Après
avoir décrit l’étendue de l’explosion des inégalités, Joseph Stiglitz
étudie les raisons pour lesquelles les inégalités augmentent aux Etats-Unis. Il
pointe la responsabilité des politiques suivies et la formation de rentes de
situation avant de pointer les conséquences néfastes de cette évolution.
Une
responsabilité politique
Pour
Stiglitz « si personne n’est
responsable, si aucun individu ne peut être tenu fautif de ce qui s’est passé,
cela signifie que le problème vient du système politique et économique (…) les inégalités aux Etats-Unis sont le
résultat de distorsions du marché avec des incitations non pas à créer de la
richesse mais à en prendre aux autres ». Il affirme que « les forces de la compétition doivent limiter
le niveau des profits, mais si les gouvernements ne font pas en sorte que les
marchés soient compétitifs, il peut y avoir de gros profits monopolistiques »,
dans une analyse finalement assez libérale.
Mais il
critique la théorie de la main invisible en soulignant qu’elle a abouti « au bien-être des banquiers, avec le reste de
la société qui en a payé le coût ». Il souligne que le penseur du
libéralisme avait bien conscience du risque de « conspiration contre le public ou d’un certain stratagème pour augmenter
les prix ». Du fait des disfonctionnements du marché, il revient à
l’Etat de « mettre en place des
taxations et des réglementations pour que les incitations privées et les
bénéfices sociaux soient le plus alignés possible », contrairement à
ce qui s’est passé en 2008.
Il cite des
exemples d’imperfections du marché : les externalités (quand les actions
d’un parti ont un effet important sur la collectivité sans qu’il en assume les
conséquences), quand il y a des asymétries d’information, ou quand il y a un
problème d’assurance contre le risque. Il conclut que peu de marchés peuvent
éviter tous ces travers et qu’il revient au gouvernement de corriger ces
imperfections, même s’il ne peut pas le faire de manière parfaite. Il note
néanmoins que les réglementations de la Grande Dépression ont évité une crise
financière pendant des décennies.
Rentes et
prédation
Il dénonce
les banques, l’industrie minière, l’industrie pharmaceutique et l’industrie
militaire comme les spécialistes de la recherche de rentes en
soulignant qu’un bon contrat dégage de beaux profits. La Russie des années
1990 représente l’exemple absolu de cette recherche de rentes avec les rachats
à bon compte d’entreprises publiques par les oligarques. Il critique la
législation des brevets qui ne favoriserait pas l’innovation mais plus la
recherche d’un profit monopolistique. Il souligne le rôle de l’école de Chicago
dont le laisser-faire est trop tolérant avec les monopoles.
Il dénonce
les pratiques prédatrices de Microsoft, ou des banques, qui
manipulent le LIBOR. Pour lui, certains arrivent « à écrire les règles du jeu, en les écrivant
de manière à amplifier leurs chances de succès (…) et même choisir les
arbitres ». Il parle de « capture
cognitive » des régulateurs et dénonce l’importance du lobbying (3,2
milliards dépensés en 2011 avec 3100 lobbystes pour le secteur de la santé et
2100 pour le secteur de l’énergie et des ressources naturelles). Pour lui,
c’est « la principale distorsion de
notre système politique, et le principal perdant est notre démocratie ».
Il cite le
cas d’une loi qui avait restreint la possibilité de négociation du prix des
médicaments et abouti à « un cadeau
de 50 milliards de dollars » aux laboratoires pharmaceutiques. Il
évoque le fait que ces derniers dépensent plus en marketing qu’en recherche. Il
évoque également la réglementation financière qui a donné aux produits dérivés
une séniorité en cas de banqueroute et interdit la restructuration des prêts
étudiants. Il dénonce les pratiques agressives de nombreuses entreprises qui
bafouent les droits des consommateurs dans la téléphonie ou les cartes de
crédit.
Il cite un
exemple, souvent avancé par
Nicolas Dupont-Aignan, à savoir que les banques centrales prêtent « des montants illimités d’argent aux banques
à taux presque nuls ans et leur permet de prêter cet argent aux gouvernements à
des taux bien plus élevés (ce qui revient) à leur donner un cadeau caché qui
vaut des milliards de dollars ». Il dénonce les pratiques de
l’industrie minière qui avait bloqué une réforme qu’il avait poussée quand il
travaillait pour l’administration Clinton. Il dénonce également les dirigeants
d’AIG qui demandaient que les bonus soient honorés en pleine faillite !
Contrairement
à la Suède dans les années 1990, qui n’avait protégé que les déposants des
banques, Il dénonce un sauvetage qui a profité aux banquiers, aux actionnaires
et aux créanciers, ce qui a abouti à un « transfert massif de richesses ». Il soutient que « jamais dans l’histoire, tellement avait tant
donné à si peu qui étaient si riches sans rien demander en retour ». Il
juge incroyable que les ménages victimes des prêts immobiliers n’aient presque
rien eu alors qu’il était possible de transformer une partie des créances
bancaires en part dans le capital des maisons par exemple.
Les
problèmes posés par les inégalités
Comme
Galbraith, Stiglitz souligne que les ménages aisés consomment une
proportion moins grande de leurs revenus et que, donc, une augmentation de leur
part dans les revenus globaux tend à déprimer la demande globale. Plus loin, il
affirme que « plus une société est
divisée en terme de richesse, plus les riches sont réticents pour dépenser de
l’argent pour les besoins communes. Ils n’ont pas besoin de l’Etat pour des
parcs, l’éducation, les soins médicaux ou leur sécurité. Ils peuvent acheter
tout cela par eux-même. Dans le processus, ils s’éloignent des gens
ordinaires ».
Stiglitz
souligne également que plus une société est inégale, plus la pression est forte
pour réduire les dépenses publiques, dont une partie est pourtant très
bénéfique à tout le monde (investissements publics, recherche). Qui plus est,
dans un pays exagérément judiciarisé, la loi du plus riche tend à l’emporter
devant le coût extrêmement élevé des procédures. Il souligne également que
l’envolée des très hauts revenus distord la perception des salaires relatifs
(les hauts salaires pensant alors faire partie des classes moyennes) et
appauvrissent relativement l’ensemble des autres salariés.
Mais il y a
un point positif paradoxal dans cette situation. Même si le constat est
attristant, puisque cette inégalité est le produit des politiques menées, il
est possible de revenir sur cette situation. C’est le message d’espoir que veut
malgré tout passer le « prix Nobel d’économie » 2001 dans ce livre.
Quand j'entends le mot "rente de situation", je sors mon clavier...
RépondreSupprimerCar l'expression est suffisamment floue pour être facilement retournée contre l'intérêt général. Dans une société stable, quel est le salaire qui ne peut pas être présenté comme une rente ?
Et déjà les éditorialistes s'emploient à appeler à la lutte contre les rentes, par quoi ils entendent une intensification de la concurrence (non pour les seuls "riches", mais pour tout le monde), ce qui ne peut pas ne pas signifier une baisse de qualité de vie.
Désolé, mais un salaire n'est pas une rente ! Il est la contrepartie d'un travail ! La rente correspond à une richesse gagnée sans véritable contrepartie, à un salaire payé sans travail en retour (le banquier qui prête aux états à un taux supérieur à celui auquel il a lui-même emprunté par exemple ...)
SupprimerDénoncer l'aléa moral c'est très bien, vouloir casser les banques en deux en séparant les activités de prêt et de spéculation également, mais il manque dans cet exposé des causes de la croissance (quasi sans précédent) des inégalités, le rôle majeur, fondamental du libre-échange :
RépondreSupprimer1/ D'une part, par l'externalisation de la production dans les sphères économiques à très bas coûts, permettant d'optimiser le rendement du capital et la profitabilité des multinationales, et donc celle de leurs actionnaires.
2/ D'autre part en permettant d'organiser un gigantesque système de fraude et d'évasion fiscale à l'échelle mondiale par l'entremise de bases offshores ou de "lieux de villégiature", visant à substituer tout ou partie des revenus et dividendes (tirés précisément du point 1, entreprises et actionnaires) aux prérogatives de prélèvements des Etats, créant ainsi les conditions d'une crise de recettes de plus en plus prépondérante (creusant le déficit et gonflant la bulle de crédit générateur à terme de collapse). Ce processus favorisant une politique, en réalité contrainte par la rationalité du système macro-économique, de défiscalisation généralisée essentiellement des ménages et des groupes les plus riches.
3/ Enfin en justifiant par ladite rationalité - soit par des contraintes objectives de compétitivité entre sphères économiques radicalement hétérogènes, ressassées ad nauseam par nos élites stipendiées sans évidemment que l'on s'attaque à ses causes structurelles fondamentales : la mise en compétition mondiale directe par l'abattement de protection douanières aux frontières - instituant un capitalisme à basse pression salariale par contraction progressive de la masse salariale notamment occidentale, entrainant une insuffisance chronique de la demande qui ne peut être combattue, là encore, que par le palliatif du développement déraisonnable de l'accès au crédit. La boucle est donc bouclée.
A quand M. Stiglitz pourfendeur du libre-échange et de la mondialisation néolibérale, et concomitamment promoteur résolu d'un protectionnisme intelligent et qui, pour le coup, profiterait certainement au plus grand nombre ?
Bonjour
SupprimerVous avez tout à fait raison
Et c'est là ou s'arrete systematiquement le courage de Stiglietz : dénoncer avec intelligence tous les défauts du capitalisme actuel sauf le plus gros : le libre échange intégral
bon article
RépondreSupprimerSur Chavez...
En France il est beaucoup brocardé, à tort à mon sens. On le décrit comme un nouveau Castro, comme un communiste dur, dictateur, alors qu'il en est loin. Un exemple ? Les médias. On dit qu'il tient les médias (Cohn-Bendit la encore dit sur BFM il y a peu) alors que c'est faux, 80% de l'audimat se fait sur les chaînes de TV privées qui sont soit neutres soit très anti-Chavez. Berlusconi lui avait des chaines TV et elles faisaient le gros de l'audimat, Chavez a une chaine publique d'Etat comme l'ORTF d'avant à coté de ces chaines privées.
Sur la pauvreté, il a hérité d'un pays catastrophique, il a fait un temps de travail minimum, des congés payés, la redistibution des richesses du pétrole vers le social, la santé gratuite, etc. L'Occident le dit dictateur car il ne plait pas aux riches neolibéraux sur sa politique intérieur et sa politique extérieur connue pour sa dénonciation de l'hégémonie américaine mais il est bien légitime démocratiquement et il y a des partis d'opposition politique.
C'est bien plus un président patriote version gauche comme l'a été De Gaulle (version droite) qu'un dictateur communiste. Et je vous dit ça je ne suis pas d’extrême gauche.
Faudrait quand même arrêter avec cette victimisation en France il y a beaucoup de sponsors de Chavez qui se balladent dans les médias. Quand à berlusconi votre discours est completement faux sur les médias, d'ailleurs berlusconi n'a jamais été réelu. Elu, battu, Elu etc.. Quand à Chavez il a tellement combattu les inégalités que lui même a du aller à Cuba pour se faire soigner. La comparaison avec De Gaulle n'a pas de sens, la France ne possède pas les richesses pétrolières du Venezuela.
Supprimer@ Anonyme,
RépondreSupprimerMerci pour la réponse. Je suis d'accord. Stiglitz vise ici les rentes de situation des banques, de la pharmacie, des compagnies minières ou du complexe militaro-industriel.
@ Julien
Ce sera le sujet du papier de demain... Stiglitz évolue. Il y a peu, il était totalement opposé à toute forme de protectionnisme. S'il ne passe pas totalement le rubicon, il ne le condamne plus et tient un discours qui dénonce les conséquences du libre-échange.
Il a toujours dénoncé les parasites fiscaux et il recommence ici en proposant d'interdire tout échange avec eux.
@ Marc
Ici, je rapporte le propos de Stiglitz, qui ne représente pas ce que je pense. Même si je crois que la présidence Chavez n'est pas sans limite (en même temps, il est difficile d'avoir un discours équilibré et neutre sur le sujet), en revanche, non seulement il a fortement combattu les inégalités , mais en plus, il respecte globalement le bon fonctionnement démocratique, y compris quand il perd un vote.