Le 5
septembre pourrait être une journée d’hommage à Keynes puisqu’outre
Paul Krugman, Joseph Stiglitz sortira son nouveau livre en France, « Le
prix des inégalités », dont voici donc en avant-première une
analyse personnelle. Un livre là encore essentiel.
L’inspirateur
des 99%
Comme il le
rappelle dans la préface, le « prix Nobel d’économie » 2001 a inspiré
le mouvement « Occupy Wall
Street » à travers un papier intitulé « Des 1%, pour les 1%, par les 1% » publié par Vanity Fair. Pour lui, trois thèmes
résonnent dans les mouvements de révolte du monde entier : « le fait que les marchés ne sont ni
efficaces, ni stables ; que le système politique n’a pas corrigé les
échecs du marché et que les systèmes politiques et économiques sont
fondamentalement injustes ». Pour lui, l’inégalité de notre système
contribue à son instabilité, qui accentue son inégalité.
On trouve
dans son analyse un écho direct du
livre de James K Galbraith, qui attribuait à la montée des inégalités une
part de la responsabilité de la Grande Dépression. Stiglitz dénonce le chômage
comme « le pire échec du
marché », ainsi que les expulsions et la baisse du pouvoir d’achat.
Pour lui, il ne faut pas oublier que l’Etat a joué un rôle majeur dans les
progrès des deux derniers siècles, tout comme les marchés même « s’ils peuvent aussi concentrer la richesse,
faire payer à la société les coûts environnementaux, abuser les travailleurs
comme les consommateurs ».
Pour lui,
« les marchés doivent à nouveau être
domptés et tempérés ». Parallèlement, ill souligne que le
rêve étasunien de l’ascenseur social n’est plus « qu’un rêve, un mythe renforcé par des anecdotes » et dénonce
la montée d’une guerre des classes contraire à l’esprit de son pays.
Aujourd’hui, le succès des plus riches n’apporte plus rien au reste de la
population, qui souffre du chômage, de la baisse du pouvoir d’achat, et qui a
été exploitée pour de l’argent avec les subprimes. Pour lui, « la démocratie doit défendre l’intérêt
général, pas les intérêts particuliers ou ceux du sommet ».
La grande
divergence
Depuis 30
ans, « ceux qui sont dans les
derniers 90% ont vu leur revenu progresser de 15% quand ceux qui font partie
des 1% du haut ont connu une augmentation de 150% et ceux du 0,1% de plus de
300% ». Le top 1% reçoit 57% des revenus du capital et depuis 30 ans a
cumulé près de 90% de la hausse des revenus du capital (quand les 95% du bas
n’en ont eu que 3%). Pour lui, « cela
devient difficile pour ceux qui appartiennent au 1% du haut d’imaginer ce
qu’est la vie en bas ». Comme
Krugman, il note que la Grande Récession a coûté la bagatelle de 15
millions d’emplois.
Il dénonce
l’illusion de la croissance des années passées en expliquant que 80% des
ménages dépensaient 110% de leurs revenus (en empruntant le reste) et
qu’aujourd’hui, ils doivent dépenser moins de 100% pour réduire leur
endettement, tout en souffrant du chômage, d’une baisse des pensions de retraites
qui étaient capitalisées et alors que certains ont perdu leur maison. Pire, le
pays souffre d’un système de santé aussi cher qu’inefficace (le pays est classé
40ème par la Banque Mondiale, moins bon que Cuba, la Biélorussie ou
la Malaisie pour la mortalité infantile par exemple).
Une
société cassée
Stiglitz
soutient que les Etats-Unis ne sont plus le pays de l’égalité des chances. Il
cite une étude qui montre que seulement 25% des enfants nés dans une famille
appartenant au dernier cinquième de la population en terme de revenus y restent
au Danemark, contre 30% en Grande-Bretagne et 42% aux Etats-Unis. Et seulement
8% parviennent au premier cinquième, contre 12% au Royaume-Uni et 14% au
Danemark. Bref, à mille lieues du rêve étasunien, le pays souffre d’une forte
reproduction sociale, comme
le soulignait déjà Paul Krugman dans son livre de 2008, « L’Amérique que nous voulons ».
Il souligne
que seulement 9% des étudiants des grandes universités viennent des 50% de
familles sous le revenu médian quand 74% viennent du premier quart… Il souligne
l’envolée des hauts salaires : les patrons des grandes entreprises
gagnaient 30 fois plus que les ouvriers dans le passé, 200 fois plus
aujourd’hui (et seulement 16 fois plus au Japon). Il souligne que le niveau
d’inégalités du pays approche celui de l’Iran, de la Jamaïque ou de l’Ouganda.
Et il tord le cou à l’argument selon lequel trop d’égalité tuerait la croissance
avec le cas de la Suède, qui a cru 0,5 point plus vite par an depuis 2000.
Pire, il
souligne que cette récession est très atypique dans le sens où « si la part des revenus ont baissé, beaucoup
d’entreprises font des profits importants », comme
je l’avais souligné cet été. Pour lui, « ceux qui ont le pouvoir l’utilisent pour renforcer leurs positions
économiques et politiques, ou au moins les maintenir. Ils essaient également
d’influencer le débat pour rendre acceptables des différences de revenus qui
auraient été considérées comme odieuses autrement ». Pour lui, « les Etats-Unis ont le potentiel de devenir
de plus en plus un pays d’oligarchies héritées ».
Il souligne
l’effondrement du taux d’imposition marginal sur le revenu (70% sous Carter,
28% sous Reagan et 35% aujourd’hui). Il note l’injustice du taux d’imposition
des revenus du capital (à 15%), qui aboutit à ce que les 400 ménages qui
gagnent le plus paient 16,6% de taux d’impôt contre 20,4% en moyenne en
2007. Il trouve paradoxal que « dans
un pays plus inégal que la moyenne, le gouvernement fasse pourtant moins pour
corriger ces inégalités par les impôts ou les dépenses publiques ». Il
souligne qu’il est impossible de détacher la contribution d’un individu de
l’ensemble de la société.
Il cite
Warren Buffet pour qui « il y a bien
eu une guerre des classes depuis 20 ans et que ma classe a gagné ». Après
ce propos introductif de constat sur l’augmentation des inégalités, Joseph
Stiglitz étudie les causes et les conséquences de cette montée des inégalités.
Ce qui est curieux c'est que les journalistes français ont toujours une vision bisounours et manichéenne des Etats unis avec le bon noir Obama et le méchant blanc Romney et l'hilarant clint inspecteur la bavure a l’américaine qui pourtant était une sorte d’icône cinématographique de gauche
RépondreSupprimerLe problème c'est que les classes dirigeantes, les industriels notamment, n'ont plus besoin d'une masse de travailleurs pour dégager du bénéfice; le fordisme, qui était à l'origine de la richesse du peuple américain (et européen)depuis 1910 a presque disparu, les nouvelles technologies permettent de produire plus, plus vite et à n'importe quel endroit. C'est la raison pour laquelle les syndicats sont affaiblis - le patronat n'a plus besoin de paix sociale pour s'enrichir et le chômage augmente.
RépondreSupprimerL'autre problème réside dans la mentalité américaine. Les gens, qu'il soient aisés, riches ou pauvres, estiment que le système américain est le meilleur du monde: ce n'est pas le système qui doit être mis en cause, le marasme actuel est dû au personnel politique, au président en particulier.
Les industriels ont quelques fois besoin d'une masse de travailleurs comme dans l’électronique grand public mais dans ces cas là ils vont la chercher dans les pays ou on peut les exploiter.
RépondreSupprimerSur le travail de masse ce n'est pas la première fois que j’écris que celui ci est en voie de disparition et qu'il va bien falloir si nous ne voulons pas de très grave conflits sociaux développer une stratégie incluant ce fait et ce n'est surement pas la relance de la consommation qui va faire bosser encore plus de robots qui va résoudre le problème
RépondreSupprimer@ Patrice
RépondreSupprimerC'est juste mais en même temps, les républicains sont très très à droite sur un certain nombre de questions...
@ Robert
Très bien décrit. C'est cela la globalisation. Avant, les entreprises avaient intérêt à ce que le pouvoir d'achat des travailleurs progresse. Aujourd'hui, le travail n'est plus qu'un coût globalisé qu'il faut sans cesse réduire sans se soucier de l'impact local.
Complètement d'accord sur le second point (cf papiers suivants).
@ TeoNeo
Le travail n'est plus qu'un coût aujourd'hui.
@ Patrice
Toujours pas convaincu. Le fait que que les Etats-Unis soient au plein emploi en 2007 malgré un gros déficit commercial démontre à mon sens qu'il est parfaitement possible d'y revenir.
Cela démontre surtout le pragmatisme etat uniens mais peut t'on appeler plein emploi un phénomène qui dure quelques mois , pour se rendre compte du niveau de chômage réel il faut prendre en compte les allocataires du food stamp ( programme issu du new deal qui permet aux plus pauvres de s'alimenter a minima) ; le plein emploi réel et non manipulé est devenu un rêve ou cauchemars le gros déficit commercial est un chèque en bois sur l'avenir .
SupprimerTout cela pour dire que c'est inéluctable le génie sans bouillir de l'homme c'est la paresse qui lui a permis de déplacer des montagnes avec le petit doigt et a régler son compte définitivement au travail
L'emission de Laurence Luret en peau de caste
Supprimerhttps://www.google.com/#hl=fr&newwindow=1&safe=off&sclient=psy-ab&q=guillebeau+france+inter+&oq=guillebeau+france+inter+&gs_l=serp.3...38713.38713.5.39085.1.1.0.0.0.0.287.287.2-1.1.0...0.0...1c.rcjCsGGiSyM&psj=1&bav=on.2,or.r_gc.r_pw.r_cp.r_qf.&fp=ebf177bb236acb8f&biw=1920&bih=980
Jean Claude Guillebaud "une autre vie est possible" sommes nous en mutation ?
le bon lien de Laurence Luret
Supprimerhttp://www.franceinter.fr/emission-parenthese-crise-des-raisons-d-esperer
Ok pr Stiglitz, voilà pr krugman
RépondreSupprimerhttp://essaidereinformation.blogspot.fr/2012/06/gestion-de-crise-le-changement-ne.html