Outre une
dénonciation du fondamentalisme de marché et des
politiques d’austérité, Paul Krugman consacre un plein chapitre à la
situation de la zone euro. Cet opposant de la première heure à l’unification monétaire
européenne ne mache pas ses mots contre la monnaie unique.
« Le problème d’une seule
monnaie »
Bien sûr,
Paul Krugman dénonce les politiques d’austérité menées en Europe, affirmant
même que « l’Europe semble prendre
la tête dans la course vers le désastre (par rapport aux Etats-Unis) »,
mais le prix Nobel d’économie apporte aussi de l’eau au moulin aux
critiques de la monnaie unique européenne : « il y a des avantages significatifs à avoir sa propre monnaie, (…) avec
la dévaluation qui peut parfois faciliter l’ajustement à une crise
économique ».
Il
prend l’exemple de l’Espagne : avec l’euro, sa seule solution est de
faire baisser les salaires alors que si le pays avait conservé la peseta, il
lui suffirait de dévaluer pour retrouver sa compétitivité. Il compare les
dévaluations au changement d’heure en soulignant qu’il est beaucoup plus facile
de passer à l’heure d’été plutôt que de demander à tout le monde de venir une
heure plus tôt pendant cette période. En outre, la monnaie unique représente
« une perte de flexibilité
problématique en cas de choc asymétrique, comme l’éclatement d’une bulle
immobilière dans un pays ».
Il souligne
également que les
conditions d’une Zone Monétaire Optimale ne sont pas remplies dans la zone euro :
les
travailleurs ne sont pas mobiles, et il n’y a pas de solidarité fiscale. Il
prend l’exemple du Nevada et de l’Irlande en soulignant que le premier a vu sa
crise amortie par l’intervention de l’Etat quand l’Irlande est laissée à son
triste sort. Il souligne que la plupart des économistes étasuniens étaient
sceptiques à l’égard de l’euro, du fait de ces deux carences majeures, comme
l’a bien expliqué Craig Willy sur le très recommandable blog La théorie du tout.
L’euro
responsable de la crise
Cette bulle
a permis une forte hausse des salaires qui a fait perdre leur compétitivité à
ces pays, dont les déficits se sont envolés. Paul Krugman reprend des
graphes qu’affectionnent Jacques Sapir pour montrer que les balances
commerciales étaient relativement équilibrées au tournant du siècle et l’énorme
divergence qui a suivi. Il soutient ainsi que : « la crise financière aux Etats-Unis a
provoqué le désastre mais il aurait eu lieu de toutes les façons ».
Bref, la crise de 2008 n’a été que le révélateur des déséquilibres
profonds de la zone euro, qui devaient tôt ou tard apparaître.
Pour Paul
Krugman, la crise de l’euro n’est pas la conséquence de l’irresponsabilité
budgétaire de quelques pays : même pour la Grèce, « l’histoire est plus compliquée que cela ».
Il souligne que les pays de la périphérie se désendettaient avant la crise, que
l’Espagne
était citée en modèle pour toute l’Europe. Pour lui, « l’Europe n’est pas un ensemble. C’est une
collection de nations qui ont leur propre budget (du fait de la faible
intégration fiscale) et leurs propres marchés du travail (parce que la mobilité
du travail est basse) mais qui n’ont pas leur propre monnaie. Et cela créé une
crise ».
L’impasse
européenne
Il souligne
que la situation pourrait s’améliorer si l’Allemagne laissait ses salaires filer
et que la BCE menait une politique plus accommodante, mais « les Allemands détestent, mais alors
détestent, l’inflation » et que la seule solution est alors une baisse
des salaires dans les pays en crise, mais que cela est très difficile. Même
l’Irlande n’est parvenue à faire baisser le coût du travail que de 4% malgré un
taux de chômage de 14%. Il pointe le
cas de l’Islande pour montrer qu’il est « beaucoup plus facile de baisser le niveau des salaires et des prix en dévaluant
simplement sa monnaie ».
En outre, il
soutient que les pays auxquels on demande de baisser leur coût du travail sont
souvent ceux qui ont connu les plus fortes bulles financières et que les
politiques d’austérité les plongent dans une dépression brutale. Ils ne
peuvent pas sortir de la crise par le haut (croissance et un peu d’inflation).
Pire, comme ils n’ont plus leur propre monnaie, ils sont à la merci de
mouvements de panique auto-réalisateurs des marchés où la peur du défaut
provoque le défaut.
Il reprend sa
comparaison entre l’Espagne et la Grande-Bretagne pour montrer qu’avoir une
banque centrale protège un pays des risques de liquidités puisque cette
dernière peut monétiser. Du coup, il soutient qu’il y a « une pénalité pour les pays qui font partie
de l’euro ». L’euro est un fardeau, et non pas un bouclier… Il
souligne que la Suède, qui a gardé sa monnaie, se porte mieux que le Danemark,
qui a lié sa monnaie à l’euro, qui se porte mieux que la Finlande, qui est dans
l’euro…
Il condamne
la politique de la BCE, qui
avait trouve le moyen de monter ses taux en 2011, à contre-temps. Il
conclut en affirmant que les « eurosceptiques,
qui avaient prévenu que l’Europe n’était pas adaptée à une monnaie unique, ont
donc eu raison ». Mais, curieusement, il n’appelle pas à démonter
l’euro, proposant plutôt la BCE à acheter la dette des pays en difficulté (sans
en préciser les modalités) et à l’Allemagne de faire un grand plan de relance
et de hausses de ses salaires.
Il est assez
surprenant qu’après cette explication détaillée des raisons pour lesquelles non
seulement l’euro ne peut pas marcher mais aussi en quoi il provoque la crise
européenne, Paul Krugman ne propose pas de le démonter. En revanche, il ne
semble pas coinvaincu par les autres issues.
Source :
Paul Krugman, « End this depression
now ! », éditions Norton, « Pour en finir dès maintenant avec la crise », éditions
Flammarion, sortie le 5 septembre, traduction personnelle
sur "le problème d'une seule monnaie" Krugman défonce les portes ouvertes tous le monde sait en europe que cela a été crée pour accélérer l’intégration de l'union dans l'ue d'une fédération de régions et pas une confédération de pays l'analyse était certes erronée mais n'a rien a voir avec de la technique monétaire c’était une décision politique qui a foiré . Les Krugman sont problématiques dans la mesure ou ils voient tout sous l'angle réducteur de l’économie mais cela ne retire rien a leur talent
RépondreSupprimerIl faudrait étudier en détail le sort de l'Union Latine, union monétaire qui a tenu jusqu'à la Première Guerre Mondiale, en Suisse jusqu'en 1926. Elle a fonctionné, avec difficultés, parce qu'elle était basé sur l'or; mais malgré cela, les différences entre les états membres en termes productivité, efficacité et cétera, sont apparues. On a même viré la Grèce (vers 1910, si je ne me trompe).
RépondreSupprimerIl faut que les pays de l'Europe du sud redeviennent compétitifs, trouvent leur modus vivendi pour faire face à la mondialisation économique. L'euro est l'obstacle majeur dans cette histoire.
Je pense que Jens Weidmann a raison; il faut stopper Draghi. Le public allemand est très mécontent de la manière dont la crise de l'euro est gérée, les sondages le confirment. Jacques Delors, l'un des euro-technocrates, disait que tous les allemands ne croyent pas en Dieu, mais tous croyent en la Bundesbank. Pourvu qu'elle restera un port de stabilité. Avec Draghi, ce serait l'inflation garantie, et ses manoeuvres provoqueraient le contraire de ce qui est visé.
Un papier récent de Sapir :
RépondreSupprimer"si une politique de dissolution coordonnée et concertée de la zone Euro était adoptée, elle prendrait la forme d’un acte européen. Tout en rendant possible pour les pays concernés de réaliser les ajustements nécessaires à un coût bien plus faible en termes de chômage par des dévaluations, elle permettrait de sauvegarder l’essentiel de l’Union Européenne. Cette politique offrirait la perspective, à moyen terme, de reconstituer sur des bases plus souples une forme d’intégration monétaire (par une monnaie commune)."
http://postjorion.wordpress.com/2012/08/02/253-jacques-sapir-sauver-leuro/
En dehors de la niaiserie géopolitique de Mitterrand ("accrocher l'Allemagne à l'Ouest"), la rationalité de l'euro c'est de servir de prétexte à des politiques de déflation salariales, et ceci depuis son origine. C'est la forme européenne du néolibéralisme, en quelque sorte notre tea-party à nous... Tant que l'euro et la dette serviront de point de coordination tacite à ces politiques, l'oligarchie s'y accrochera, quitte à ruiner l'Europe.
RépondreSupprimerKrugman, malgré toutes ses qualités, craint certainement de heurter de front le consensus des bien-pensants en prônant la sortie de l'euro... il y a une vraie difficulté à s'émanciper du paradigme dominant.
Dans le cas espagnol je ne sais si le simple retour à la peseta permettra de résoudre la quasi-faillite de tout leur système bancaire.
RépondreSupprimerIl me paraît tellement logique de revenir à des monnaies nationales... comment tous nos dirigeants européens et même un Krugman qui détail point par point l'aberration de la monnaie unique ne peuvent-ils pas préconiser la fin de l'euro ?!
RépondreSupprimerJ'ai ma réponse : je pense que dans leur tête (et à juste titre selon moi) ils se disent que si l'euro unique tombe, c'est tout leur grand projet d'Etats-Unis d'Europe qui tombe. Nos élites et leur rêve, leur ideologie, sont totalement déconnectées des réalités. JAMAIS l'Europe ne sera un Etat et je dirai même que c'est à éviter à tout prix !
Cette UE supranationale a de + en + de similitudes avec l'URSS dans sa conception et dans le comportement des élites dirigeantes.
Créons une autre Europe, une Europe qui ne soit qu'un lieu symbolique, où se passent les réunions de coopérations libres entre les Etats souverains qui veulent faire des projets ensemble. Voilà tout. Il n'y a que cette Europe qui peut prospérer, en laissant chaque Etats méner sa propre politique nationale et ses propre projets avec les Etats qu'il veut. Il n'y a que comme ça qu'on peut prospérer, tous. La coopération libre plutôt que l'intégration et l'uniformisation ultralibérale et centralisée.
C'est Dupont-Aignan qui a raison.
« Cette UE supranationale a de + en + de similitudes avec l'URSS dans sa conception et dans le comportement des élites dirigeantes. »
SupprimerOui, c'est aussi la thèse de Vladimir Bukovsky (L'Union européenne, une nouvelle URSS ?, Le Rocher, 2005).
YPB
L'UE est une oligarchie de type soviétique avec ses bureaucrates non élus qui méprisent la volonté du peuple dès lors qu'elle ne correspond à ses voeux, et donc sa doctrine de la souveraineté limitée des états et avec son parlement qui n'est comme le notre qu'une chambre d'enregistrement des ukases des "commissaires" de Bruxelles. Heureusement pour nous que ce monde est en train de mourir mais sa chute en cours est brutale et douloureuse pour les peuples qui la subissent en raison de la complicité des classes dirigeantes européennes par adhésion ou lâcheté!
Supprimer@ Patrice,
RépondreSupprimerOui, mais quand un prix Nobel d'économie progressiste dit cela, cela apporte de l'eau à notre moulin...
@ Robert
J'avais un peu regardé il y a quelques temps. Il y a des similitudes en effet. Il faudrait creuser la question en fait. Si Draghi va trop loin, les pays du Nord partent : il est coincé. Et pas sûr que ce soit le laxiste que l'on dépeint.
@ Olaf
Sapir, très bon, comme presque toujours.
@ J Halpern
L'UE et le néolibéralisme sont les deux faces d'une même pièce. C'est bizarre de voir Krugman remettre aussi fortement en cause certains dogmes des austéritaires et ne pas parvenir à passer le Rubicon sur l'euro. Je crois qu'il ne veut pas s'opposer à la dimension politique, et il ne se rend pas compte de tous les aspects néfastes de l'UE.
@ Cording
Oui, car le pays retrouvera le contrôle de sa BC et pourra aider ses banques directement, sans avoir à passer par les fourches caudines de la BCE.
@ Florent
Je crois qu'il ne faut pas attendre de ceux qui ont causé les problèmes de les résoudre, comme le répète NDA. Sur la même ligne sur la nouvelle Europe qu'il faut construire.
@ YPB et Anonyme
Tout à fait d'accord. Comme en URSS, les eurocrates disent que si cela ne marche pas, c'est parce que nous ne sommes pas allés assez loin (dans le fédéralisme / communisme pour l'URSS).
"Il est assez surprenant qu’après cette explication détaillée des raisons pour lesquelles non seulement l’euro ne peut pas marcher mais aussi en quoi il provoque la crise européenne, Paul Krugman ne propose pas de le démonter. En revanche, il ne semble pas coinvaincu par les autres issues."
RépondreSupprimerCe qui signifie que si Krugman ne propose pas le démontage de l'euro, il n'en propose pas non plus la continuation...
Rappelons que :
- Krugman est américain,
-- que les USA soutiennent inconditionnellement l'euro,
-- On ne peut pas en déduire que Krugman soutient l'euro, ce serait un sophisme,
-- mais on peut en déduire que Krugman, s'il peut par la logique défoncer l'euro comme un boxeur poids lourd contre un poids mouche asthmatique, ne peut pas proposer sa fin s'il veut pouvoir s'exprimer dans la pensée dominante utile aux USA...
- que la Russie de Putin a investi massivement dans l'euro, et le soutient de la même manière.
- ainsi que l'angleterre ou bien d'autres pays, qui soutiennent l'euro sans y être...
Dans une logique capitaliste libérale, quel est l'intérêt d'investir dans ou soutenir une chose a laquelle on ne participe pas, où l'on n'a pas d'intérêts ? l'altruisme qui empêche d'accumuler le profit ? non : ca serait contraire a cette idéologie ...
cherchons ailleurs : serait-ce parce que l'europe vaut tout les sacrifices et que toutes ces superpuissances veulent la paix dans le monde, et particulièrement en europe ? (mais pas en Lybie, ni en Syrie, ni a Gaza, ni en Afghanistan, ni etc etc etc...)
=> ah mais il y a eu la guerre froide pour nous démontrer que l'effet "bombe thermonucléaire" a su maintenir le rideau de fer, même devant l'affaire des missiles de cuba...
OH MAIS ! serait-ce rideau de fer qu'il ne faudrait reproduire ? mais un demi-monde est un monde en soi, il ne semble pas réduire l'idéologie libérale en soi, tant que ces deux mondes seraient totalement étanches (ou alors on vote Cheminade...)
- Ne serait-ce pas parce que le fait d'investir dans cette monnaie a à voir avec l'espérance "capitale" d'obtenir par là des gains supérieur aux investissements ...?
décidément quel mystère ...
Age
hors sujet un peu ; mais a voir
RépondreSupprimerhttps://www.youtube.com/watch?feature=player_embedded&v=pJdnauWK4DI#!
Moi qui n'y connaît rien en économie, mais alors rien, m'a permis d'y voir un peu plus clair, article très enrichissant. Quant à "Debout la République", je vous croyais anti américain primaire à la Soral, je suis agréablement surpris que ce n'est pas le cas, en effet citer un économiste américain fait preuve d'une grande décence intellectuelle de votre part, merci.
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