Si
Paul Krugman remet bien à leurs places les politiques néolibérales, qui ont
provoqué la crise, le cœur de son nouveau livre reste la dénonciation toute
keynésienne des politiques d’austérité, notamment menées en Europe. Ce livre
devrait être envoyé à tous les dirigeants du continent !
Une crise
de la demande
Pour lui,
comme dans les années 1930, nous souffrons d’un « sévère manque de demande ». Il souligne, que, contrairement
aux dires des néolibéraux, la baisse des dépenses publiques ne pourra pas
relancer la croissance, car, si elle s’ajoute à la baisse de la demande des
ménages (qui réduisent leur endettement), alors il n’y a aucune chance que les
entreprises compensent, car, au contraire, elles baisseront leurs
investissements du fait d’une demande trop faible. Il donne quelques exemples :
en 2006, on construisait 1,8 millions de maisons et 16,5 millions de voitures
étaient achetées aux Etats-Unis. Nous sommes tombés à 0,6 et 11,6
respectivement en 2010, même
si ces marchés repartent.
En effet, il
rappelle que : « vos dépenses sont
mes revenus and mes dépenses sont vos revenus » pour souligner qu’une
baisse des dépenses publiques provoquent aussi une baisse des revenus. Du coup,
si les consommateurs dépensent moins et le gouvernement aussi, l’économie
rentre en récession. Il souligne, à l’attention de l’Allemagne, que cela est
aussi vrai pour les pays et que les revenus d’un pays sont aussi les dépenses
des autres (outre la consommation intérieure).
Il revient
sur la sortie de la Grande Dépression, en deux temps, pour aussi souligner
qu’une fin trop rapide et brutale du soutien à l’économie, comme en 1937-1938,
peut faire replonger l’économie, que les dépenses (et les déficits) de la
guerre ont sorti de la crise. Il souligne en effet que la hausse des dépenses
militaires a fait progresser les revenus des ménages et donc la consommation,
ce qui a fait progresser l’investissement des entreprises, pour satisfaire la
demande. Il rappelle que la dépense publique soutient la demande et que la
guerre avait permis de faire taire les « austéritaires ».
Il développe
cette thèse en prenant l’exemple très parlant d’une coopérative de baby-sitting
(que je vous invite à découvrir dans le livre), qui démontre que dans une
situation où les acteurs économiques cherchent globalement à réduire leur dette
ou à augmenter leurs réserves, cela provoque une crise qui ne peut être résolue
que par des
politiques non conventionnelles de type monétisation.
Dynamiter
le discours des austéritaires
Aujourd’hui,
les néolibéraux critiquent les plans de relance d’Obama. Mais Krugman soutient
que cela vient du fait qu’ils n’étaient pas assez importants et rappelle qu’il
avait prévu cela et averti l’administration démocratie qu’il fallait aller plus
loin. En janvier 2009, il avait écrit sur son blog : « je vois le scénario suivant : un plan
de relance faible (…) pour gagner les voix des républicains. Le plan limite
l’augmentation du chômage, mais les choses restent plutôt mauvaises avec un pic
autour de 9% et une lente baisse après. Puis Mitch McConnell (chef des
républicains au Sénat) dira que la
dépense publique ne marche pas. J’espère que je me trompe », une
analyse que je partageais.
Il souligne
que les marchés permettent justement aux Etats-Unis de dépenser plus du fait
des taux très bas, contrairement aux déclarations alarmistes des « austéritaires », confirmant au passant
les analyses des keynésiens qui y voient un problème de demande. En effet, il y
a un excès d’épargne (le secteur privé réduisant son endettement), que le
gouvernement doit utiliser pour soutenir la demande. Il est donc crucial
que l’Etat dépense. Il soutient que l’endettement
actuel n’est pas si élevé d’un point de vue historique (Japon aujourd’hui,
la Grande-Bretagne a vécu avec une dette publique supérieure à 150% de son PIB
de 1915 à 1960, avec des recettes fiscales plus faibles).
Il souligne
qu’une réduction de 100 milliards de la dépense publique est une baisse
équivalente du PIB, voir plus du fait du multiplicateur. En outre, ces coupes
provoquent une baisse des recettes fiscales de l’Etat, limitant l’impact sur le
solde budgétaire, comme
le souligne même le FMI. Il conclut : « les coupes budgétaires dans des temps comme cela ont un impact limité
pour ne pas dire inexistante alors que leurs coûts sont énormes. Ce n’est pas
le moment d’être obsédé par les déficits ». Pour lui, c’est le
paradoxe où plus de dette publique peut soigner le mal causé par trop de dettes
privées.
Il balaie
les risques d’inflation évoqués par les « austéritaires » (du fait de la monétisation et des déficits) en
évoquant la trappe à liquidités. Il souligne que les entreprises
n’augmentent pas leur prix parce que la masse monétaire augmente, mais parce
que la demande augmente et qu’ils pensent pouvoir les passer avec un impact
limité sur les ventes. Idem pour les salaires. Pour lui, tant que l’économie
reste déprimée, il n’y a pas de risque inflationniste. Et, citant
une étude du FMI, il plaide pour un peu plus d’inflation pour sortir de la
crise et avance un chiffre de 4% (le niveau du second mandat de Ronald Reagan).
Il souligne que cela donnerait plus de flexibilité à la politique de la Fed.
Ce livre de
Paul Krugman est la référence absolue pour démonter les politiques d’austérité
actuellement appliquées en Europe par des dirigeants aveugles aux souffrances
des peuples et incultes économiquement. Demain, je reviendrai sur ses
propositions.
Bonjour,
RépondreSupprimerBien qu'etant de gauche, je regarde souvent votre blog, car je suis aussi contre l'euro et pour le protectionnisme...
Il me semble que Krugman est tres raisonnable et que ces points de vue sont dramatiquement sous-representes et/ou caricatures dans les medias.
Cependant, j'ai 2 questions/commentaires naifs:
- pour faire des relances (depenses) keynesiennes, il faut de l'argent. Ou le trouver et est-ce possible ? Notamment, la France a-t'elle les memes marges de manoeuvre que les USA ? (Je crains que non...).
- ces politiques keynesiennes ne sont que du court-terme, mais ne proposent pas de changement radical du cadre general. Krugman (ou ses collegues) proposent-ils des changements radicaux ou seulement des reformes douces (plus de regulation) dont je doute qu'elles puissent suffire...
Au hasard du net, je suis tombe sur ce site
http://www.politique-autrement.org/
ou la conference du 24 mars est assez interessante.
Le 1er intervenant propose un "protectionnisme altruiste", pour accelerer la convergence des salaires. Je n'y crois pas trop mais ca me semble
interessant.
Le 2eme (Le Goff) souligne que la situation n'est pas seulement du a une "trahison" des elites mais reflete aussi une tendance generale de la societe.
Ce 2eme point (independamment des details) me semble important. Peut-etre parce que je suis de gauche (;-)), il me semble que la "societe" a forcement un role important (individualisme, consumerisme,..) et que changer les gouvts ne suffirait pas...
Il me semble que vous devriez creuser ce 2eme point et en faire matiere a sujets (d'autant que vous militez dans un parti, donc etudier les points d'appuis et de resistance dans la societe devrait etre important). Il n'y a pas que l'economie au sens strict...
PS: felicitations pour votre blog, et aussi (meme si c'est secondaire, sauf pour les personnes concernees) pour vos articles recents sur l'homosexualite ou vous avez ete critique. C'est bien de voir qu'il y a diversite/liberte d'opinions et que vous n'etes pas la caricature ringarde donnee par les medias...
Tout gouvernement peut avoir des marges de manoeuvre dès lors qu'il s'affranchit des dogmes néolibéraux et européistes de monnaie forte à tout prix, de faible inflation et déficit budgétaire donc de réduction des dépenses publiques qui, en période de récession, sont totalement contreproductives. Bref il faut se libérer, se décoloniser mentalement du TINA (There Is No Alternative) de la mère Thatcher et de tous ses épigones!
Supprimer"pour faire des relances (depenses) keynesiennes, il faut de l'argent. Ou le trouver et est-ce possible ?"
SupprimerLa crise ne provient pas de ce que l'argent n'existe pas (en fait, cela n'a guère d’importance puisqu'il ne s'agit que d'un jeu d’écritures) mais de ce qu'il ne circule pas ; l'épargne est thésaurisée ou absorbée par le remboursement des dettes et par les marchés financiers. La dépense publique remet ces flux monétaires en circulation.
Le problème vient plutôt des "fuites" dans le circuit ; avec le libre-échange intégral et la libre circulation internationale des capitaux, nos politiques de relance seront en grande partie siphonnées par l'étranger. Le préalable est donc de restaurer des filtres aux frontières pour renationaliser notre circulation monétaire.
"Notamment, la France a-t'elle les memes marges de manoeuvre que les USA ? (Je crains que non...)."
Les États-Unis profitent encore un peu du fait que le dollar est désiré en tant que monnaie internationale, ce qui leur permet de négliger ces fuites (les dollars "perdus" reviennent se placer aux États-Unis, en gros... mais cela ne suffit plus à les préserver de la désindustrialisation). En France, nous ne pourrons pas compter là-dessus, l'indépendance économique passe par une politique appropriée de protection aux frontières.
"- ces politiques keynesiennes ne sont que du court-terme, mais ne proposent pas de changement radical du cadre general"
Tout dépend ce que vous entendez par "changement radical". Mises en œuvre de façon cohérente (c'est-à-dire, une fois encore, en contrôlant les mouvements de capitaux) ces politiques permettraient d'éliminer le surendettement et de reconnecter le financement et la production. Ce premier changement desserrerait l'emprise des rentiers sur la politique des entreprises, ce qui créerait les conditions de moindres inégalités salariales. Ce ne serait déjà pas mal !
@ Anonyme,
RépondreSupprimerMerci. Ce livre est un bol d'air frais. Il sera intéressant de voir si sa sortie le 5 septembre en France permettra de nourrir le débat.
Question 1 : trouver de l'argent n'est pas un problème pour la France ou les Etats-Unis aujourd'hui étant donnés les taux auxquels nous empruntons. Les marchés nous font confiance. Au pire, la Banque Centrale peut financer. Cela est possible aux USA ou en GB, dont les BC ont des programmes de rachat de bons du trésor. Dans la zone euro, cela dépend de la bonne volonté de la BCE (autant dire, mal parti).
Question 2 : Krugman (ou Stiglitz) font pas mal de propositions de réforme du cadre économique. J'ai chroniqué le rapport Stiglitz cet été qui fait de très nombreuses propositions dans le domaine de la finance. Vous pouvez vous référer aux nombreux papiers que j'ai consacré aux deux auteurs (sur certains de leurs livres) pour voir qu'ils font des propositions de changement de long terme (même s'ils pêchent à mon sens sur la question du protectionnisme, encore que leur discours devient de plus en plus ouvert avec le temps).
Je vais essayer de regarder la conférence. Les participants ont l'air d'être de grande qualité. Sur le premier point, a priori, je suis complètement d'accord. Deux idées : des droits de douanes progressifs fonction du niveau des salaires et des droits sociaux, ce qui donnerait une prime au progrès social ; reverser une partie des droits de douanes à l'aide au développement.
Deuxième point que je dois travailler. Il me semble que cela rejoint les réflexions de Jacques Généreux dans la dissociété.
@ Anonyme 11:26
Complètement d'accord
" Les marchés nous font confiance."
SupprimerPour le moment oui... (je dirais plutôt que nous leur faisons moins peur que l’Espagne ou l’Italie, d'où un afflux temporaire de capitaux...). Mais serait-ce encore le cas si nous engagions une vigoureuse politique de relance ? Une politique audacieuse fera nécessairement "peur", les anticipations des marchés ne sont pas rationnelles.
"Au pire, la Banque Centrale peut financer.". En effet, et même les banques commerciales le feront volontiers dès lors qu'elles seront privées de leurs arbitrages spéculatifs et que la politique macroéconomique garantira le bouclage macroéconomique du circuit. Le problème n'est pas l'argent mais sa circulation.
Si nous dépendons des marchés c'est que nous le voulons bien depuis la loi de 1973 Pompidou-Giscard confirmée par les traités européens. Il ne faut pas oublier que les Français ont un fort (trop fort) taux d'épargne qui peur servir à financer tous les investissements publics non faits à cause d'orthodoxie financière.
Supprimer@ Pinsolle
RépondreSupprimerEt montebourg votera oui au traité européen... au fait vous y etiez allé à la primaire socialiste comme bcp de ndistes pour le voter?
@ J Halpern
RépondreSupprimerC'est juste, encore que les marchés prêtent sans broncher aux Etats-Unis ou au Japon...
@ Anonyme
Cela semble plus compliqué que cela sur la loi de 1973. Il faut que je fasse un papier sur le sujet d'ailleurs.
@ Fiorino
Quelle girouette ! Non, je ne suis pas au PS. Pas de raison que j'aille voter à mon sens.
sur Montebourg texte un peu ancien mais bien vu
RépondreSupprimerhttp://ecodemystificateur.blog.free.fr/index.php?post%2FMontebourg-Dupont-Aignan-France