C’est un livre essentiel, signé par André-Jacques Holbecq et Philippe
Derudder, le livre qu’il faut offrir aux néophytes pour leur faire comprendre
les enjeux autour de la monnaie. Un ouvrage hautement politique qui synthétise
de manière simple, courte et claire pourquoi le système actuel est aberrant.
L’homme, la seule querelle qui vaille
Ce n’est pas le livre qui sera le plus utile pour ceuq qui s’intéressent
de près aux questions monétaires, et qui ont lu Pierre-Noël
Giraud ou Jean-Claude
Werrebrouck, mais le « Manifeste
pour que l’argent serve au lieu d’asservir » est un livre plus
politique qu’économique, et qui s’adresse à un public très large, y compris
ceux qui n’ont jamais lu de livres d’économie. Comme
dans leur livre sur la dette publique ou celui sur les monnaies
complémentaires, les auteurs utilisent des paraboles (celle des deux îles est
particulièrement parlante : je vous laisse la découvrir au début du livre)
qui permettent de prendre du recul sur l’actualité et de saisir des choses qui
devraient pourtant être évidentes.
Humanistes, ils rappellent le paradoxe de cette société qui créé
tellement de richesses mais où subsistent tellement de pauvres, le fait que
« les difficultés financières
conduisent au démantèlement de l’appareil social et des services publics, au
creusement des inégalités, pendant qu’elles empêchent la transition écologique
et énergétique ». Ils affirment que si nous ne répondons pas aux défis
actuels, c’est parce que nous restons dans le cadre. Ils citent André Gide, qui
disait que « le monde ne pourra être
sauvé que par des insoumis ». La Grèce est la victime de ce cadre, de
« la logique comptable (qui) nous
dépouille (…) de toute humanité » au point de nous faire considérer
comme normal, voir ‘responsable’, le fait de laisser une personne mourir de
soif auprès d’une fontaine d’eau claire.
La monnaie pour les nuls
C’est le début de l’argent-dette, totalement virtuel, une unité de
compte sans valeur intrinsèque et est donc créée en fonction des besoins,
devenant potentiellement infinie. Mais du fait des choix faits par les Etats,
aujourd’hui, les banques centrales n’émettent qu’une petite partie de la masse
monétaire, l’immense majorité l’étant aujourd’hui par les banques privées par
une « opération tellement simple que
l’esprit en est dégoûté » pour l’économiste John Kenneth
Galbraith : il suffit pour une banque de prêter une somme donnée, faisant
apparaître un prêt à son actif et un dépôt à son passif. Il faut noter que la
monnaie banque centrale ne sert qu’à régler les soldes entre banques. La
monnaie que nous utilisons aujourd’hui sont donc essentiellement « des dettes de banques privées
transmissibles » !
Les auteurs questionnent alors les intérêts « outils de l’asservissement moderne », et le fait de rémunérer
une monnaie créée ex nihilo, au contraire du fait de prêter un bien dont on se
prive durant le temps du prêt. Ils notent que les intérêts peuvent représenter
30 à 40% du coût total d’un bien dans l’immobilier. Ils notent que l’argent ne
travaille pas mais que comme « seuls
les êtres humains travaillent, pas l’argent, l’intérêt que nous touchons est
une part de la rémunération du travail d’un autre ». Ils citent une
étude de l’économiste Margrit Kennedy : seule 10% de la population touche
plus d’intérêts qu’elle n’en paie et que 80% en paient davantage qu’elle n’en
touche, signe du rôle des intérêts dans les inégalités. Le seul moyen d’éviter
l’effet d’appauvrissement généralisé de la grande majorité de la population
consiste à un accroissement de l’endettement global, mais en 2008, cela nous a
mené au krach.
Monnaie et dette publique
Les auteurs reprennent et actualisent l’analyse de leur livre « La
dette publique, une affaire rentable » en soulignant que si la
dette publique d’établissait à 1717 milliards d’euros fin 2011, « une grande partie n’a été empruntée que pour
payer les intérêts de la période précédente ». Ils tordent le coup à
l’idée selon laquelle l’Etat vivrait au-dessus de ses moyens, citant un rapport
d’Attac publié par la fondation Copernic en janvier 2012, qui souligne que
« les recettes de l’Etat
représentaient 15,1% du PIB en 2009 contre 22,5% en 1982 » et que
depuis 1999, les gouvernements ont baissé les impôts de 3 points du PIB,
expliquant 20 points de PIB de la dette… Ils notent aussi que la Cour des
Comptes chiffre l’ensemble des dispositifs dérogatoires fiscaux et sociaux, au
sens large, à 172 milliards en 2010.
De nombreuses études confirment leurs calculs, l’OFCE ayant estimé que,
depuis 1979 « en l’absence de tout
versement d’intérêts par les administrations publiques, le stock de dette
atteint en 2008 aurait été de 17,7% du PIB » au lieu de 67,4%. Le
chiffre de 20% de dette publique hors intérêts est confirmé par Attac ou la
fondation Hulot. Les auteurs notent qu’entre 1994 et 2011, la dette est passée
de 567 à 1717 milliards mais que l’Etat a payé 815 milliards d’intérêts, soit
deux tiers de la hausse de la dette (1150 milliards). Hors intérêts, le solde
public est resté globalement équilibré jusqu’en 2009. Pour eux, seule l’Etat
est légitime pour créer la monnaie. Pour eux, « par traités et décrets, le système bancaire privé a conquis le pouvoir
de création des moyens de paiement en totale indépendance du pouvoir politique,
qu’il n’utilise que pour servir ses intérêts (…) S’il a acquis la légalité par
manœuvres, manipulations, pressions de toutes sortes au fil de l’histoire, il
ne saurait jamais prétendre à une légitimité quelconque ».
Il rappelle le texte du « Manifeste
pour que l’argent serve au lieu s’asservir », pour lequel, « une nation souveraine a le pouvoir et la
légitimité d’émettre sa propre monnaie », qui demande à ce que la
banque centrale puisse financer l’Etat et les collectivités publiques
soulignant que « c’est aux instances
représentatives de la société de décider, après avis des organismes publics
concernés, du montant d’émission monétaire imposé à la banque centrale ».
Pour eux, si cela ne peut se faire à l’échelle européenne, cela doit se faire à
l’échelle nationale. Ils rappellent la proposition de la Fondation Hulot,
d’investir « 600 milliards d’euros
d’investissements au cours des 10 prochaines années pour investir dans la
transition économique, écologique et sociale (soit 3% du PIB / an) ».
Quelle alternative ?
Ils exposent trois alternatives au système actuel. D’abord, le 100%
monnaie, défendu par Maurice Allais, un système de couverture à 100% par de la
monnaie banque centrale, que seule la banque centrale pourrait émettre, et les
banques coupées en 3. Ils notent que « la
capture par les Etats de la rente liée à la création monétaire permettrait de
dégager des marges de manœuvre budgétaires très significatives ». La
seconde est le néochartalisme, Modern
Money Theory, défendue par James K Galbraith, partisan de politiques
contracycliques (où l’Etat doit pouvoir soutenir la demande quand il y a une
crise). Cette école préconise également que « seuls les Etats sont à même d’émettre une monnaie qui sera la seule
qu’ils accepteont en paiement des taxes et impôts, la monnaie centrale ou de
base ».
Enfin, la troisième option, préconisée par Frédéric Lordon, est « la nationalisation des banques et le crédit
socialisé », développée dans son livre et son papier « Pour un système socialisé du crédit ».
Il y soutient que la monnaie est un bien aussi vital que la sûreté nucléaire,
ce qui impose un contrôle public. Il ne s’agit pas d’un système où l’état
contrôlerait tout, mais avec une association de toutes les parties prenantes de
la société (salariés, entreprises, associations, collectivités locales) dans la
gestion du système bancaire. Il envisage le défaut des Etats pour permettre de
réformer le système en faisant table rase du système actuel et en montrant que
le pouvoir revient bien aux peuples et pas à la finance.
Les auteurs concluent par une citation de Maurice Allais : « il est aujourd’hui paradoxal de constater
que lorsque, pendant des siècles, l’Ancien Régime avait préservé jalousement le
droit de l’Etat de battre monnaie et le privilège exclusif d’en garder le
bénéfice, la République démocratique a abandonné pour une grande part ce droit
et ce privilège à des intérêts privés ». Un petit livre à faire lire
et offrir.
Je n'ai pas encore lu ce livre mais le compte rendu que tu en proposes est un excellent résumé de la situation.
RépondreSupprimerA-J Holbecq a accompli une œuvre de salut publique et, à titre personnel, je lui doit beaucoup dans ma compréhension du fonctionnement de la monnaie. Je ne le remercierai jamais assez.
Plus qu'intéressant pour les neophytes effectivement! Ce sera surement mon prochain achat! Merci Laurent!
RépondreSupprimerAu passage, intéressante analyse :
RépondreSupprimerCharles Gave : L’exception culturelle ou quand De Gaulle inventait l’eau sèche http://institutdeslibertes.org/lexception-culturelle-ou-quand-de-gaulle-inventait-leau-seche/
GRECE. Dernier concert de l'orchestre national symphonique. Le gouvernement a décidé de couper le budget de la formation, après l'arrêt de la diffusion de la télévision publique.
RépondreSupprimerLarmes et émotion. Conséquence directe de l'arrêt de la diffusion de la télévision publique grecque, la semaine dernière, l'orchestre national symphonique de Grèce - équivalent de l'orchestre de Radio France - a joué son dernier concert vendredi 14 juin. Selon un communiqué de l'ensemble musical, la restructuration de l'audiovisuel public n'accorde plus le budget nécessaire pour le maintien de l'orchestre, vieux de 75 ans et du chœur.Pour cette dernière représentation, l'orchestre a joué un extrait des "Variations Enigma", intitulé "Nimrod", une œuvre symphonique du compositeur britannique Edward Elgar. Sur ces images, particulièrement touchantes, on aperçoit certains musiciens pleurer pendant qu'ils jouent. Face à eux, des centaines de Grecs écoutent le concert, rassemblés à l'extérieur du bâtiment.
http://tempsreel.nouvelobs.com/culture/20130617.OBS3565/dernier-concert-de-l-orchestre-national-symphonique-de-grece.html
Décidemment les grecs vont devoir boire le calice jusqu'à la lie. Lire également « La Grèce au bord du précipice par Jacques Sapir » :
http://russeurope.hypotheses.org/1364
Saul
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