lundi 24 septembre 2012

La victoire temporaire des démagogues


Après avoir étudié le divorce entre les élites et le peuple, Vincent Coussedière poursuit son analyse en en décrivant les conséquences sur la société, l’impasse politique actuelle et esquisse une issue.

Une société et une nation abîmées

En fait, son analyse rappelle celle de Jacques Généreux dans « La dissociété », même si son discours l’ancre à droite puisqu’il écrit : « le gauchisme est justement l’adaptation du marxisme à l’absence de classe et de conscience de classe. Ce sont les individus désocialisés que le gauchisme entend promouvoir et réunir. Ce qui est politique n’est pas ce que les individus ont en commun, mais ce qui les singularise au contraire, et les différencie ». Pour lui, c’est « la communauté de l’absence de communauté ». Dommage qu’il ne note pas que le néolibéralisme de droite pousse dans le même sens.

Il voit dans la revendication individuelle de mai 68, qui donne la priorité aux droits sur les devoirs, une remise en cause de «  la conception classique et républicaine de la liberté politique. Il ne s’agit pas de s’arracher à l’intérêt particulier, de le mettre de côté pour accéder au commun, il s’agit au contraire de forcer le commun, le collectif, à reconnaître ce qui est le plus privé ». Pour lui, « La coexistence des identités est le programme multiculturaliste et communautariste commun au gauchisme et à l’européisme. La loi devient le garde-fou des identités, toutes également respectables en théorie ».

Il critique « les mouvements identitaires (qui) procèdent de la décomposition des mouvements politiques. Devant l’impossibilité d’adopter librement des fins communes, ils recherchent la transcendance d’une fin indiscutable qui refasse l’unité de la communauté ». Mais il note que « ce que la construction européenne propose en substitution à l’appartenance citoyenne, c’est l’appartenance à n’importe quelle collectif identitaire », sauf national bien sûr. Il rappelle que Mitterrand disait en 1971: « s’il est interdit d’envisager une Europe socialiste à court terme, à partir d’une France socialiste, l’évolution s’accélerera ». Quarante ans après, rien n’a bougé en Europe et le PS tient le même discours.

Quelle issue politique ?

L’auteur pense que le temps des démagogues passera : «  le peuple français ne s’est pas reconnu dans le miroir qu’a cherché à lui tendre le démagogue. Il sait que son être politique ne réside pas dans une identité commune, mais dans une sociabilité partagée qui est la seule base possible d’une volonté collective librement construite ». Et il note qu’en « flattant des intérêts contradictoires auxquels il ne demande pas de sacrifice, le démagogue ne peut qu’aboutir à une addition de mécontentements ».

Tout ceci nous mène vers un scénario communautariste et impérial : « à l’intérieur, il n’y a plus que des communautés définies par leur identitié, et non un peuple défini par sa similitude. Vis-à-vis du dehors, il y a une autorité politique qui n’est plus celle du peuple lui-même, mais d’une oligarchie impériale », alliée des technocrates. « Le technocrate a besoin du démagogue pour retrouver le peuple, le démagogue a besoin du technocrate pour retrouver la boussole d’un bien commun ».

Pour lui, « Giscard fut un technocrate perméable aux démagogies de son temps, Mitterrand fut un démagogue qui sut s’allier aux meilleurs technocrates (…) Jacques Chirac, qui leur succéda, fut une curieuse synthèse de technocratie et de démagogie, une sorte de techno-démagogue », avec un surmoi gaulliste, que Sarkozy n’avait pas. Ce dernier est décrit comme un simple jouisseur du pouvoir, dont le patriotisme n’était que « publicitaire » et dont  l’engagement européen camouflait le vide de sa pensée politique. Il voit en Hollande un techno-démagogue au surmoi mitterrandiste et delorien.

Pour lui, « le populisme est l’entrée en résistance d’un peuple contre ses élites, parce qu’il a compris que celles-ci le mènent à l’abîme ». L’auteur appelle à une recomposition profonde de l’offre partisane et pense que, comme en 1940, nous aurons besoin d’un grand homme pour nous en sortir.

Source : « Eloge du populisme », Vincent Coussedière, Elya éditions

5 commentaires:

  1. Excellent compte-rendu qui donne envie de lire l'ouvrage. En effet, le populisme est connoté souvent négativement comme la tentative de flatter les intérêts du peuple avec de mauvais sentiments (comme dans le cas de la xénophobie, du discours anti-élite, ou anti-autorité). Souvent, cette posture est à tort confondue avec la démagogie, qui est pourtant le vrai "populisme" au sens où on l'entend actuellement.
    La démagogie consiste à servir les intérêts de certains groupes d'intérêts de l'opinion publique, et pousse ainsi à adopter une logique communautariste. Elle est donc souvent de clientélisme: déjà, dans l'Antiquité, elle était présente chez certains hommes politiques, comme Denys l'Ancien à Syracuse qui s'appuyait sur le mercenariat, ou Marius dans la Rome républicaine qui s'appuyait sur la plèbe. La logique même du démagogue consiste donc à scinder la société afin de servir les intérêts du pouvoir. De nos jours, celle-ci prend une nouvelle forme: alors que le démagogue cherchait avant à affermir son pouvoir par la démagogie, celle-ci lui permet maintenant de masquer bsa propre impuissance, et sa propre incapacité à gouverner: c'est parce que la France n'a plus la souveraineté économique, budgétaire, et même fiscale que nos hommes politiques cherchent à faire diversion sur des sujets comme le non-cumul des mandats, le vote des étrangers aux élections locales ou le mariage homosexuel, mais aussi que l'extrême-droite joue sur les peurs avec des sujets comme la viande hallal.
    Il est donc grand temps de retrouver une posture populiste: le populisme, loin de diviser le peuple, le rassemble, le vrai populisme, c'est celui de l'historien Michelet, qui fait du peuple une communauté spirituelle et mystique prononçant une clameur unanime à laquelle il faut répondre. Ce peuple, véritable entité, intègre bien évidemment les élites qui dépendent de lui, ainsi que les différentes minorités ethniques ou religieuses, en un seul mouvement, qui transcende les différences. Ceci permet de résoudre l'aporie d'un peuple segmenté.

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  2. très intéressant et très juste.

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  3. On trouvera ici la vidéo d'un entretien avec Vincent Coussedière au sujet de son livre : http://www.youtube.com/watch?v=Wyx402IXjAQ

    YPB

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  4. "Le populisme est l'entrée en résistance du peuple contre ses élites".

    J'aurais tendance à penser que c'est dans la fusion (ou l'alliance) du peuple et des élites que réside l'esprit de la nation. Car si la faillite des élites est effective, l'opposition des deux ne mène pas à grand chose. Pour prendre un parallèle historique : c'est Robespierre mettant au pas les sans culottes le modèle, pas la personnalité de Santerre.

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  5. @ Léonard

    Très juste. Il faut des élites pour qu'un peuple avance. Mais il faudra profondément les renouveler d'un point de vue politique pour y arriver.

    @ YPB

    Merci

    @ Anonyme

    Cela donne envie de lire Michelet

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