C’est curieusement un angle mort de la réflexion. Pourtant, selon
l’Observatoire du Crédit Logement, environ 75% du coût d’achat est financé
par l’emprunt. Les prix de l’immobilier devraient donc être mesurés en coût
complet, incluant le coût du crédit. Voilà qui donne une perspective différente.
Des
conditions de crédit bien plus favorables
D’abord, je tiens à remercier Jacques
Friggit et la CGEDD pour les données accumulées, et mises à disposition, ce
qui m’a permis de faire une analyse remontant à 1984. Sans eux, il serait
difficile de remonter aussi loin en ayant des données consistantes, nécessaires
à toute analyse statistique. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que les
conditions de crédit se sont grandement améliorées. En 1984, le taux d’emprunt
était de 13,3% par an, contre 3,1% aujourd’hui. Jusqu’en 1993, il est resté
supérieur à 8% par an. Il est tombé autour de 5% au tournant du siècle et
encore plus bas après la crise, sous l’effet des politiques monétaires. Ceci a
permis une remontée de la durée d’emprunt, passée de 14 ans à 17/18 ans depuis.
Il faut noter que ce niveau n’est pas exceptionnel puisqu’en
1919, 50% des emprunts étaient à plus de 30 ans et 40% à 21-30 ans !
Mais si ces chiffres démontrent bien l’amélioration des conditions du
crédit, un calcul, réalisé
sur le site lafinancepourtous, permet d’en saisir plus concrètement
l’impact en prenant l’exemple d’un crédit de 100 000 euros. En 1984, aux
conditions moyennes de crédit (taux et durée), la mensualité pour le rembourser
était de 1335 euros. Jusqu’en 1995, nous sommes restés autour de 1000 euros.
Aux conditions actuelles, emprunter 100 000 euros revient à seulement 628 euros
par mois. Si la durée est plus longue, il faut noter que le coût total du
crédit a énormément baissé. Quand on empruntait 100 000 euros en 1990, les
intérêts ajoutaient la bagatelle de 86 000 euros au coût total. Depuis la fin
des années 1990, les intérêts n’ajoutent qu’environ 40% au coût d’un achat et
même seulement 29% début 2013. Du coup, si le prix d’achat d’un bien immobilier
a bien progressé de 106% par rapport aux revenus depuis 1984, en revanche, le coût
complet pour un bien acheté 100% à crédit, n’a progressé que de 23% par rapport
aux revenus, presque cinq fois moins ! Pour un crédit finançant 75% du
prix du bien (la moyenne en 2013), alors, la progression est de 44%, certes
importante, mais beaucoup moins inquiétante que les 106% initiaux.
Un niveau
d’endettement à relativiser
L’examen de l’ISI relativise le jugement sur le niveau des prix de
l’immobilier. Il confirme que nous sommes à un niveau très élevé (l’indice est
au plus haut en 2012), mais il n’est qu’à un plus haut historique (déjà atteint
en 1984, en 1990 ou en 2007) quand l’indicateur du tunnel de Friggit est plus
de 50% supérieur aux points hauts précédents. Il suggère donc un niveau très
élévé, mais pas totalement délirant. En outre, on peut considérer que les
conditions de crédit pourraient s’améliorer. En effet, comme nous sommes
revenus à des plus bas historiques en matière de taux, les ménages pourraient continuer
à souscrire des
emprunts à plus longue durée. Un simple retour aux durées de 2007-2008
permettrait de faire tomber l’ISI 100% à 31,3%, un niveau moins alarmant. Une
hausse de la durée d’emprunt à 20 ans en moyenne le pousserait à 29,8%, au plus
bas depuis 2005. En outre, étant donné les politiques monétaires actuelles, il
y a peut-être encore un potentiel de baisse des taux. Un demi-point de moins, ce
serait encore 1,4 point de moins à l’ISI…
Bref, si l’ISI peut indiquer que le niveau actuel des prix est soutenable,
surtout si les conditions du crédit s’améliorent encore un peu, en revanche,
toute remontée importante des taux (au-delà de 4%) provoquerait probablement un
ajustement sévère des prix. Néanmoins, il faut bien constater qu’à date, les
politiques monétaires devraient rester très accommodantes, à moyen terme, et
devraient donc nous éviter un tel scénario. En outre, s’il est vrai que le taux
d’endettement des ménages français a fortement progressé depuis 10 ans, passant
de 52 à 82% de leur revenu disponible brut, la situation est très
différente des autres pays. Tout d’abord, les actifs (notamment immobiliers),
ont sans doute progressé au moins aussi vite. Mieux, les ménages français sont
parmi les moins endettés d’Europe, seulement devancés par l’Italie (65%), mais
devant l’Allemagne (86%), l’Espagne (125%), le Royaume-Uni (139%), l’Irlande
(206%) ou les Pays-Bas (250%). Bref, il semble que les ménages français ont
encore de la marge pour s’endetter, de manière raisonnable. Dernier point
favorable : le niveau très faible des taux fait que l’immobilier est plus
rentable que les placements monétaires ou obligataires, autre facteur de
soutien aux prix et à la demande.
Au final, la prise en compte des conditions de crédit, si elle montre que
les prix sont à des plus hauts historiques, en terme de poids dans le budget
des ménages, indique aussi que le niveau actuel ne les dépasse pas,
contrairement à l’analyse comparant la valeur brut aux revenus. Du coup, à
conditions de crédit stables, un krach immobilier est loin d’être certain.
Votre papier d'aujourd'hui dément celui d'hier... alors finalement, krach ou pas ?
RépondreSupprimerAlbert.
L'inflation ne semble pas être prise en compte dans l'analyse.
RépondreSupprimerDébut des années 80, elle était bien plus forte, près de 14%, ce qui permet dans la durée de raboter le coût de l'emprunt quand les salaires sont indexés:
http://france-inflation.com/graphique-inflation-depuis-1901.php
Actuellement avec une désinflation et la stagnation des salaires, voire une baisse pour certains, le poids du crédit s'alourdit par rapport aux époques antérieures.
D'accord avec Olaf : la déflation renchérit le coût réel de l'emprunt, et la baisse du pouvoir d'achat dégrade à la fois la capacité objective d'emprunt et les anticipations des prêteurs, qui envisagent des restriction encore plus sévères dans l'avenir. Baisse des revenus, montée de l'incertitude ne plaident pas en faveur d'un scénario d'assouplissement du crédit immobilier.
SupprimerEn sens inverse, les politiques de Quantitative easing et la préférence pour la liquidité ont accumulé des fonds et capacités d'emprunt qui ne sont "dormants" que faute de bulle où s'engouffrer. Ce pourrait-être la source d'un sursaut spéculatif dans l'immobilier qui déjouerait les prévisions. Contre toute attente les prix se sont d'ailleurs légèrement redressés ces derniers mois...
Comme l'a dit Olaf, sans prendre en compte l'inflation, ça n'a pas vraiment de sens. Il y a 40 ans prendre un crédit ça voulait dire serrer les dents quelques années puis ensuite l'inflation et la montée de salaire permettait d'avoir une maison pour pas très cher. C'est facile de rembourser les crédits. Aujourd'hui on s'oriente vers plusieurs décennies de déflation (sauf changement politique majeur), avec des salaires plutôt à la baisse. C'est de la folie de s'endetter si on n'a pas d'énorme de garantie au niveau de l'emploi et du revenu (fonctionnaire en gros).
RépondreSupprimerExcellent article, ainsi que celui d'hier. Je vous félicite pour votre analyse très pertinente. Merci pour ce partage de connaissance.
RépondreSupprimerBonne continuation, et toutes mes félicitations pour la cadence de publication.
Je doute que seul le faible coût du crédit et les diverse mesures "sociales" soient les seuls éléments de l'hyperinflation de l'immobilier notamment parisien mais aussi francilien. D'autant plus que par rapport à l'inflation il n'est pas si faible que cela. Je pense que la rareté des biens immobiliers en est une cause majeure pour des raisons sociales: quand des couples se séparent et quand la population croit il faut construire d'autant plus, ce qui n'est toujours pas le cas depuis au moins 20 ans, en raison aussi de la vétusté d'une partie des immeubles et maison.
RépondreSupprimer@ Albert
RépondreSupprimerA conditions de crédit stables et sans crise majeure, je ne pense donc pas qu'il y aura un krach. Dans le papier d'hier, j'employais le verbe "sembler" à dessein.
@ Olaf & J Halpern
Juste, mais l'inflation tombe sous 3% dès 1986 et se stabilise autour de 2% à partir de 1992. Si ce raisonnement fonctionne pour les institutionnels, je pense que c'est moins le cas des ménages, d'autant plus qu'il est difficile d'anticiper l'évolution de l'inflation ou des salaires.
Néanmoins, comme le dit J Halpern, une vraie déflation changerait la donne.
@ Karg
Pas sûr pour la déflation étant donné la politique des BC...
@ Florian
Merci
@ Anonyme
Bien sûr, l'équilibre offre / demande joue, notamment à Paris. Je vais y revenir.
HS, mais c'est une histoire incroyable de subventions :
RépondreSupprimer2013 est une année cruciale pour la protection des océans profonds : la Commission européenne a proposé l’interdiction du chalutage profond, une méthode de pêche décrite par les chercheurs comme « la plus destructrice de l’histoire » : d’immenses filets lestés raclent les fonds marins jusqu’à 1800 mètres de profondeur et dévastent des écosystèmes multimillénaires et des espèces vulnérables, dont certaines sont menacées d’extinction.
En France, moins de dix navires sont impliqués dans la pêche profonde au chalut de fond. Six d’entre eux appartiennent à la flotte d’Intermarché. Malgré les millions d’euros d’aides publiques qu’ils perçoivent, ces navires industriels sont tous déficitaires. Le chalutage profond est un gouffre à fonds publics ; il n’existerait pas sans le soutien de nos impôts.
Les lobbies de la pêche industrielle font pression sur les Etats membres de l’Union européenne et les députés du Parlement européen pour éviter l’interdiction de cette méthode de pêche dont le modèle économique sous-performant et dépendant des aides publiques appartient au passé. Les lobbies s’appuient notamment sur la France pour faire avorter le règlement européen.
http://www.penelope-jolicoeur.com/2013/11/prends-cinq-minutes-et-signe-copain-.html?utm_source=feedburner&utm_medium=feed&utm_campaign=Feed%3A+BlogPenelopeJolicoeur+%28BlogPenelopeJolicoeur%29&utm_content=Netvibes
Les conditions de crédit expliquent probablement la hausse des prix, mais il n'en demeure pas moins que cette surévaluation est néfaste pour la plupart des Français, hormis pour ceux qui ont de gros moyens financiers, un emploi stable bien rémunéré ou encore ont acheté leur résidence à un moment où les prix étaient beaucoup plus raisonnables.
RépondreSupprimerCela démontre encore une fois qu'une inflation faible et que des taux d'emprunt très bas favorisent ceux qui ont de l'argent. D'ailleurs, comme le fait remarquer Karg se, dans les années 50 et 70, nos parents ou grand parents pouvaient accéder beaucoup plus facilement à la propriété que nous pouvons le faire aujourd'hui. La situation ne va pas s'arranger avec la destruction des emplois et le développement de la précarité.
Dans les années 1980, j'ai connu des ouvriers et des femmes de ménage qui épargnaient, avaient leur maison et ne mangeaient pas pour autant des nouilles chaque midi. Une baraque c'était 200.000 francs et non 200.000 euros à la con. Le SMIC était à 4000 balles, maintenant il n'est pas à 4000 euros.
RépondreSupprimerMaintenant, même à 2 ingénieurs, même avec un foyer à 4000 euros de revenus, on peut à peine se payer une cage à rats en s'endettant 20 ans. Un ingénieur en 2013 vit moins bien qu'un SMICard sans les années 1980.
Les prix ont donc été multipliés par 6 ou 7, cette étude est bidon, c'est de la propagande de technocrasse pour nous cacher la réalité. J'ai plus confiance dans le souvenir de n'importe quel pilier de bistrot , que je fréquente aux bars de Revin et de Laifour, que dans ces études d'économistes formatés à fabriquer l'amnésie.
Si on revenait en 1986 et que l'on imposait d'un coût l'augmentation démentielle du coût de la vie, que l'on imposait en une fois les régressions de libertés et les contraintes accumulées en 27 ans, la révolution serait immédiate.
C'est la technique bien connue de la grenouille mise dans une casserole d'eau froide.
Populiste ? Oui, je suis populiste ! On devrait pendre le dernier économiste néolibéral avec les tripes du dernier technocrates de Bruxelles accommodées aux abats du dernier agent immobilier, choisi bien engraissé par la spéculation pendant 30 ans.
Vous avez sans doute raison la régression des libertés et les augmentations de prix se font par petites touches , le nécessaire est mélangé avec le superflu et a même fonctionnalité/produit il y a baisse de qualité .
SupprimerSur la dernière phrase je suis plutôt pour la bascule a charlot le sang lave tout .
Rodolf Dumouch
SupprimerJe comprends et je partage ta colère, mais je ne crois pas que nous devions accepter l'étiquette de "populistes" collée par les libéraux sur ceux qu'ils veulent disqualifier. Autant j'aime le terme "populaire", synonyme pour moi de gaieté, de fête, de partage, d'esprit républicain, autant je déteste ce mot de populisme.
N'oublions pas et Laurent le rappelle à l'occasion, les mots sont extrêmement importants, ils sont des armes de guerre. CQFD.
"Une baraque c'était 200.000 francs et non 200.000 euros à la con. Le SMIC était à 4000 balles, maintenant il n'est pas à 4000 euros."
RépondreSupprimerTerrible constat mais trop vrai, mes parents ont acheté une maison au début des années 80, 170 000 francs, ils touchaient à peine plus que le smic de l'époque. On partais en vacance tout les été deux à trois semaines, souvent en location. Mais soeur et son mari ont acheté une maison à ce même prix, mais en euro, et même pas en neuf. Ils ne sont pas smicard mais ne se font pas les 4000 euro à deux.
Merci.
SupprimerLa période de glissement, ce sont les années 1990 : je me rappelle avoir été le seul à alerter dans une indifférence générale, comme si tous ceux qui m'entouraient étaient devenus des veaux.
Ce qu'il faudrait réaliser, ce sont de vraies études indépendantes sur ce sujet, sans crânes-d’œufs incompétents pour les frelate ni journalopes du Libé ou de l'ImMonde pour les démentir et brailler à la "démagogie".
Les vrais chiffres devraient déclencher la révolution qu'ils redoutent tant.
@ Olaf
RépondreSupprimerMerci pour l’info. Il faut que je me renseigne.
@ Démos
Bien d’accord. La hausse des prix a également été nourrie par le système fiscal. Bien d’accord sur l’accession à la propriété.
@ Rodolphe
Je ne nie pas que les prix ont nettement augmenté, notamment par rapport aux revenus. Ce que j’explique ici, c’est qu’il faut aussi prendre en compte que les conditions de crédit ont beaucoup changé, ce qui explique en bonne partie cette hausse des prix, et fait que nous n’avons pas eu de krach des prix immobiliers.
Sur la fin, d’accord sur le fait que le néolibéralisme avance progressivement. Après, est-ce que les tonalités révolutionnaires ne sont pas les meilleures alliées du système en place car la population risque de préférer ce système actuel à la révolution ?
D’accord sur le point de départ des années 1990. Beaucoup de choix remontent à cette période (indépendance banque centrale, liberté de circulation des mouvements de capitaux, franc cher, taux élevés, libre-échange accéléré…)
Pour le moment il n'y a pas de risque révolutionnaire tant que la bourgeoisie n'est pas vraiement touchée ; ce qui pourrait arriver si par exemple il y avait un braquage des banques comme a Chypre .
SupprimerPour l'instant la bourgeoisie parvient même à détourner la colère populaire pour qu'elle aie vers ses intérêts comme en témoigne cette hysterie anti impôt que nous connaissons...
SupprimerPersonne ne parle des normes d'urbanisme malthusiennes : hauteurs limites de construction, coefficients maxima d'occupation des sols, zones inconstructibles...
RépondreSupprimerCela fait 40 ans qu'on n'a plus le droit de rien construire dans notre pays. Or la population, et donc les besoins, ont considérablement augmenté dans l'intervalle.
Giscard a annulé les programmes de villes nouvelles et de grands ensembles qui avaient été prévus pour accueillir les baby-boomer. Il a interdit les immeubles de grande hauteur.
Le baby-boom a culminé en 1967, année record. Il n'y a pas plus baby-boomer que ceux qui sont nés cette année là. Quand ils sont arrivés sur le marché du travail et du logement 18 ans plus tard en 1985 cela faisait déjà 10 ans que tout était bouché et qu'on n'avait plus le droit de rien construire.
Cela suffit à expliquer l'explosion des prix de l'immobilier, à l''achat comme à la location. Le mal était déjà fait bien avant les années 1990. S'il continue à s'aggrave, c'est parce que nous avons toujours une démographie dynamique, alors que notre urbanisme reste malthusien.
Je pense même que les normes d'urbanisme malthusiennes sont le principal handicap de notre économie et la première cause structurelle du chômage.
Salut Laurent,
RépondreSupprimerJ'ai apprécié ton premier post sur l'immobilier, mais dans celui-ci des choses me chagrinent.
D'abord, tu as prix les taux d'intérêt nominaux, ce qui n'est pas pertinent, surtout avant 1986. Cela n'a pas de sens de comparer des taux d'intérêt de 2013 avec ceux de 1983. Tu le sais pertinemment d'ailleurs. Alors pourquoi ce choix?
Ensuite, tu explique la hausse des prix des années 2000 par une baisse du coût du financement, qui pour l'essentiel, s'est produit dans les années 80 et 90 (biais de l'inflation non prise en compte). Ce n'est, à l'évidence, pas pertinent.
Cordialement.
Et bien, on se demande toujours qui est le maillon faible dans l'immobilier qui empêche les investisseurs de franchir le pas? si ce n'est pas question de prix ni de taux de crédit.
RépondreSupprimerExcellent article, très pertinent.
RépondreSupprimerEn revanche l'inflation devrait être prise en compte dans vos courbes.
Ce commentaire a été supprimé par un administrateur du blog.
RépondreSupprimer