Il y a
quelques semaines, l’annonce
d’une discussion sur la fusion entre l’Aviron Bayonnais et le Biarritz
Olympiques a défrayé la chronique du Pays Basque et du monde du rugby.
Heureusement, ce
projet a été enterré, mais par delà les querelles de clocher, tout ceci a
un sens plus profond encore.
Fusionner
l’eau et l’huile
Comme
bayonnais, je vis depuis mon enfance cette opposition entre « Biarritz la
bourgeoise » et « Bayonne la populaire ». Et cette opposition a
un sommet bi-annuel, la rencontre entre notre Aviron et le BO, depuis que
Bayonne a retrouvé les chemins de l’élite du rugby national. Ces rencontres ont
une saveur et une tension particulières, l’équivalent d’un PSG-OM dans le
football, à la différence près que les deux clubs sont distants d’à peine
quelques kilomètres. Il y a quelques années, des supporters taquins de
l’Aviron, la veille d’un derby chez les voisins, avaient malicieusement dérobé
le Y du logo du stade biarrot, le transformant temporairement en Biarritz
Olympique Pa(y)s Basque.
Ceux qui
n’ont pas baigné dans cette ambiance depuis leur enfance pourraient se dire
qu’il y a plus de sens à fusionner les deux clubs car il ne serait pas possible
d’avoir deux clubs du Pays Basque bien placés dans l’élite, que le seul moyen
d’être en haut du tableau, c’est la fusion, pour pouvoir rivaliser avec
Toulouse, Toulon ou les clubs parisiens. Mais la question de la taille n’est
pas tout. Serge Blanco y voit sans doute aussi la seule bouée de sauvetage pour
son club, au bord du nauffrage, sportif comme économique, qui pourrait bien
descendre de deux divisions l’an prochain, puisqu’il est la lanterne rouge du
Top 14 et que ses comptes aussi seraient largement dans le rouge.
Quand les
finances veulent tuer la culture
Car l’Aviron
Bayonnais existe depuis plus de 100 ans. Les supporters ont soutenu le club
quand il était en Pro-D2. Ils le soutiennent dans la défaite, dans la
difficulté, comme dans la victoire. Des générations se sont transmises cet amour
du maillot bleu et blanc. Et là, du jour au lendemain, parce que Serge Blanco
voit son club au bord du précipice et parce qu’Alain
Afflelou voulait imposer la seule loi de l’argent par un oukase, des
dizaines de milliers de personnes devraient se défaire d’une partie de leur
identité ? Cette logique est totalement délétère. Ce projet relève de la
matraitance culturelle pour ceux qui sont attachés à leurs clubs depuis si
longtemps. Tout ne peut pas se décider sur des critères financiers.
Un club de
rugby, c’est aussi une entreprise, mais ce n’est pas que cela. C’est une partie
de l’identité des personnes qui le soutiennent, surtout quand il existe depuis
aussi longtemps. On ne devrait pas prendre autant à la légère les supporters
que ne le fait Alain Afflelou quand il a dit que ce rassemblement « serait
fabuleux parce qu’on aurait une autre dimension et un autre public » ! J’ai beau parlé
beaucoup (trop ?) d’économie, comment ne pas comprendre que le monde ne
peut pas uniquement tourner en fonction de l’argent. La culture, la tradition,
l’identité sont des choses qui dépassent de très loin les seules questions
économiques. Et c’est cela qui fait que nous sommes des hommes.
Une
question philosophique
Même si
comparaison n’est pas toujours raison, ce projet rentre dans la liste des
projets qui demandent à l’homme de s’adapter à l’économie, alors que cela
devrait être l’inverse. C’est comme quand
on propose d’imposer l’anglais comme lingua franca du monde. C’est comme
quand on dit aux chômeurs qu’il leur suffit de partir ailleurs pour trouver un
travail, en oubliant complètement que cela peut les arracher à leur famille,
leurs racines, leurs amis. Même s’il faut bien sûr savoir faire des efforts, ce
n’est pas à l’homme de constamment devoir s’adapter pour entrer dans le cadre
économique. C’est à l’homme et à ses dirigeants de trouver un moyen d’adapter
les contraintes à l’humanité, sinon nous risquons de revenir sur des siècles de
progrès dans la condition de l’homme, comme
on le voit bien en Grèce.
De nombreux
auteurs comme Jean-Claude
Michéa ou Jacques
Généreux analysent ce déracinement que veut imposer en permanence le monde
moderne aux hommes. Parce que les hommes ne se conforment pas aux équations
néolibérales, alors il faut les refaçonner. Et quoi de mieux pour le faire que
de les couper de toutes leurs traditions antérieures ? Nous étions
attachés à notre nation, à notre département, à notre ville ? Désormais,
il faudrait s’identifier à l’Europe, à la région et à la communauté de
communes. Vous comprenez, avoir 36 000 communes, ce ne serait pas rationnel…
Pourtant, c’est l’empilement des nouvelles structures qui a fait exploser la
facture. En outre, elles se construisent contre les anciennes (d’où
la charte des langues régionales venues d’Europe). En fait, il serait bien
plus simple de se contenter des anciennes structures, qui fonctionnaient très
bien…
Idem dans le
sport. L’attachement de générations de supporters ne devrait pas entrer en
considération. Tout lien avec le territoire d’origine finit par être coupé, d’où
un club comme le PSG, possédé par des quataris, échappant à toute logique
économique, et dont toutes les stars sont étrangères. Les mêmes joueurs et
les mêmes dirigeants pourraient être rassemblés à Londres. La construction de
marques globales pouvant intéresser tout autour du globe aboutit à la
construction de clubs hors sol, inodores et sans saveur, à l’exception de celle
de l’argent. J’ai la nostalgie des règles qui imposaient un quota de joueurs
étrangers, qui valorisaient alors l’effort de formation, comme le faisait
Auxerre dans le football. Bref, les politiques devraient s’intéresser un peu
plus à la
mauvaise pente que prend le sport.
Voilà
pourquoi, par delà le fait que je suis de Bayonne, je pense qu’un tel projet serait
une calamité. Encore une fois, l’aspect humain est totalement oublié par des
dirigeants qui jouent au Monopoly. Tout ne doit pas être décidé en fonction de
l’aspect économique. Les traditions peuvent ne pas avoir de prix.
@Laurent Pinsolle,
RépondreSupprimeravant de vous lire, je me suis étonné que vous parliez rugby, mais je me suis souvenu de vos origines du sud-ouest :)).
En fait, le vrai pendant en football de l'opposition BO-Aviron, c'est plutôt Lyon-St Etienne que PSG-OM, opposition artificielle montée en neige par Canal+ et ce cher "Nanard" Tapie (c'est un ex-supporter du PSG qui vous le dit...). On retrouve la même opposition régionale entre Lyon la bourgeoise et St Etienne la populaire, avec deux villes distantes de 50 km... Je pense également à une autre oppositions toutes aussi virulentes comme Lens-Lille ou Metz-Nancy, opposition sociologique doublée d'une opposition historique.
Pour en revenir au rugby, je suis d'accord avec vous sur le refus des supporters de fusionner les deux clubs: ce sont deux cultures différentes. J'en ai eu un aperçu avec un ancien collègue, lui aussi bayonnais comme vous, avec qui il m'arrivait de discuter rugby. A cet époque, au milieu des années 2000, le BO régnait sur le championnat de France et se tirait la bourre avec le Stade Français (dont je suis supporter). Lorsque je lui posais la question s'il était content qu'un club basque soit détenteur du Bouclier de Brennus, il eut un mouvement de haut-le-coeur! A cette époque, l'AB était en troisième division, et malgré cela, il soutenait son club, pour lequel il avait joué, à un assez bon niveau par ailleurs. Depuis lors, j'ai compris que ce projet de fusion était voué à l'échec, en raison de la profondeur de l'inimitié qui règne entre ces deux clubs. Et pourtant, au vue de la réussite de la fusion Bègles-Bordeaux, on aurait pu penser que cela aurait marché pour les deux clubs basques...
Vous avez raison de dire que cet échec est rassurant, car c'est la preuve que tout n'est pas réductible à l'argent, et la passion des supporters (souvent les plus modestes socialement...) ne peut être achetée. C'est d'ailleurs l'une des raisons pour lesquelles j'ai abjuré mon statut de supporter du PSG depuis le rachat des Qataris, alors que j'avais toujours soutenu ce club (le plus détesté de France, en passant...) contre vents et marée. Les Qataris ont en fait une franchise, exactement comme aux Etats-Unis avec les clubs de football américain ou de basket. Si on n'y prend pas garde, un jour viendra où les propriétaires de club déménageront d'une ville à l'autre, exactement comme cela se fait aux USA. Bref, l'américanisation du sport européen sera alors en marche...
CVT
Il y a rarement des fusions équilibrées. Par exemple le Stade français a absorbé le CASG (et son stade Jean Bouin) ou le Racing l'US Métro.
RépondreSupprimerOn pourrait imaginer que les clubs restent indépendants dans le championnat, mais que ce soient des équipes de Provinces qui disputent la Coupe d'Europe, si elle continue à exister...
Antoine
Ho, Laurent, tu me déçois beaucoup, peuchère ! Moi, qui ait été Président de l'Oème, mais qui souhaite rester anonyme à cause de quelques petits ennuis avec la justice de mon pays, je peux te donner un conseil avisé : te préoccupe pas de l'argent, c'est pas le plus important dans la vie d'un homme. C'est ce que me disait pas plus tard qu'hier soir à l'heure du pastaga un ami de Neuilly, qui a exercé des fonctions importantes dans un certain pays pas très reconnaissant avec les hommes dévoués, si tu vois ce que je veux dire.
RépondreSupprimerBon, c'est pas tout, mon Lolo, je te laisse, parce que j'ai du travail qui m'attend. Hé, pardi, je prépare les élections de 2014 pour qu'enfin, il y ait de vrais hommes à la tête de ce pays.
Bernard T.
@ Antoine
RépondreSupprimerTrès juste. Oui, mais cette idée de Province est un cheval de Troie pour faire disparaître les clubs.
@ CVT
Vous avez raison sur le derby. En football, l'équivalent n'est pas PSG-OM (plutôt Toulouse-Toulon), mais bien plus OL-Saint-Etienne ou Metz-Nancy. J'ai été un peu emporté par mon chauvinisme...