mercredi 2 janvier 2013

Pourquoi remettre de l’ordre dans la finance (2/2)



L’irresponsabilité des banques

Le problème du système actuel, par delà la génération d’une inégalité trop forte car socialement critiquabe et économiquement inefficace, et son instabilité chronique (une analyse déjà formalisée par les économistes keynésiens, mais aussi le Général de Gaulle, qui dénonçait « les rudes secousses et la somme énorme d’injustices » qui résultent du « laisser-faire et du laisser-passer »), c’est son irresponsabilité, qui va à rebours du libéralisme originel. C’est ce qu’on voit bien avec les banques que les Etats ne peuvent pas laisser faire faillite, aboutissant à une « privatisation des profits et une collectivisation des pertes » selon la bible des élites mondialisées et néolibérales, The Economist.

Trop de laisser-faire a abouti à une déresponsabilisation choquante. Est-il normal que les banques qui accordent des prêts à des emprunteurs puissent ensuite revendre leur créance ? La question mérite d’être posée car ce simple fait est au cœur de la crise des subprimes. Quand une banque ne porte plus la créance qu’elle a accordée, elle n’a plus intérêt à se soucier de la qualité de l’emprunteur. S’il ne rembourse pas, c’est l’affaire soit de l’assureur (via des CDS) ou de l’institution qui a acheté sa créance (dans un CDO, un MBS…). Pire, la vente de ces créances permet d’en engager encore plus, augmentant encore le risque pour le système globalement, mais de manière très opaque.

C’est sans doute en partie pour cette raison que les banques ont pu faire grandir leur bilan de manière totalement inconsidérée. Il faut songer que le bilan de BNP Paribas a triplé en seulement six ans (passant de 700 à 2000 milliards d’euros de 2002 à 2008), sans que l’on puisse comprendre ce qui pourrait justifier que cette banque ait pu tellement augmenter ses engagements. Pire, il ne faut pas oublier que certaines banques, comme Citigroup, avaient des engagements hors bilan dépassant la moitié de leur bilan, en dehors de toute réglementation.

Bref, comme avant 1929, les banques ont utilisé l’effet de levier pour faire de l’argent, chose qui leur est rendu possible par le fait qu’elles créent de la monnaie à volonté (sous réserve de respect des normes prudentielles, qui peuvent être relâchées, par la titrisation, l’assurance). Il faut dire que c’est tentant : si, avec 10 de capital, on place 50 à 3%, on gagne 1,5, soit 15% du capital. Si on place 100, alors, on double le rendement. Tout le problème est que l’établissement en question est plus sensible à un retournement du marché. Mais puisque les Etats volent au secours des banques en difficulté, pourquoi se restreindre dans la course à la rentabilité qui agite les établissements bancaires.

Main invisible ou main folle et aveugle ?

C’est un autre disfonctionnement des marchés révélé par la crise, les « esprits animaux » dénoncés par Keynes et qui retrouvent une nouvelle actualité dans les descriptions du fonctionnement des marchés financiers faites par Morad El Hattab, Frédéric Lordon ou Paul Jorion. La « main invisible » a de gros ratés, illustrés âr les phénomènes de bulles. Quand la rentabilité des autres banques progresse du fait de l’effet de levier (qui dépassait le ratio de 1 à 100 dans certains cas extrêmes), cela pousse toutes les autres banques à suivre pour ne pas afficher des résultats en décalage avec ceux de leurs pairs. Idem pour les directeurs de fonds qui ne voulaient pas passer à côté de la bulle du secteur des télécommunications avant 2001 ou de l’immobilier étasunien avant 2007.

Il y a bel et bien un esprit moutonnier sur les marchés qui provoque des crises financières cataclysmiques. Malheureusement, c’est une constante des marchés, depuis le 17ème siècle et la spéculation sur les bulbes de tulipe en Hollande. Comment faire confiance à un marché qui valorise l’action France Telecom 219 euros en 2000, puis seulement 7 euros deux années ensuite, soit 96% de moins ? En outre, il ne s’agissait pas d’une start up mais d’une grande entreprise dont les revenus et les profits étaient relativement prévisibles. Bref, comme l’a dit Alan Greespan, les marchés sont « exubérants et irrationnels » et c’est bien pour cette raison qu’il convient de les remettre à leur place.

Tout le problème est que les hommes politiques ont démissionné sur ces questions, dont beaucoup n’hésitent même pas à soutenir que ce n’est pas de leur ressort, mais plus celui des banques centrales. Une grande partie du monde politique à renoncer à réguler l’activité de la sphère financière, la laissant en auto-gestion aux banques elles-même et aux banques centrales, en dehors de tout véritable contrôle démocratique, une tendance particulièrement forte dans la zone euro. Pourtant, la sévérité de la crise de 2008 aurait du, au contraire, provoquer un réinvestissement du politique sur ce sujet, qui devrait animer toutes les campagnes électorales des grands pays.

Las, les grands partis (PS, UMP, mais aussi les Verts ou le Modem) ont une réflexion extrêmement courte sur le sujet, se contentant de quelques annonces politiciennes, noyées dans le dédale de lois extrêmement complexes, comme aux Etats-Unis, où les lobbys financiers se régalent. Pour faire avancer la réflexion, j’aborderai demain les principes de la réforme de la finance.

11 commentaires:

  1. Tous mes vœux a Laurent Pinsolle et aux commentateurs que cette année soit foutraque

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  2. On oublie un peu vite que c'est l'état américain qui a poussé aux prêts immobiliers les ménages insolvables.

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  3. Mercredi 2 janvier 2013 :

    Un sondage très important concernant la monnaie unique, l'euro, et l'ancienne monnaie de la France, le franc.

    Question : "Regrettez-vous le franc ?"

    Réponse :

    Les Français âgés de 18 à 24 ans répondent "oui" à 60 %.

    Les Français âgés de 25 à 34 ans répondent "oui" à 69 %.

    Les Français âgés de 35 à 49 ans répondent "oui" à 71 %.

    Les Français âgés de 50 à 64 ans répondent "oui" à 68 %.

    Les Français âgés de 65 ans et plus répondent "oui" à seulement 37 %.

    En clair : l'euro, c'est une monnaie de vieux, créée par des vieux, pour des vieux, et qui plaît aux vieux.

    Concernant les professions des personnes interrogées dans ce sondage :

    Les ouvriers répondent "oui" à 80 %.

    Les employés répondent "oui" à 75 %.

    Les artisans et les commerçants répondent "oui" à 72 %.

    Les chômeurs répondent "oui" à 70 %.

    Les retraités répondent "oui" à seulement 46 %.

    Les professions libérales et les cadres supérieurs répondent "oui" à seulement 41 %.

    Concernant les revenus des personnes interrogées dans ce sondage :

    Les Français qui gagnent moins de 1499 euros par mois répondent "oui" à 74 %.

    Les Français qui gagnent de 1500 à 2299 euros par mois répondent "oui" à 70 %.

    Les Français qui gagnent de 2300 à 2999 euros par mois répondent "oui" à 61 %.

    Les Français qui gagnent de 3000 à 4500 euros par mois répondent "oui" à 54 %.

    Les Français qui gagnent plus de 4500 euros par mois répondent "oui" à seulement 35 %.

    En clair : l'euro, c'est une monnaie de vieux riches, créée par des vieux riches, pour des vieux riches, et qui plaît aux vieux riches.

    http://www.atlantico.fr/sites/default/files/u19487/tableaugros_0.png

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  4. Renflouer les banques est l'inverse du « laisser-faire et du laisser-passer », aboutissant en effet à une « privatisation des profits et une collectivisation des pertes » :-) Un argument que les libertariens ne manquent pas de souligner dans leurs attaques contre les "neo-libéraux monétaristes". C'est ce qui me fait dire comme lors de mon précédent message hier que ce n'est pas le « laisser-faire et du laisser-passer » qui a créé l'impunité et l'irresponsabilité mais bien l'inverse ! A savoir la garantie en coulisse de renflouement en cas d'explosion par les élites dirigeantes dans les mains des banquiers. Un système authentiquement libéral aurait laissé couler les banques et poursuivit en Justice les leurs dirigeants.

    Le "néo-libéralisme" est un mélange de libéralisme et de corporatisme anti-libéral qui ne sert que les intérêts des puissants. C'est un système libéral hybride qui offre tous les avantages sans les inconvénients... qui sont assumer ses échecs économiques et être responsable judiciairement.

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  5. Bonjour à tous

    Ces commentaires montrent clairement la nécessité de séparer les banques d'affaires des banques de dépôt. Une réforme que les socialistes englués dans le neolibéralisme ne feront pas.
    Je suis bien placé consultant les BODAC de ma région pour constater les difficultés des TPE et PME suite à la crise et aussi les difficultés de se financer.
    Or en France selon les statistiques de l'INSEE les citoyens ont une épargne nette importante, AJ HOLBECQ en a reparlé il y a peu.
    Que les banques jouent pleinement leur rôle d'intermédiation et que l'on se donne les moyens de mieux mobiliser l'épargne des français me paraît une piste très importante.
    Un vrai parti de changement comme DLR doit, je pense, affiner ses positions dans ce domaine.

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  6. Tout à fait d'accord avec votre analyse !! Il faut en effet remettre de l'ordre dans nos finances publiques. Toutefois, le problème me semble plus être de nature politique qu'économique. Qui aura le courage en France parmi les politiciens de ce pays à remettre en cause le dogme de l'Euro et de tout le système ultra libéral qui gravite autour de ce dogme ? L'Euro est une monnaie qui profite d'abord aux grandes banques et donc au grand capital !! Dès lors, pour redonner du souffle à notre économie,cassons ce lien et pourquoi ne pas autoriser à nouveau la banque de France à financer le Trésor directement en faisant fonctionner la planche à billets . Comme ceci n'est plus autorisé par les multiples traités européens que notre pays a signé, il conviendrait d'interroger le peuple français via un référendum national en lui posant la question de l'abandon ou non de l'Euro

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    1. Un referendum fonctionne en démocratie directe ou semi directe c'est a dire a la Suisse mais pas représentative qui est un gros mot voulant dire oligarchie ; si vous voulez recommencer le referendum de 2005 allons y mais c'est pisser dans un violon ; juste pour dire qu'avant de remettre de l'ordre dans les finance publique il faut remettre de l'ordre dans la V République , l'intendance suit .

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    2. @ Mr Lamy,
      Le référendum de 2005 concernait l'architecture institutionnelle de l'Europe et non la mise à plat du système monétaire. Comme le problème est politique, il faut le traiter politiquement en interrogeant le peuple via un référendum. Pour provoquer ce référendum, n'y aurait il pas lieu de lancer une pétition nationale ?
      Bien entendu, le système ne s'avouera pas vaincu aussi facilement . On l'a vu avec le référendum de 2005 mais celà aurait le mérite de provoquer un vaste débat sur le devenir de la France dans cette fameuse zone euro à l'origine de la plupart de nos ennuis économiques .
      Par ailleurs, notre pays serait à nouveau écouté et craint car il est , qu'on le veuille ou non, un des deux piliers fondamentaux de la zone euro . S'il venait à s'effondrer, nul doute que l'Allemagne elle même plongerait . Ceci explique sans doute que la commission européenne soit , semble t il, décidée à lâcher du lest au sujet de la norme des 3% du PIB au niveau du déficit budgétaire . Avec l'effondrement de la France, tout l'Euro et par voie de ricochet la construction européenne s'effondre !!

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  7. " c’est son irresponsabilité, qui va à rebours du libéralisme originel."
    Le néolibéralisme de Hayek, repris par Friedman et l'école de Chicago repose sur le postulat qui dit que le marché est autorégulateur.
    C'est probablement vrai pour un marché idéal, voire utopique, qui respecterait des lois "naturelles" pour ne pas dire une "éthique comportementale"
    C'est de toute évidence faux dans la vraie vie en raison du comportement des individus. L'envie et la cupidité (J Stiglitz a écrit des choses très justes)font qu'il est nécessaire de réglementer pour rétablir l'égalité des chances entre forts et faibles. La difficulté est qu'aujourd'hui, ceux à qui il faut imposer une réglementation sont plus forts que ceux qui voudraient l'imposer. Ne pouvant le dire ouvertement, ces derniers préfèrent rester dans le déni et se font doucement à l'idée que la catastrophe est inévitable. Leur problème actuel est plus d'essayer de survivre à titre personnel à cette catastrophe que de l'empêcher.

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  8. @ Patrice

    Tous mes vœux également

    @ Olaf

    Pas totalement. Les parts de marché de Fannie Mae et Freddie Mac ont beaucoup baissé pendant la bulle. Les banques privées faisaient n’importe quoi (sans doute en partie à cause de la titrisation).

    @ BA

    Merci pour ce sondage qui illustre tellement bien la fracture sociale de la France sur la question de la monnaie unique.

    @ Flo Pat

    C’est bien pour cela que j’ai précisé que cette irresponsabilité va à rebours du libéralisme originel. Ce que je dis, c’est qu’on a beaucoup (trop) libéralisé mais que, en partie du fait de cette libéralisation anarchique, il y a eu privatisation des profits et collectivisation des pertes. En effet, c’est parce qu’on a laissé grossir les banques au-delà du raisonnable et laissé le système financier devenir aussi inter-connecté qu’il faut sauver des banques qui ont failli. Après, il est vrai en revanche qu’on pourrait le faire de manière plus juste (en sanctionnant les actionnaires et les créanciers – pas simplement en refinançant comme cela est fait dans la zone euro, et sanctionnant en justice les comportements délictueux).

    @ André

    Nous avions précisé lors de la campagne présidentielle que nous étions favorables à une séparation des banques d’affaires et de dépôt.

    @ Anonyme

    Bien d’accord.

    @ Cliquet

    Très bon résumé

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