Si l’analyse de la crise financière que fait François Lenglet est très
proche des milieux alternatifs, il en va de même pour la partie sur la monnaie
unique européenne, mettant le journaliste dans une position proche de celle
de Paul Krugman dans son dernier livre ou Joseph
Stiglitz.
Pas une zone monétaire optimale
Même
s’il n’emploie pas le terme, c’est ce qu’il dit. Il dénonce « l’échec de la convergence » et dit
qu’il n’y a jamais eu de zone monétaire aussi hétérogène, et que les écarts
sont aggravés par l’euro, une machine à accroître les divergences économiques.
Aux analphabètes de l’économie, il souligne que la zone euro n’est pas la Chine
ou les Etats-Unis, du fait de l’absence d’une langue commune, d’un budget ou
d’un gouvernement fédéral. Il emploie l’image d’un climatiseur dont on ne
pourrait pas régler la puissance en fonction des pièces, et qui fonctionnerait
de la même manière pour la cave et le grenier, avec une température réglée sur
l’Allemagne… Il note aussi le problème du grand écart démographique entre Paris
et Berlin, point
que j’avais évoqué début 2011.
Il rappelle que dans les années 1970, le franc a perdu 34% par rapport
au deutsche mark et encore 30% dans les années 1980. On
peut ajouter que cela n’a pas posé de problème de croissance ou de pouvoir
d’achat chez nous. L’euro a permis une forme d’euro obligations par la
convergence des taux d’intérêts : alors qu’en 1997, les taux allemands
étaient à 5,7%, contre 6,4% en Espagne, 6,9% en Italie et 9,9% en Grèce,
l’écart n’était plus que de 3,4% à 3,6% en 2005. Dans
une analyse proche de Sapir, il souligne la divergence des balances
extérieures et des prix : de 1999 à 2008, alors que les prix ont progressé
de 16% en Allemagne et 18% en France, ils ont augmenté de 34% en Espagne et 35%
en Grèce. Et alors que le solde extérieur allemand est passé de -1,4% du PIB à
6,2%, il est passé de +3,2% à -1,7% dans l’hexagone et de -2,9 à –9,6% en
Espagne (et même -14,7% du PIB en Grèce). Pour lui, « c’est la monnaie unique qui a aggravé les divergences de compétitivité
et abaissé les freins à l’endettement ».
Une monnaie unique en voie de décomposition
Il
craint aussi une sortie des pays créditeurs : « il est probable qu’ils refuseront d’assumer
une solidarité de plus en plus coûteuse ». En résumé : « le Sud ne peut plus payer et le Nord ne veut
plus payer », évoquant une « guerre
de sécession ». Comme
je l’écris, il dénonce « les
fausses promesses de l’Europe fédérale » soulignant que ce terme n’a
pas le même sens selon les pays : « le fédéralisme selon Berlin, c’est la prise de contrôle sur le budget
et la politique économique de ses partenaires. Selon Paris, Madrid, Rome et
Athènes, c’est la prise en charge des dettes par l’Allemagne ». Pour
lui, il est inenvisageable que l’Allemagne accepte cela, notant, comme
je l’avais fait à l’époque, la déclaration d’Angela Merkel, pour qui les
euro obligations ne se feront pas tant qu’elle vivra, même s’il modère son
propos suite au sommet de juin 2012
Il défend une restructuration de la dette des pays européens et plaide
pour une dévaluation, notant le succès de celle de 80% du franc en 1928 par
Poincaré. Il évoque
l’Islande comme un modèle à suivre, tant pour le défaut que sur la dévaluation
pour relancer son économie, comme
je l’expliquais dès 2010. Il note qu’une sortie de l’euro aurait un impact
très positif sur le tourisme en Grèce. Il souligne même que la
fin de l’euro n’est pas si compliquée : « ce que la technique a construit, la technique peut le défaire »,
ironisant sur la déclaration de Draghi selon laquelle l’euro serait « irréversible », faisant le
parallèle avec les déclarations d’Erich Honecker. Il évoque même l’exemple de
la Tchécoslovaquie, que
j’avais déjà étudié il y a trois ans.
Bref, l’analyse de François Lenglet est très proche de la nôtre,
puisqu’il ose même affirmer qu’une
fin de l’union monétaire européenne ne serait pas un drame. Pourtant, il ne
franchit pas le Rubicon et continue à défendre la monnaie unique, ce sur quoi
je reviendrai demain.
Source : François Lenglet « Qui va payer la crise ? », éditions Pluriel
Bonus : mon papier et ma
vidéo sur la sortie de l’euro :
Campagne présidentielle 2012, "Des paroles et des actes" Lenglet vs NDA :
RépondreSupprimerhttp://www.dailymotion.com/video/xq2vb5_des-paroles-et-des-actes_news?search_algo=2
A partir de la 10ème minute.
Ce n'est pas un message objectif de ma part désole, mais il m'est antipathique.
RépondreSupprimerLenglet a un comportement qui me fait penser à ces producteurs de T.V ou de cinéma qui font semblant de rejeter votre projet pour ne pas avoir à vous en attribuer la paternité, puis le reprennent à leur compte juste après.
Il se fait mousser sur le dos des hétérodoxes qui ont fait tout le boulot et ce, sans aller jusqu'au bout des choses. Faut rester dans l'ordre établi quand même !
@TeoNeo,
Supprimerexactement: au final, il est le type de personnage dont le système a besoin pour se réformer et s'adapter!
Pour filer une métaphore, il agit comme un vaccin pour renforcer les défenses immunitaires: en injectant des idées hétérodoxes, mais soigneusement affadies, on permet au système de renforcer ses défenses intellectuelles...
Pour moi, je suis d'accord avec vous: s'il ne tire pas les conséquence logique de ses critiques, c'est le pire ennemi des anti-UE...
CVT
Complètement d'accord avec CVT et Teo Neo.
SupprimerCe genre d'individu est pire que ceux qui ont des convictions ou qui assument clairement la défense de leurs intérêts.
@Laurent Pinsolle,
RépondreSupprimerHier, j'avais indiqué un lien sur ce type de discours que tient F.Lenglet: critiquer à mort le système, mais refuser de l'abandonner. Dans cet article ci-dessous, F.Lordon fait un sort à ce type de stratégie du coucou (regardez la vidéo, la charge commence autour des 20'):
http://blogs.mediapart.fr/blog/gam/080712/lordon-se-paie-mauduit-et-plenel
L'attitude de Langlet me rappelle un peu celle de Mauduit, E.Cohen, etc...
Franchement, si c'est pour maintenir l'euro, que Lenglet aille au diable (et encore, je reste poli...)
CVT
J'avais bien aimé en 2007 sont bouquin "la crise des années 30 est devant nous". Il a fait partie des économistes qui ont vu la tempête arriver. Mais depuis qu'il fait de la télé, j'ai du mal à le reconnaître ! Face à des opposants à l'euro comme Marine Le Pen ou à des gens très critiques comme Mélenchon, il tient des propos très conformistes et souvent à la limite de la malhonnêteté intellectuelle. C'est d'autant plus impardonnable qu'il n'y croît sans doute pas...
RépondreSupprimerJe crois l'avoir déjà dit mais Lenglet selon l'interlocuteur se fait la raie a droite a gauche ou au milieu
RépondreSupprimerLorsque Lenglet critique l'échec de la convergence, ou est le mal ? s'il dit qu'il n'y a jamais eu de zone monétaire aussi hétérogèneet que c'est la faut de l'euro, Ouest le problème ?
RépondreSupprimerS'il met en garde contre cela, a t'il tort ?
je ne le crois pas !!!
Et entre 2008 et 2013 (ou 2012), on en est où de ces balances extérieures et des prix ? Je ne sais pas si quelqu'un s'est "amusé" à faire les comparaisons, ça serait bien d'avoir les données les plus actualisées possibles.
RépondreSupprimerSans lui contester une certaine lucidité, il me semble clair que Lenglet fait aussi partie de ceux qui ont infléchi leurs positions parce qu'ils ont senti le vent tourner. Dans son livre publié au printemps 2008, tout en prenant assez bien la mesure de certains aspects de la crise, il en était encore à analyser le retour à l'idée nationale comme une forme de « repli sur soi », lourd du risque futur d'une dérive fascisante… Je rejoins à cet égard les points de vue présentées ici par CVT et TeoNeo. En signalant aujourd'hui l'échec de la convergence économique intra-européenne ou le fiasco des politiques d'austérité, Lenglet est dans le vrai. Mais les portes qu'il enfonce ont été largement ouvertes par d'autres et son franc-parler apparent lui permet en définitive d'adopter une posture critique à peu de frais. Le véritable défi intellectuel étant aujourd'hui d'envisager une alternative à l'ordre européen associé à la logique de la monnaie unique, il ne pousse pas l'audace jusqu'à appeler de ses vœux une rupture radicale. Les modélisations que des économistes comme J. Sapir s'efforcent de construire autour d'un scénario de sortie crédible (début septembre, une nouvelle étude sur la question paraîtra ainsi sous l'égide de la fondation Res Publica) impliquent des compétences techniques qu'il ne possède pas et une prise de risques qui n'est sans doute pas dans sa nature.
RépondreSupprimerMais l'essentiel reste (ce qui justifie totalement l'intérêt accordé à ses propos par Laurent Pinsolle) ce que révèle l’évolution d’un Lenglet : la défense du système sur lequel est fondé l'euro devient de plus en plus coûteuse à argumenter. La critique de l'euro devient donc à la mode chez les faiseurs d’opinion. C'est une bonne chose si l'on considère la nécessité de briser les tabous dont il a jusqu'ici été entouré. Pour l'avenir, cela augure mal en contrepartie de la possibilité de changements politiques en profondeur. L'establishment a jusqu'à présent capitalisé sur « l’euro c’est l’Europe ! » comme instrument de légitimation ; s'il faut mettre la formule de côté en vue de préserver ses positions et ses privilèges, il le fera sans états d'âme. Ces gens-là n'ont jamais eu d'autre ambition que de demeurer au pouvoir, et ils adopteront toute forme de changement qui leur garantirait que justement rien que ne change sur ce point (« Se vogliamo che tutto rimanga come è, bisogna che tutto cambi ! » comme dit un personnage du Guépard de Lampedusa…). C'est un défi pour ceux qui voient au contraire dans la sortie de l’euro, dans la rupture avec la logique européiste, et dans la nouvelle politique qui s'ensuivrait, non un moyen de maintenir coûte que coûte l'ordre existant, mais la condition de son bouleversement.
YPB
Nous voyons tous que l'euro est lâché petit a petit et des individus comme Lenglet sont au cœur de cette stratégie ; de toute façon le changement politique en profondeur ne peut se faire qu'au travers d'un processus révolutionnaire , nous pouvons gloser a l'infini sur les mots en "isme" cela fait passer le temps ; mais c'est des Montagnards et de Louis de Saint-Just dont nous avons besoin
Supprimer@ patrice lamy
SupprimerLes Montagnards sont là ? Grand classique du film musical avec Laurel et Hardy… ;)
YPB
J'ai le film c'est a voir ; une pinte de rigolade ...
SupprimerJ'aimais bien Lenglet AVANT la campagne présidentielle. Il semblait alors plus lucide que beaucoup d'autres.
RépondreSupprimerJe l'ai trouvé inexistant pendant la campagne, voire, allant a l'encontre de tout ce qu'il avait pu dire avant, dans le main stream total, la "voix de son maître", l’éternelle pensée unique du St Graal €uro sans qui ce serait la fin du monde...
Tout ca pour avoir son fauteuil sur France 2...
Maintenant, il en est réduit a jouer les 'faire valoir' de Pujadasse au JT de 20h en temps qu'"expert de l'économie"...
@ Alain34
RépondreSupprimerJ’en parle sur le papier suivant. Il faut noter qu’il est souvent moins mordant sur l’euro quand il intervient sur France 2.
@ TeoNeo
Non, je crois que ce qu’il écrit est cohérent avec ce qu’il disait dans le passé (je n’ai jamais vu de papier qui montrait l’inverse en tout cas).
@ CVT
Pas faux, mais je crois que ce sont simplement ses idées… Malgré tout, je pense qu’il est utile car il enfonce un coin dans certaines idées reçues, et notamment la faisabilité d’une sortie de l’euro…
@ Anonyme
Je ne savais pas qu’il avait écrit cela… Pas faux sur son discours, qui reste très politiquement correct face à MLP, JLM ou NDA.
@ Patrice Lamy
Pas d’accord : il est sévère avec tous ses interlocuteurs il me semble.
@ YPB
Je ne suis pas sûr qu’il ait tant évolué que cela. Je me souviens qu’en 2011 (voir 2010), ses éditos sur BFM TV avaient une tonalité très euro critique. Tout le problème est qu’il reste mondialiste et fédéraliste, tout en reconnaissant les limites de la construction actuelle.
Je suis bien d’accord sur le fait qu’il faut aller plus loin. C’est ce que j’ai toujours défendu, mais il a le courage, contrairement à certains, à reconnaître les dysfonctionnements de la zone euro, qu’on peut la défaire, c’est un atout pour nous dans le débat d’idées. Je crois qu’il fait de la publicité pour nos idées.
Comment cela pas d'accord ! vous dites qu'il est moins mordant sur l'euro quand il interviens sur F2 dans ce cas il a bien la raie au milieu
RépondreSupprimerD'accord avec certains des commentaires, j'ajouterai ceci: Lenglet a été de bien mauvaise foi quand il s'est retrouvé face à NDA en 2012. C'est d'ailleurs son job, être de mauvaise foi avec tout le monde, mais plus encore face à qqn qui articule une pensée alternative.
RépondreSupprimerC'est tellement facile de préparer des courbes sur la croissance du PIB pour tel pays, entre, mettons, 2001 et 2009, mais non, en fait entre 2005 et 2009 ce sera plus convaincant, et pour tel autre pays on choisit une autre fourchette, et on envoie ça pour ridiculiser un interlocuteur. Il a servi lui-même plus que le débat contradictoire.
Mais bon, Mitterrand était pétainiste jusque 43, résistant ensuite, et au final, il s'est trouvé dans le bon camp.
Géry
@ Patrice
RépondreSupprimerAprès, le rôle d'un interviewer (surtout quand il est mordant, comme lui), n'est pas du tout le rôle d'un chroniqueur...
@ Géry
Pas faux. J'avais fait un papier sur le sujet (il y a le lien dans le papier). Je ne serais pas aussi sévère. Il a tout de même le droit de ne pas avoir exactement les mêmes opinions que nous, même si le procédé, lors de l'interview de NDA dépassait les bornes de l'honnêteté intellectuelle.