Après avoir
décrit comment la montée de la dépossession de la démocratie, à travers un
prisme néolibéral et montrer les dangers de la fétichisation du droit, Jacques
Sapir montre que la souveraineté nationale est le moyen de lutter contre la
tyrannie des experts et des juges.
Le danger
supranational
La
souveraineté s’exerce dans un espace réel, à travers le couple contrôle /
responsabilité. Pour lui, « la
négation des frontières est une démarche tentante. S’y retrouvent aussi bien
les défenseurs les plus acharnés de la globalisation marchande que leurs
contempteurs internationalistes les plus farouches. L’idée de frontière est a
priori odieuse car ces dernières impliqueraient la séparation d’être que leur
nature devrait unir ». Cependant, il souligne que « nier les frontières revient à nier ce qui
rend possible la démocratie, soit l’existence d’un espace politique où l’on
puisse vérifier et le contrôle et la responsabilité ». Dans
une analyse similaire à celle de Frédéric Lordon, pour qui « en appeler au gouvernement mondial est le
plus sûr moyen d’avoir la paix, entendre, pas de gouvernement du tout »,
Sapir soutient que « les frontières
construisent en réalité les espaces politiques sans lesquels la démocratie ne
saurait fonctionner ».
Pour lui,
« les accords régissant les
structures multinationales ou régionales, comme l’Union Européenne sont des
éléments de droit international. Il s’’agit alors de règles de coopération et
non de règles de subordination. Elles restent donc nécessairement limités et temporaires
et peuvent être récusées à tout moment par l’un des partenaires. Elles ne
sauraient fonder de légitimité propre. Tel est l’interprétation qu’en donne
d’ailleurs la Cour Constitutionnel de Karslruhe ». En conclusion, pour
lui, « prendre des décisions de
l’ordre du politique au nom d’une légitimité technique institue le décideur en
tyran. Dans le même sens, l’établissement d’un nouveau pouvoir à partir d’une
décision entachée de cette forme de tyrannie fait émerger une dictature ».
Il voit dans la non prise en compte des référendums français et néerlandais, un
glissement vers la tyrannie, « un
coup de force anti-démocratique ».
Les
tyrannies techniciennes
Il dénonce
les « tyrannies techniciennes »,
notamment dans le domaine monétaire. Pour lui « si le résultat des politiques monétaires ne peut être entièrement discuté
dans le cadre de normes faisant l’unanimité de la population concernée, alors
la politique monétaire relève du politique ». En ce cas, la
décision de soustraire l’autorité monétaire à l’autorité politique a été un
acte de tyrannie. Il souligne que « être réputé capable de prendre une bonne décision ne vous en donne pas
nécessairement le droit ». En outre « pour affirmer que cette dernière appartienne au domaine du technique,
il faudrait démontrer la parfaite lisibilité de la totalité de ses effets à
travers une norme homogène, tâche qui est bien entendu impossible ».
En outre, il note qu’il n’y a aucun mécanisme de sanction responsabilisant…
Il conclut en
écrivant que « la tyrannie à
laquelle nous conduisent ces institutions n’est certes pas celle des temps
anciens. Elle ne prend pas actuellement la forme brutale et quasi-bestiale, des
pouvoirs tyranniques issus de coups d’état ou du régime de Vichy. Mais ce sont
bien, néanmoins, des tyrannies ». Pour lui, « l’ordre démocratique permet ainsi de réfuter
les illusions d’une technicisation des choix politiques et de redonner toute
son importance à la politique elle-même ».
Sapir commence à soupirer!
RépondreSupprimerSapir sera présent pour reconstruire derrière l'EURO.
On peut compter sur lui.
Jacques Sapir est un esprit brillant. Il s'exprime clairement et il n'hésite pas à faire le lien entre l'économie et la politique. Il a parfaitement compris que les prétendues lois économiques derrière lesquelles s'abritent les partisans de la mondialisation ne sont qu'un masque destiné à faire accepter aux peuples la disparition de toute forme de souveraineté au profit d'individus mis en place par un système qui ne leur rendra jamais de comptes.
RépondreSupprimerDe Gaulle ne disait pas autre chose, et pour une démocratie renouvelée, nous rappelle l'état de guerre financière actuel.
RépondreSupprimerJe cite :
Le terme de « démocratie » apparaît chez de Gaulle, pour la première fois, en 1941, dans un discours de Londres : « Et quand les démocraties devront refaire le monde sur les bases sacrées de la liberté humaine, de la souveraineté des peuples et de la coopération des nations, alors on pourra voir aussi ce qu'est et ce que vaut la France. » Le 2 octobre 1941, il précise : « La résistance française ... placera la démocratie française, renouvelée par ses épreuves, de plein-pied avec la victoire. » Le 27 mai 1942, lors d'une conférence de presse, il ajoute : « La démocratie se confond exactement pour moi avec la souveraineté nationale. La démocratie c'est le gouvernement du peuple par le peuple et la souveraineté nationale, c'est le peuple exerçant sa souveraineté sans entrave. »
http://www.charles-de-gaulle.org/pages/l-homme/dossiers-thematiques/1944-1946-la-liberation/reconstruire-une-france-nouvelle/analyses/de-gaulle-et-la-republique.php
Durant la Première Guerre mondiale, Clémenceau disait que la guerre était une affaire trop sérieuse pour être laissée aux militaires. Je le paraphraserai en disant que la politique est une chose trop sérieuse pour être laissée aux technocrates... Les technocrates sont utiles pour élaborer des politiques, mais la décision doit être prise en dernier recours par le souverain, en l'occurrence le peuple.
RépondreSupprimerLe texte de J.Sapir, très dense, ne fait que développer l'intuition que P. Mendès-France a eue lorsqu'il avait dénoncé le traité de Rome en 1957, particulièrement à propos de l'abdication de la souveraineté. En effet, celle-ci qui ne pouvait se produire que de deux manières: soit remettre tous les pouvoirs à un homme providentiel (les deux derniers exemples récents en France étant Philippe Pétain pour le pire, et Charles De Gaulle pour le meilleur...), ou s'en remettre à des experts (on ne parlait pas de technocrates, à l'époque). Dans le dernier cas, Mendès-France affirmait que même si les décisions étaient d'ordres techniques, celles-ci aboutissaient toujours à définir une politique, façon de dire qu'on retombait bien dans le cadre d'une dictature au sens classique du terme...
Le vrai problème selon moi, c'est moins l'abdication de la souveraineté nationale (la pratique de cette dernière est devenue problématique mais elle appartient toujours de jure à la France) que l'organisation de l'irresponsabilité de nos dirigeants, dont l'UE se rend complice (et non la responsable...). En fait, cela renvoie à un contournement du suffrage universel voulu par nos dirigeants, nos représentants!!!
En effet, il semble que depuis la mort de Georges Pompidou, tous nos représentants (présidents de la République, ministres, parlementaires, etc...) veulent les attributs du pouvoir sans les responsabilités qui en incombent. Quel meilleur moyen que d'organiser son impuissance en renvoyant les torts causés par une politique qu'ils refusent d'assumer à la Commission de Bruxelles?
D'autant que grâce à cette irresponsabilité, la démagogie est devenue la norme en politique: on considère que depuis 1992 et l'avènement de l'UE, les présidents de la République se font élire sur des politiques exactement contraires à celles qu'ils mettent en pratique (cf Chirac et sa fracture sociale, Sarkozy et la sécurité, Hollande et l'anti-austérité...).
CVT
Plus de Sapir:entretien d'une heure avec lui
RépondreSupprimerhttp://www.youtube.com/watch?v=ddXjocM9-eY
Intéressant J Sapir déclare en clair que tous le monde y compris au gouvernement est persuadé de la fin de l'euro ; j'adore son coté historien sur la Saint Barthélemy .
Supprimer@Patrice lamy,
Supprimerévidemment que tous politiciens savent que l'euro est mort! Paul Jorion a illustré ce qu'il se passait par une image très parlante: le Titanic est en train de couler, et l'équipage, avant de piquer toutes les chaloupes, est en train de vider les cales du bateau, des fois qu'il y aurait des fortunes à sauver...
Si nous, qui sommes sur ce blog, savons à la lumière de ce qu'il se dit aux informations que l'euro est en perdition, alors il serait logique que d'autres mieux informés en tire les mêmes conclusions...
CVT
Je ne connaissais pas la phrase de Jorion , l'image est excellente .
SupprimerEn dépit de sa lucidité, Jacques Sapir me semble surestimer le risque d’explosion sociale en France. Il pronostique dans son dernier papier de russeurope (http://russeurope.hypotheses.org/1007 : « Vers une crise de régime ? ») qu’une conjonction de colères (politique, sociale, identitaire) pourrait assez rapidement mener la France au bord de la guerre civile. Lorsqu’on constate la somme de souffrances que les peuples sont capables d’endurer, en Italie, au Portugal, en Espagne, en Grèce, en Irlande, et qu’on note par ailleurs qu’on est encore loin dans ces pays de situations insurrectionnelles, il y a motif à être sceptique sur la proximité du « Grand Soir » qui verra le système s’effondrer. Il y a encore beaucoup de chemin à faire, compte-tenu du degré d’intoxication idéologique des intelligentsias et des peuples.
SupprimerJe me demande si, au-delà de ses allures de Cassandre, Jacques Sapir n’est pas finalement un romantique. Peut-être est-ce son côté russe qui parle ici. Ou ce qui reste en lui de gauchisme. On le sent à l'œuvre dans son admiration pour Chavez. À vrai dire, bien que je ne sois ni russe d’origine ni gauchiste, je trouve cela plutôt sympathique. Et cela n’enlève rien à la qualité de ses analyses économiques. Sans doute notre époque a-t-elle aussi plus besoin de visionnaires capables de penser des ruptures que de froids calculateurs sans imagination.
YPB
Que "la tyrannie ne prenne pas chez nous actuellement la forme brutale et quasi-bestiale" d'un régime comme celui de Vichy", c'est certain. Il n'empêche que le pouvoir actuel exerce une forte pression sur les citoyens français, dont il bafoue les droits, qu'il méprise et manipule. Quant à ceux qui proposent une alternative, ce seraient des "populistes" (beurk !). Ainsi sont qualifiés et "mis dans le même sac" MLP, Mélenchon et NDA.
RépondreSupprimerNous, après avoir enduré cinq ans de boniments, de déclarations narcissiques et de promesses sans lendemain, nous devrions accepter les décisions toxiques et anti-démocratiques d'Hollandréou et des sociaux-libéraux. Cela ne saurait durer bien longtemps.
Sur un sujet connexe, voir les interviews du president de l"Islande sur le site de O. Berruyer.
RépondreSupprimerIndependamment du pb de l'euro, etc.., on aimerait bien avoir des politiques de ce calibre. Son discours est un bol d'air frais et a cote les discours des politiciens de la zone euro sonnent vraiment comme des apparatchicks a la botte de la finance ou tout simplement de la mediocrite, sans imagination et dont le principal soucis est de ne pas contredire les "experts".
Je pense que cela n'est pas un hasard si on ne trouve pas ces interviews (ou alors elles sont bien cachees) dans les medias dominants comme Le Monde...
A contrario, les faire connaitre fait bien ressortir la nullite de nos dirigeants.
Je ne connais pas assez ce President pour le juger, mais il suffit de voir qu'aucun de nos dirigeants n'aurait le courage ni meme l'idee de faire de telles declarations...
Si la tyrannie européenne n'est pas brutale c'est tout simplement, je pense, parce qu'elle n'en a pas besoin ! Les grands médias font parfaitement leur travail de sabotage tenace et quotidien de toute réflexion et toute idées alternatives.
RépondreSupprimer@ Vilistia & Cliquet
RépondreSupprimerPas mieux. La France aura besoin de lui.
@ Wilfrid
Merci pour ces rappels.
@ CVT
Très juste. Il y a un gros souci d’irresponsabilité, que l’on voit en France dans le discours de ceux qui réclament des euro obligations en oubliant que cela représenterait une charge supplémentaire de 4000 Mds pour le pays.
Bonne image de Jorion.
@ Anonyme
Il faut que je regarde.
@ YPB
J’ai également tendance à penser que l’histoire prendra un peu plus de temps… En revanche, les élections indiquent que les électeurs en ont assez (cf Italie).
@ Démos
Je crois qu’un printemps européen bout dans les urnes…
@ Anonyme
Merci. Son dernier livre (O.Berruyer) est excellent.
@ TeoNeo
Médias sans doute, mais aussi circonstances historiques, élites et partis dominants…