mercredi 18 septembre 2013

Jacques Sapir, économiste souverainiste


Jacques Sapir n’est pas un économiste comme les autres. Passionné de géopolitique, ses écrits offrent également une lecture politique passionnante qui éclaire particulièrement bien les enjeux d’aujourd’hui et le « retour des nations » qu’il annonce.




L’illusion du droit d’ingérence


Dans la novlangue bien pensante, le « droit d’ingérence » est un morceau de choix. Il faut dire que le vocabulaire a été bien choisi pour éviter toute contestation. Mais ce n’est pas ce qui arrête un Jacques Sapir qui n’a que faire des convenances et attaque bille en tête. Il souligne que « l’ingérence humanitaire ne peut être que le fait du fort sur le faible, alors qu’un principe de droit doit par essence pouvoir être appliqué tout autant au fort qu’au faible » devenant au passage un « colonialisme humanitaire ».


Il souligne que cela « introduit une division immédiate au sein des nations entre celles dont les moyens de défense les protègent de toute tentative d’ingérence et celles dont les moyens de défense sont suffisamment faibles pour qu’elles puissent devenir, le cas échéant, des cibles dans une guerre humanitaire ».  Pire, pour lui, cela incite à « monter en puissance dans ses moyens de défense, l’échelon ultime (…) étant la possession d’armes de destruction massive »…


Au contraire, c’est « en rétablissant le principe de la souveraineté dans toute sa force (…) que l’on pourra réellement s’opposer au processus de prolifération des armes nucléaires ». Il souligne que cette violation de la souveraineté suspend « les conditions rendant possibles la production et la légitimation des institutions, la possibilité d’un enracinement légitime des institutions importées devient extrêmement problématique. L’ingérence devra donc soit être renouvelée, soit être étendue dans le temps ».


L’auteur souligne que l’intervention occidentale au Kosovo a plutôt empiré les choses dans un exposé très documenté et critique. Il affirme que « derrière le discours humanitariste (…), on retrouve la cruelle vérité de l’adage bismarckien : la force prime le droit »… Avec Guantanamo et le Patriot Act, il souligne que pour les Etats-Unis « la défense des libertés démocratiques n’a sa place que si elle peut affaiblir un adversaire. Elle cesse d’être un principe d’action si tel n’est pas le cas ».


Le siècle du retour des nations ?


Pour lui, c’est la défense des intérêts nationaux qui est la solution. Il souligne à quel point l’économie russe a réussi à se relance à la fin des années 90, en renonçant en partie à la potion amère néolibérale qui lui avait été imposée, provoquant un effondrement de 40% du PIB, en recourant à un cocktail de dévaluation, baisse des prix de l’énergie pour les consommateurs russes, contrôle des changes et aides publiques. Ainsi, l’économie est repartie avant même la hausse du prix des matières premières.


Il cite de larges passages d’un discours de Poutine à Munich en 2007 où celui-ci affirme que « nous sommes témoins d’un mépris de plus en plus grand des principes fondamentaux du droit international. Bien plus, certaines normes et, en fait, presque tout le système du droit d’un seul Etat, avant tout, bien entendu, des Etats-Unis, a débordé de ses frontières nationales dans tous les domaines, dans l’économie, la politique, et dans la sphère humanitaire, et est imposé à d’autres Etats ».


Pour Sapir, il s’agit d’une « critique radicale de l’idéologie de la mondialisation ». « La souveraineté est une et indivisible » et « le droit international est nécessairement un droit de coordination, et non un droit de subordination » et « il ne peut y avoir de légalité (le droit international) sans légitimité, et que cette dernière ne saurait se construire, dans un univers structuré par des intérêts divergents et des valeurs multiples, que sur la base de la souveraineté ». Souveraineté et démocratie sont intrinsèquement liées.


Pour lui, la solution serait de construire des instances « régionales et politiques, au mieux coordonnées à l’échelle mondiale ». Mais « elles devront faire la place aux intérêts des Etats en raison de la dimension étatique des politiques économiques ». Il y a pour lui un motif d’espoir dans le discours finalement peu orthodoxes des principaux candidats à l’élection présidentielle de 2007, qui ont tous emprunté au discours alternatif en dénonçant les délocalisations par exemple.


L’auteur termine par une conclusion très gaullienne, où, s’il souligne que « la grandeur nationale ne se mange pas en salade », il appelle les Français à embrasser ce nouveau 21ème siècle, qui sera celui des nations et à préparer une alternative bienvenue pour 2012.


Source : Jacques Sapir, « Le nouveau 21ème siècle », Seuil,  texte publié en février 2010

8 commentaires:

  1. Il faut être sacrément fanatique de Poutine et de ses idéologues (pas inintéressants, mais malheureusement souvent déconnectés du réel) pour croire qu'on assiste à un retour des nations. Le système tissé par les Américains entre 1945 et les années 90 continue de fonctionner formidablement bien. C'est tout le problème.

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  2. Pour 2012 c'est raté mais nous savons que le siècle ne commence jamais a son nombre mais a une date ultérieure le XX eme c'estait Aout 1914

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  3. "Il faut être sacrément fanatique de Poutine et de ses idéologues pour croire qu'on assiste à un retour des nations".
    Je ne suis pas un "fanatique" de Poutine, mais je le trouve "gaullien" dans son attitude. Il remet au premier plan la souveraineté des peuples et des nations, et et évoque l'incontournable "rapport de forces" qui régit les Etats entre eux.
    Il a subi la "dictature" de l'oligarchie financiére américaine lorsque Goldman Sachs a empéché le rachat d'Arcelor par Severstal au profit de Mittal.
    Mais il n'y a pas que Poutine. Beaucoup d'autres commencent à s'insurger contre ce "mondialisme" qui consiste en fait a vouloir nous plonger dans le "Meilleur des Mondes" version "à dominante américaine". Ce qui se passe en Amérique latine est intéressant aussi, car ils veulent dorénavant tourner le dos au FMI et à la banque mondiale.

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    1. Le problème n'est pas d'être gaulliste ou pas. Je ne suis pas favorable au système actuel, mais l'idéologie ne peut pas se substituer à la réalité.
      Le fait est que les oppositions au système existent mais sont faibles, souvent très incomplètes et guère à même de le menacer dans le fond.
      (Concernant l'Amérique latine, d'ailleurs, les positions respectives sont très diverses, y compris parmi les pays qu'on ne classerait pas spontanément comme alliés des USA.)

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  4. La fin de la mondialisation c'est pour bientôt selon le journaliste économique François LENGLET qui vient d'écrire un livre !!!
    Visionnaire, rêveur ?
    Personnellement j'y crois, si nous suivons NDA : sortie de cette europe de fonctionnaires, protectionisme, euro-francs, égalité de tous les français devant le salaire, les avantages et la retraite... UN SEUL REGIME PAR POINTS POUR TOUS - Alignement PUBLIC/PRIVE - fin des privilèges et Niches fiscales (sauf aides à la pêrsonne, on faite le contraire...) - réduction de l'immigration clandestine ....
    OUI, on peut y arriver

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  5. En somme (si nous voulons poursuivre selon notre inspiration gaulliste) :
    Entente, concorde et coopération équitable et loyale de Peuples souverains et de Nations indépendantes.
    CASTELIN michel

    ps : je rappelle que (toujours selon moi et ... mon inspiration gaulliste) la mondialisation actuelle n’est autre que la collusion sournoise, mais toujours antagoniste et conflictuelle, des capitalistes (libéraux) et des internationalistes (ttes gauches).
    Et au sein de cette complicité morbide (institutions mondialistes; UE; 'think-tanks' : centres d'intelligence, de réflexion et d'influence ; sphère politico-intello-médiatique) ce sont très probablement les internationalistes les plus dangereux et les plus fourbes : en bons exécutants du trotskisme ils infiltrent, ils noyautent, ils démolissent et … conquièrent de l'intérieur.
    Quant aux capitalistes (c'est bien connu et un autre plus intelligent que moi l'a dit) ils leur vendront la corde pour se faire pendre ... !
    Si le Peuple Français ne comprent pas cette supercherie ils sera broyé par ceux qui prônent ... le droit d'ingérence (notion éminemment internationaliste avec tous les procédés dictatoriaux et totalitaires qu’elle recouvrent, lors même que les EU auront perdu leur hégémonie mondiale).
    Comprenons-nous bien c’est :
    NON à l’hégémonie US !
    NON à l’hégémonie internationaliste !
    CASTELIN Michel

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  6. @ Anonyme

    Pas d’accord. La mondialisation étasunienne est en train de s’autodétruire sous nos yeux

    @ Patrice

    Bien vu

    @ Gilco56

    Je viens de le recevoir. Je vais essayer de le lire cette fin de semaine.

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  7. Je pense que Jacques Sapir n'aimerait pas le qualificatif de "souverainiste" pas plus que vous. Nous sommes des patriotes!

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