Voici
l’entretien que j’ai donné à Atlantico
sur la montée des partis populistes en Europe. Il fait partie d’une série
d’entretiens croisés « De
Mélenchon à Berlusconi et de Marine Le Pen à Beppe Grillo : les populismes
européens seront-ils les fossoyeurs ou les sauveurs de la démocratie »
avec Guillaume Bernard, professeur à Sciences Po, et Bruno Bertez, ancien
propriétaire de l’Agefi France.
Atlantico :
Le chef du gouvernement italien Mario Monti a annoncé qu'il démissionnerait de
son poste après Noël, tandis que l'ancien président du conseil Silvio
Berlusconi a annoncé qu'il serait candidat aux prochaines élections
législatives en 2013. Les marchés financiers ont réagi négativement à cette
annonce et la situation politique du pays paraît très instable. A tel point que
le blogueur Beppe Grillo, considéré comme le "coluche italien", est
crédité d'environ 20% d'intention de vote dans certains sondages. Confrontées à
une crise qui bouleverse leurs repères économiques et politiques, les
démocraties européennes sont-elles en train de perdre pied et de faire ainsi le
jeu des populismes ?
Il est
parfaitement normal que les électeurs remettent en question les partis qui les
ont menés dans une impasse économique. Cela est démocratiquement très sain,
même si cela peut occasionner l’émergence de personnalités jugées farfelues ou
radicales. Les grands partis qui ne parviennent pas à sortir le continent
européen de la crise dans laquelle il s’enfonce n’ont pas un droit éternel à
gouverner. Bien au contraire, je crois que l’émergence de ces nouveaux
mouvements, dans les pays les plus durement frappés par la crise (Islande,
Grèce, Italie), est un signe de vitalité de nos démocraties.
Le terme de
« populisme » est un faux
ami dans le débat public, comme l’a bien montré Vincent Coussedière dans son
livre « L’éloge
du populisme ». S’il ne désigne que la démagogie et les
démagogues, alors il est impropre. En effet, dans ce cas là, mieux vaut
désigner du terme originel – démagogues – les personnalités que l’on
désigne du terme populistes. En outre, on peut contester l’application seule de
ce terme aux nouveaux mouvements contestataires. Les partis au pouvoir en
Europe devraient balayer devant leur porte. C’est le cas de tous les dirigeants
européens quand ils ont conçu le second plan grec début 2012, sur
des hypothèses totalement irréalistes, imposant un nouveau plan moins d’un
an après. Que penser également de Nicolas Sarkozy, qui
se pose en grand moralisateur du capitalisme puis ne fait pas grand chose
ou au gouvernement actuel qui
promet d’agir pour l’usine PSA d’Aulnay avant de laisser tomber tout en
laissant son administration acheter des Ford et des Volkswagen ?
Mais il y a
une autre interprétation du terme « populisme » qui pose un grave
problème démocratique. Une partie des élites utilise ce terme en sous-entendant
que la nature profonde du peuple est de répondre à un discours démagogique. Ce
faisant, il est difficile de ne pas y voir une remise en cause du principe même
de démocratie, qui s’illustre alors dans la volonté de rendre indépendant de
l’influence démocratique une part grandissante des pouvoirs politiques (indépendance
des banques centrales, Commission Européenne). Assez logiquement, les
partis qualifiés de « populistes » sont généralement hostiles à ces
transferts de souveraineté. Mais dans ce cas, il s’agit d’une réaction logique
de peuples qui ne veulent pas être dépossédés de leur capacité à se gouverner
par des technocrates irresponsables.
A :
L’UE, qui est parfois jugée trop technocratique, a-t-elle une responsabilité
dans cette situation ?
Pire, l’UE
méprise parfois ouverturement le suffrage universel et la démocratie, comme on
a pu le voir après le « non » de la France et des Pays au TCE en 2005
ou le « non » de l’Irlande au traité de Lisbonne, comme
cela est décrit dans le livre « Circus
Politicus ». On consulte les peuples, mais à la condition qu’ils
répondent dans le sens souhaité. Les évènements de l’automne 2011 (où
le premier ministre grec s’est vu refuser la tenue d’un référendum sur les
plans européens et où les gouvernements italiens et grecs ont été remplacés par
des gouvernements menés par des technocrates) expliquent très logiquement le
bon score des partis anti-système dans ces pays.
A :
Dans le rapport direct qu'ils instaurent avec les peuples et dans leur capacité
à médiatiser des problématiques complexes et occultées par les partis
traditionnels, les partis populistes n'ont-ils pas un rôle ambigu : à la fois
sauveurs et fossoyeurs de la démocratie ?
Les partis
« populistes » ne seraient des fossoyeurs de la démocratie que si,
arrivés au pouvoir, ils la supprimaient totalement. Or cela n’est généralement
pas le cas. En Amérique du Sud, beaucoup de personnes qualifiées de
« populistes » ont accédé au pouvoir sans remettre en cause la
démocratie. Il s’agissait simplement d’une alternance démocratique. Bien sûr, il
y a le cas d’Hugo Chavez, dont certaines pratiques, notamment vis-à-vis des
médias, sont autoritaires et peu démocratiques, mais même dans son cas, les
vénézuéliens votent librement et il a même perdu (et accepté d’avoir perdu) des
élections, signe qu’il n’a pas été un fossoyeur de la démocratie.
En un sens,
ces partis sont des sauveurs de la démocratie car ils renouvellent l’offre
démocratique, chose totalement nécessaire quand les principaux partis au
pouvoir finissent par mener des politiques trop proches pour représenter une
véritable alternative aux électeurs. En ce sens, il
est sain que Syriza ait émergé en Grèce sachant que la coalition au pouvoir
comprenait le PASOK et Nouvelle Démocratie. Idem en Italie ou le
centre-gauche et le centre-droit sont temporairement alliés : il est
logique que les Italiens se tournent vers de nouvelles propositions politiques.
Et il est parfaitement logique qu’ils se tournent vers ceux qui écoutent leur
demande, même s’ils sont qualifiés de « populistes ».
A :
Dans ce contexte, les partis traditionnels ont-ils manqué de pédagogie ? La
conception élitiste de la démocratie qui semble prévaloir dans les partis
traditionnels doit-elle évoluer ? Dans quel sens ?
Non, je ne
crois pas qu’ils aient manqué de pédagogie. Je crois que les partis
traditionnels sont responsables de cette évolution pour une double raison :
-
tout d’abord, quand ils sont si proches qu’ils
en finissent par gouverner ensemble (Allemagne, Italie, Grèce) ou voter
ensemble sur des sujets importants (France, Espagne), il est logique que de
nouveaux partis émergent, avec des opinions forcément différentes des leurs.
C’est un réflexe démocratique sain et le mépris à l’égard de ces nouveaux
partis montre au contraire un réflexe bien peu démocratique de ces partis
traditionnels qui semblent vouloir se voir réserver le pouvoir.
-
ensuite, ils ne contribuent plus à la réflexion
politique. Il suffit de penser aux débats Aubry-Hollande ou Copé-Fillon, où les
différences portaient principalement sur le style des protagonistes et pas
vraiment sur les idées ou les propositions. Ils ne se posent pas vraiment de
question sur tellement de sujets pourtant importants dans cette crise (Europe,
libre-échange, système monétaire et financier…) qu’il est bien normal qu’ils
soient remis en question par de nouveaux partis et par les électeurs
Un texte come je les aime! Et, en plus, de grande qualité, me semble-t-il, Laurent.
RépondreSupprimerA partir du moment où le niveau d'instruction est étroitement corrélé à la qualité de la vie, la revendication sociale disparaît. Les peu et pas diplômés ne peuvent se faire entendre. Cela permet l'émergence du démagogue. Dans un second temps, l'aggravation de la pauvreté fait entrer une partie des très diplômés dans la préoccupation sociale. C'est la situation actuelle en France. Ces très diplômés précarisés ont la possibilité de faire émerger une offre politique intéressante. Ils sont cependant face à un choix humain décisif, vouloir se raccrocher aux très diplômés vivant confortablement ou faire alliance avec les peu ou pas diplômés. Il me paraît possible que le Front de gauche choisisse la première option. Les faiblesses politiques particulières des gens du Bassin parisien peuvent mener la seconde option à l'échec.
Bref, nous risquons de devoir choisir entre Marine Le Pen ou la catastrophe proposée par l'U(DI)MPS.
Jard
Oui ce texte est excellent sur Atlantico c'est assez rare ; ci dessous un texte du blog Idiocratie sur le parti unique
RépondreSupprimerhttp://idiocratie2012.blogspot.fr/2012/11/le-regime-du-parti-unique.html
Jard
RépondreSupprimerAu train où vont les choses je pense que les diplômés vont s'exiler :
http://www.presseurop.eu/fr/content/article/2890671-bruxelles-terre-d-asile-des-jeunes-francais
http://www.generation-precaire.org/L-exil
Oui et non, puisque le marché de l'export de diplômés va vite saturer, on trouve déjà en France de Nombreux italiens, portugais, grecs ou Espagnols diplômés et très compétent. Si on rajoute à cela les jeunes diplômés Français, le tout dans une crises de surproduction mondiale généralisé qui aide pas l'investissement, les débouché vont manquer... Et la a voir ce qui se passera, serait ce la jonction entre les classes populaires et classes moyennes supérieures tant évoquée par Emmanuel Todd comme condition nécessaire à un mouvement social de grande ampleur ? Enfin, on verra, mais l'heure approche, avec la crise trouver un travail digne va devenir de plus en plus difficile même pour les diplômés.
Supprimerred2
@ Laurent Pinsolle.
RépondreSupprimerMerci pour ce texte ! Et surtout pour les idées que vous y défendez.
Espérons que cet entretien sera lu et fera réfléchir.
La démocratie est un bien précieux mais elle est fragile. Et sans elle notre République et ses droits s'effondreraient.
Bonne continuation.
red2
RépondreSupprimerJe ne suis pas certain que la France soit actuellement la destination privilégiée des émigrés des pays du sud de l'Europe, ce serait plutôt Amérique du Sud, Australie, USA, Canada et nord de l'Europe.
Sinon, une avancée utile de l'UE, c'est la réforme du brevet européen d'hier :
RépondreSupprimerhttp://www.nytimes.com/2012/12/12/business/global/eu-reaches-agreement-on-system-for-patents.html?smid=tw-share&_r=0
une des rares bonne chose qu'ai faite l'UE, en effet.
SupprimerIl faut arrêter de fantasmer sur les diplômes ce dont nous avons besoin en France ce sont des esprits très brillant comme c Villani S Diner ou D Fargue par exemple et d’ingénieurs et techniciens non formaté la "mondialisation" a aussi fait chuter le niveau moyen des diplômes que la majorité aille a petaoucnnock a peu d'importance ce qui compte vraiement c'est la qualité des individus dans leur domaine et pas la quantité . C'est peu être elitiste ; mais non dans la vie un génie du camembert a autant d'importance qu'un génie des mathématiques
RépondreSupprimer@ Jard
RépondreSupprimerMerci. N'oublions pas que la décomposition politique finira par produire une recomposition. Syriza s'est présenté pour la première fois en 2007, a fait 4% en 2009 et 27% en 2012. Nous échapperons à l'option Le Pen.
@ Olaf
Du fait du chômage, beaucoup de pays prennent des dispositions pour restreindre l'arrivée des étudiants (Etats-Unis, Grande-Bretagne...) Et puis, la France n'est pas le pays le plus mal en point...
En outre, en France, nous n'avons pas la tradition de pays aussi cher les études supérieures.
@ Red2
Bien d'accord
@ RomainC
Merci