La semaine
dernière, les
médecins libéraux et les internes ont manifesté à Paris après
avoir déclenché un mouvement de grèves auquel ils
ont mis fin vendredi dernier. Si certains n’y voient qu’un mouvement de
protestation de personnes qui seraient favorisées, la réalité est bien
différente.
Remise en
perspective
Il y a fort
à parier que le
gouvernement a décidé de déclencher une guerre politicienne en s’en prenant aux
dépassements d’honoraire, dans la logique bien sarkozyste qui consiste à
trouver un bouc-émissaire (les 35 heures, mai 68, les juges) et poser le débat
dans un sens qui lui soit plus favorable. La cible est commode : de riches
médecins qui se font payer parfois 3 à 4 fois plus que le plafond de la
Sécurité Sociale. Le parfait bouc-émissaire pour étouffer un débat plus vaste.
Bien sûr, il
y a des abus à traiter. Mais si le dépassement moyen par acte atteint 14,8
euros à Paris, 8 euros à Lyon, il n’est que de 2,1 euros à Bordeaux ou 1,5
euros à Toulouse. Bref, il s’agit d’un phénomène très concentré. Et il faut
rappeler deux choses : la plupart des actes médicaux ont été très peu
revalorisés (une appendicite est remboursée 190 euros, 30 de plus qu’en 1992).
En outre, l’ensemble des dépassements représente 2,4 milliards d’euros, soit
1,3% des dépenses de santé.
Bien sûr,
les revenus des médecins sont élevés, mais outre le fait qu’ils n’ont pas
progressé (contrairement à beaucoup de professions CSP+ : finance,
avocats…) les comparaisons internationales démontrent que les médecins français
ne sont pas spécialement bien traités (notamment les généralistes). En outre, leurs
salaires ne sont pas délirants étant donnés la durée extrêmement longue des
études, le niveau des charges (près de 50% des revenus) ou l’implication
demandée.
Enfin, il ne
faut pas oublier que les médecins ne sont pas opposés à des mécanismes de
régulation, mais à condition que les tarifs du secteur 1 soient revus, ce qui
serait la moindre des choses. Le Bloc, qui
a été en pointe de ce mouvement, a fait des propositions équilibrées à la
ministre. Il faut également noter que les médecins s’opposent également à
la réforme du mécanisme de sanction, qui donnerait la main à l’administration,
en en excluant les professionnels de santé.
Selon que
vous êtes puissants…
Il est plus
facile de jeter à la vindicte populaire les médecins que de vraiment traiter
les grands sujets… En effet, une
étude de la CNAM montre que nous dépensons 114 euros par habitant et par an
en médicaments, contre 59 à 94 euros par an pour les autres grands pays
comparables. Il y aurait 10 milliards d’économie à trouver ici. En outre, on
peut aussi poser la question de l’hôpital dont la gestion ne favorise pas
toujours l’économie, notamment du fait de l’implication des élus locaux.
Dernier
rappel, on peut également se poser la question
des mutuelles, qui
brassent aujourd’hui environ 40 milliards d’euros et jusqu’à
25% de frais de gestion (comme l’illustrent les nombreuses campagnes de
publicité ou de sponsoring) pour les moins économes. Ici, les gouvernements
n’agissent pas et laissent les tarifs s’envoler d’année en année sans la
moindre contrainte, les taxes supplémentaires étant payées par les citoyens. De
là à voir un deux poids, deux mesures…
Vers une
santé à l’anglo-saxonne ?
Nous devons
nous poser la question de l’évolution de notre système de santé. La situation
actuelle pousse les médecins à abandonner l’exercice libéral de la médecine
pour la situation moins inconfortable de l’hôpital, dont ils ne sont que des
salariés. Et il n’est pas du tout évident que cela soit conforme à l’intérêt
général. Cumulée à la montée en puissance des mutuelles, nous suivons la voie
des Etats-Unis, avec une privatisation
de la santé qui finit par devenir extrêmement inégalitaire (ce qui ont de
l’argent pourront toujours se soigner) car elle
provoque une explosion des coûts.
En effet,
l’agitation sur les dépassements d’honoraires (2,4 milliards) camoufle la
privatisation lente et rampante de la branche maladie de la Sécurité Sociale
par la montée en puissance des mutuelles (40 milliards), sans qu’il y ait de
véritable débat sur le sujet ou de vrais bilans de leur action. Et si on
aboutit à la fin de la médecine libérale, notre pays pourrait finir comme la
Grande-Bretagne avec une santé coupée en deux entre une administration
bureaucratisée, avec des listes d’attente interminables et un système privé
dominé par les grands groupes où seul l’argent compte.
La façon
dont le système de santé français veut contrôler la médecine libérale risque
d’aboutir à un triple problème : tout d’abord, une moindre disponibilité
des médecins, qui préfèreront la protection de l’hôpital ou de grands groupes
privés, un
coût finalement encore plus élevé car les exigences de rentabilité des
groupes privées cotés sont largement supérieures à celles des médecins libéraux
qui possédaient autrefois leur outil de travail sans pour autant remettre en
cause les rentes en place.
Bien sûr,
tout le monde doit faire des efforts, mais ici, la direction prise par le
gouvernement (et leurs prédécesseurs) est mauvaise et la
protestation des médecins est légitime. Il est incompréhensible que nous
prenions la voie prise par les Etats-Unis étant donnée la faillite de leur
système de santé.
Sait-on ce que le PS veut? S'agirait-il d'une simple résignation ou acceptation du conformisme?
RépondreSupprimerJard
Juste une question.. Quand tu parles "mutuelles", ce sont réellement des mutuelles , ou des assurances-santé...? Parce que ce n'est pas exactement la même chose... Et je serais curieuse de savoir si les 25% de frais de gestion peuvent concerner les mutuelles au sens propre du terme.... Que des "mutuelles" brassent 40 milliards d'euros, ça ne me gêne pas en soi, s'il s'agit bien de mutuelles qui ne cherchent pas le profit...
RépondreSupprimerBises à toi et merci pour tes billets toujours très intéressants !
Pascale
Sujet vraiment intéressant. Laurent PINSOLLE, économiste reconnu, pourrait aussi préciser qu'une visite chez un généraliste coûte moins cher qu'une coupe chez le coiffeur. Les différents gouvernements se moquent de nous au nom d'économies possibles et d'abus qui restent marginaux. Je sais que depuis qu'il faut passer par un généraliste pour aller voir un spécialiste, au nom d'économies potentielles, une étude a démontré que ce dispositif coûte plus cher que les quelques consultations abusives. Autre abus, celui des assurances pour les chirurgies, elles ont augmenté de 210% en...cinq ans !
RépondreSupprimerJe connais des pharmaciens qui sont en situation de dépôt de bilan !
La location d'un local à PARIS pour une profession libérale justifie à elle seule un dépassement d'honoraires, le cas échéant, pour certains professionnels de santé, mieux vaut rester chez soi.
Ce qui se passe dans le secteur médical représente un véritable scandale, avec le vieillissement de la population, voilà le domaine qui devrait être priorité nationale.
Laurent GUIBERT.
ça y est Laurent Pinsolle sombre dans le fascisme de la transparence ; mais je rejoint Pascale au sujet des mutuelles le mouvement mutualiste est une formidable façon d’empêcher que des rats financiers captent de l'argent sans contrepartie a condition que se soit surveillé réellement et que nous appelions pas mutuelle une vulgaire boite d'assurance
RépondreSupprimerce soit
Supprimer@ Jard
RépondreSupprimerJe pense que le PS ne sait pas ce qu'il veut faire. Il gère juste la situation et laisse les choses glisser, sous l'influence des lobbys.
@ Pascale
Merci. Bonne question. Il me semble (mais je vais vérifier) qu'il y a des entreprises qui font du profit. D'ailleurs, certaines personnes évoquent un profit de 7 Mds par an pour les mutuelles. Le chiffre m'a semblé énorme et je n'ai pas trouvé de source fiable, donc je ne l'ai pas mis dans le papier, mais a priori, il semblerait bien qu'il y ait des assurances-privéees. En outre, quand on voit le volume croissant et important de publicité qu'elles font, il est difficile de ne pas être mal à l'aise. Je vais vérifier et je reviens sur ce point.
@ Laurent,
Très juste sur les deux points (la consultation du généraliste moins chère qu'une coupe et dont l'évolution a sans doute été beaucoup moins rapide...) Idem sur les assurances qui ont explosé. Si on regarde sur 20 ans, les tarifs ont facilement décuplé.
@ Patrice,
C'est peut-être une déformation venue de ma lecture de The Economist, mais je trouve qu'il est plus juste de l'indiquer étant donnée ma prise de position.