C’est un
bruit qui a rapidement circulé sur Internet : JP
Morgan aurait prescrit rien moins que la dictature en Europe, comme le
rapportent pas moins de deux
blogs de Médiapart
et une quantité d’autres sites. La cause de cette fièvre : une
note de la banque d’affaire de fin mai sur la situation de l’Europe.
Quand une
banque d’affaire juge l’Europe
Cette
note est très intéressante en ce qu’elle permet de comprendre le parcours
que les élites financières souhaiteraient voir prendre par l’Union Européenne. La
banque d’affaires étasunienne voit deux priorités pour le vieux continent :
la « construction de nouvelles
institutions marquant une nouvelle étape » (de type fédéral, cela va
sans dire) et « gérer l’héritage
national », une façon polie de présenter le démantèlement de l’Etat
providence par des « réformes
structurelles », des « ajustements
de compétitivité », et, enfin, en même temps, le désendettement de
l’Etat, des ménages et des banques !
La banque
affirme que la moitié du chemin a été fait depuis 2010 et appelle à une
politique plus agressive de la banque centrale pour soutenir la croissance. Elle
affirme également que du fait de l’Allemagne, « il est peu probable qu’une évolution fédérale budgétaire arrive
rapidement ». JP Morgan soutient « qu’avec le temps, il est devenu clair qu’il y a aussi des problèmes
d’héritages politiques. Les constitutions et les accords politiques dans la
périphérie, mis en place à la chute du facisme, ont un nombre de
caractéristiques qui apparaissent inadaptées à une poursuite de l’intégration
régionale ».
La banque
étudie alors critère par critère la situation de l’Europe. Mais, de manière
assez surprenante, son analyse semble manquer de rigueur. Commun peut-elle
juger que l’Italie a fait 75% du chemin vers une dette à 60% du PIB alors que
le pays est au double ? Les méthodologies présentées semblent
contestables, dans presque tous les domaines, en matière de compétitivité où
les efforts à faire semblent particulièrement sous-estimés. L’évaluation du
secteur bancaire semble superficielle, tout comme celle du niveau de
compétitivité globale des économies européennes.
Ce qui
pose problème avec ce rapport
Mais
la lecture de la note ne dit absolument pas cela. Bien sûr, la banque
d’affaires étasunienne est en faveur de politiques de l’offre, comme le serine The Economist toutes les semaines, mais
rien n’indique qu’elle est favorable à l’instauration de régimes autoritaires pour
les mettre en place. Quand elle parle de réformes politiques, il s’agit
essentiellement de la gouvernance européenne, dont tout le monde est d’accord
pour dire qu’elle ne fonctionne pas et il s’agit ni plus ni moins que d’un
conformiste soutien à l’intégration fédérale de l’UE, même si elle ne
semble pas trop y croire.
Rien de
particulièrement choquant même s’il s’agit d’un agenda que je combats depuis
toujours. JP Morgan ne fait que dire tout haut ce que beaucoup d’autres disent,
que ce soient des journalistes ou des hommes politiques. L’agenda de l’UMP
n’est pas très différent de celui de JP Morgan, entre la promesse de baisse des
impôts (qu’elle avait bien augmentés) et l’idée
d’une fédération franco-allemande. Ce qui choque plus, c’est la langue de
bois absolument hallucinante et l’oubli complet des leçons économiques que le
FMI a fini par admettre à l’automne, à
savoir que l’austérité ne marche pas.
Je ne partage pas entièrement votre analyse, Laurent. J'avais pris connaissance de ce rapport problématique au début du mois de juin, par l'intermédiaire d'une analyse de Leigh Phillips, datée du 7 juin et donc antérieure à l'article de Steinberg : http://blogs.euobserver.com/phillips/2013/06/07/jp-morgan-to-eurozone-periphery-get-rid-of-your-pinko-anti-fascist-constitutions/
RépondreSupprimerCertes, il esttout à fait caricatural d'affirmer, à la lecture du rapport incriminé, qu'il appelle à la mise en place de dictatures en Europe. Mais il n'en constitue pas moins une mise en cause caractérisée du mode de fonctionnement démocratique des institutions des pays d’Europe du Sud : des exécutifs soumis à un fort contrôle du Parlement, un degré poussé d’autonomie des régions, la protection constitutionnelle des droits des travailleurs, la recherche du consensus politique, le droit de protester si des changements non désirés sont apportés au status quo (p. 12) :
« The political systems in the periphery were established in the aftermath of dictatorship, and were defined by that experience. Constitutions tend to show a strong socialist influence, reflecting the political strength that left wing parties gained after the defeat of fascism. Political systems around the periphery typically display several of the following features: weak executives; weak central states relative to regions; constitutional protection of labor rights; consensus building systems which foster political clientalism; and the right to protest if unwelcome changes are made to the political status quo. »
Les auteurs du rapport ne se limitent donc nullement, comme vous semblez l'indiquer, à une dénonciation des insuffisances de la gouvernance européenne face à la crise. Regretter que le droit du travail soit constitutionnalisé dans certains pays, que le Parlement puisse y exercer un contrôle strict sur l'action gouvernementale, ou que la population dispose du « droit de protester » en cas de mise en cause de ses droits sociaux, va à l'évidence bien au-delà d'un simple argumentaire néolibéral de dérégulation et d'intégration européenne. C'est la démocratie qui est mise en cause.
On pourrait par ailleurs souligner également que ce document méconnaît totalement l'enracinement historique profond du régionalisme dans des pays comme l'Espagne ou l'Italie. Y voir simplement l'expression d'un scrupule démocratique excessif , sinon d'une idéologie gauchisante, dans la phase de construction d'un État moderne au lendemain de la chute des régimes fascistes témoigne d'une ignorance totale de l'histoire de ces constructions nationales. Les identités régionales étaient déjà traditionnellement fortes dans l'Espagne et l'Italie d'avant Franco et Mussolini ; les pratiques centralisatrices des régimes autoritaires ont souvent été mal vécues, et les autonomies régionales reconnues avec la mise en place des régimes démocratiques visaient à satisfaire les aspirations des populations dans le respect de la tradition politique nationale.
YPB
@ YPB
RépondreSupprimerBien d’accord sur la méconnaissance crasse de l’histoire de ces pays.
Pas totalement d’accord sur l’interprétation du paragraphe en question. Pour eux, il ne faut pas constitutionnaliser les acquis sociaux, mais c’est un point qui peut rentrer dans le cadre démocratique, qui n’est pas forcément d’inspiration autoritaire. Il est logique pour des néolibéraux de vouloir défaire ces verrous protecteurs pour faciliter l’adoption de leur agenda. Et cela peut se faire de manière parfaitement démocratique (même si j’admets que la manière dont cela fonctionne aujourd’hui dans les pays « aidés » n’a qu’un rapport éloigné avec un bon fonctionnement démocratique).
À condition d’isoler le point particulier de la constitutionnalisation des acquis sociaux je suis d’accord avec votre interprétation. Mais ce n’est qu’un élément parmi d’autres, dans l’analyse par JP Morgan des « points faibles » des pays d’Europe du Sud. Si on met cet élément en relation avec les autres, il y a une logique d'ensemble qui se dégage.
RépondreSupprimerLe lien établi entre la force des autonomies régionales par rapport au pouvoir central (très relative en fait selon les pays, ce qui rend le portrait-robot établi par JP Morgan caduc) et les difficultés économiques de ces États est ainsi largement contestable : il n’apparaît pas en effet que les prérogatives des Länder ou des cantons aient notablement contrarié le développement économique de l’Allemagne ou de la Suisse… On ne peut s’empêcher d’y voir l’expression d’un préjugé culturel anglo-saxon : dans la vision du monde néolibérale, ce qui peut marcher aux États-Unis, en Allemagne ou en Suisse, ne peut pas fonctionner en Espagne, en Italie ou en Grèce, parce ces « pays du Club Med » ne sont, au fond, pas vraiment mûr pour la démocratie.
Confirmation toute récente de cette préférence pour les solutions autoritaires, dès lors qu’il s’agit de mettre un pays « attardé » sur le bon chemin, celui du libéralisme économique : le Wall Street Journal estime que l’arrivée au pouvoir d’un dictateur dans le style de Pinochet serait encore ce qui pourrait arriver de mieux à l’Égypte (http://www.slate.fr/monde/75101/pinochet-egypte-morsi-edito-wall-street-journal-dictature). Je précise que ce n’est pas le goût de l’ordre qui me pose ici problème, car l’Égypte en a bien évidemment le plus grand besoin. Mais pourquoi se référer à Pinochet plutôt qu’à de Gaulle ou Atatürk ? Une telle référence (récurrente depuis le soutien accordé à la dictature chilienne par Hayek) ne peut avoir qu’un sens : faire savoir que l’on fera toujours primer l’ordre de marché sur toute autre priorité politique ou sociale.
YPB
Le problème c'est que JP Morgan a une histoire: celle d'avoir appuyé des régimes autoritaires pendant les années 1930. Aux Etats-Unis on dirait qu'elle laisse tomber le masque, en France on dirait qu'elle aurait dû soigner son langage.
RépondreSupprimerhttp://www.solidariteetprogres.org/actualites-001/Diapo-JP-MORGAN-siecle-fascisme-financier.html?var_mode=calcul
MDR un gaulliste qui s'aligne sur JP Morgan .. carrément ! et de surcroît européiste... on en tient un bon !
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