
RépondreSupprimerEt en Europe, j'ai du mal à imaginer des peuples endoctrinés par des décennies de culture bobo/consumériste avoir une capacité de révolte suffisante pour faire basculer la situation.
C'est ce qu'explique très bien Jean-Claude Michéa, qui a réfléchi sur le rôle de la nouvelle gauche, apparue avec Mai 68, et qui représente aujourd'hui le courant dominant parmi les partis "socialistes" européens.
Une gauche sociétale, qui désarme idéologiquement les peuples face à la poussée ultra-libérale au niveau économique et social.
Il y a beaucoup de points communs entre la France et l'Argentine. La France est aussi un pays latin, dominé par les États-Unis et qui est un grand producteur agricole (du moins avant que la Politique Agricole Commune ne détruise l'agriculture française).
RépondreSupprimerAntoine
@ Tous,
RépondreSupprimerAttention, je précise bien dans ce papier que je trouve que l'Argentine reste en bonne partie un modèle pour l'Europe.
@ JB Urfels et Age
Je ne suis pas un spécialiste des questions d'inflation en Argentine, mais d'après ce que dit The Economist, qui est très critique, tout en expliquant aussi les succès du pays, il y a eu un refus de s'attaquer à l'inflation de la part du gouvernement, qui semble s'accommoder d'un niveau très élevé et manipulerait les chiffres. En clair, pas de hausse de taux ou de fin d'indexation pour essayer de calmer le niveau de la hausse des prix.
Y aurait-il eu également une monétisation excessive ? A priori non, car la banque centrale est indépendante, même si le gouvernement a récupéré une partie de ses réserves.
@ Olaf
Merci.
@ Age
L'indexation a été supprimée pour casser l'inflation dans les années 1980 il me semble. Nous n'avons pas pris de position sur ce sujet. A priori, je crois qu'il faut laisser un peu de souplesse aux entreprises, même si je suis favorable à une augmentation du SMIC un peu supérieure à l'inflation (pour prendre en compte les gains de productivité).
Pas sûr que les intérêts d'emprunts soient un gros vecteur d'inflation, même s'il est vrai que comme ils provoquent de facto une création de monnaie, ils sont inflationnistes. L'utilisation de l'effet de levier me semble beaucoup plus inflationniste. En général, c'est plutôt l'équilibre entre l'offre et la demande qui génère de l'inflation. Il peut y avoir une forte création monétaire (cf crise actuelle) sans dérapage inflationniste car toute la création de monnaie est épargnée (trappe à liquidités). Et inversement, le prix de certaines MP s'envolent car il y a une croissance plus forte de la demande que l'offre malgré la faible croissance.
Sur la question des autres domaines inclus dans le PIB, les logiciels ont clairement une valeur ajoutée. J'ai tendance à dire que tout ce qui s'échange monétairement doit être compté, quelque soit son utilité (malgré la phrase de Robert Kennedy sur le PIB) mais qu'il ne faut pas regarder que cela...
@ Robert
Très juste sur l'indépendance. En revanche, le rôle des MP dans le redressement du pays est considérablement exagéré. Cf très bon papier de Yann :
http://lebondosage.over-blog.fr/article-la-fin-de-la-mondialisation-commence-par-l-argentine-69039223.html
@ Bibi
Pas d'accord. Je ne suis pas sûr que l'Argentine n'avait pas subi la même chose. Je crois que les peuples finiront par se révolter démocratiquement.
Concernant l'indépendance de la banque centrale argentine, ses statuts ont été modifiés en mars dernier, après un bras de fer entre Cristina Kirchner et l'opposition.
SupprimerSans remettre en cause le principe d'indépendance, cette réforme tend à modifier trois aspects de la politique monétaire argentine :
1/ modifier les objectifs de la Bc argentine en ajoutant au mandat initial de préservation de la valeur de la monnaie,le soutien d'un développemnent économique socialement équitable et la garantie de la stabilité monétaire et financière;
2/ mettre à disposition du trésor les excédents de la BC, en vue notamment du remboursement de la dette ;
3/ promouvoir les investissements financiers dans les activités productives.
http://www.argentina.ar/_es/economia-y-negocios/C11351-banco-central-reforma-de-la-carta-organica.php
@ Jean-Bastien
SupprimerMerci pour ces précisions.
La seule psychologie des dirigeants européens, souvent invoquée par les commentateurs pour expliquer leur entêtement suicidaire à mener une politique budgétaire restrictive, ne suffit pas. Les conservateurs ultra-libéraux européens poussent leur avantage le plus loin possible pour mettre en miettes nos systèmes de protection, nos droits sociaux, politiques, économiques ...Réduction des dépenses publiques, précarisation des salariés, diminution des impôts payés par les entreprises et les plus riches, suppression de tous les obstacles au développement du chiffre d'affaires des multinationales ... "Avec dix ans à ce régime", nous, salariés, aurons fait un grand pas (en arrière) pour nous rapprocher des salariés chinois.
RépondreSupprimerOui, tout à fait.
SupprimerLa politique actuellement menée en Europe ne peut plus être mise sur le compte de l'incompétence et/ou d'une supposée folie des dirigeants.
Je pense que la réponse au "pourquoi" de ces politiques, est plutôt à chercher dans une "stratégie du choc" (cf le livre de Naomi Klein), consistant à pourrir la situation pour imposer une forte poussée ultra-libérale (et donc par nature anti-sociale et néfastes pour les peuples) au sein des sociétés européennes.
Et au-delà de ça, l'analyse d'Emmanuel Todd sur le sujet, est également pertinente, quand il explique que l'élite a quelque part peur d'être déligitimée.
Car en revenant sur des choses et des concepts (l'euro, l'Europe) qui ont été vendus comme la huitième merveille du monde, ce serait la porte ouverte à l'explosion d'un plafond de verre, et le fameux "Cercle de la raison" cher à Alain Minc pourrait alors se voir bousculer par des formations politiques qui portent un message alternatif.
@ Sakura
SupprimerComplètement d'accord, mais je ne crois pas que cela tiendra pendant 10 ans. Les peuples européens finiront par se révolter démocratiquement. On ne peut pas torturer les peuples indéfiniment.
@ Bibi
D'accord sur le second paragraphe. En revanche, je ne pense pas que les gouvernements actuels savent ce qu'ils font. Je ne crois pas qu'ils pensent qu'il y a une autre voie possible, par manque de curiosité intellectuelle et conformisme. Il me semblerait hautement étonnant que des "socialistes" puissent soutenir de telles politiques antisociales s'ils pensaient sincèrement qu'il est possible de mener des politiques plus progressistes.
"Y aurait-il eu également une monétisation excessive ? A priori non, car la banque centrale est indépendante"
RépondreSupprimerJe ne suis pas non plus spécialiste de l'Argentine, mais je ne vois pas pourquoi l'indépendance de la Banque Centrale serait nécessairement anti-inflationniste. La Banque Centrale, et le système bancaire en général, sont sous la pression des agents économiques. Si ceux-ci anticipent l'inflation, ils la produisent par leur comportement d'emprunt, le système bancaire a le choix entre s'adapter ou provoquer un "crédit crunch". De plus le partage de la valeur ajoutée est instable, les inégalités sont fortes. En l'absence d'un consensus minimal sur la répartition, l'augmentation nominale des revenus est un moyen de reporter le conflit. Enfin la reconstruction d'une industrie nationale impose un taux d'investissement anormalement élevé financé par la création de monnaie.Tension dans la répartition, reconversion productive, conventions inflationnistes : si c'est bien le cas, la Banque Centrale n'y peut pas grand chose, sauf à casser la croissance et faire échouer le redressement en cours... En pareil cas, les seuls outils efficaces sont le contrôle des prix et l'encadrement du crédit le temps que les comportements se stabilisent.
d'accord pour dire qu'il n'y a pas incompétence mais je ne crois pas non plus a une stratégie bien définie je pense que c'est plus simple ces gens ne veulent simplement pas perdre leurs privilèges et se sont mis au service de la finance pour ramasser les miettes
RépondreSupprimerpour sakura et bibi
Supprimer@ Patrice
SupprimerD'accord.
@ J Halpern
Très juste sur le fait que l'indépendance d'une BC ne garantit pas une faible inflation. Mes écrits ont dépassé ma pensée. Merci pour cette précision que je partage.