La théorie de la fin du travail s'oppose légitimement aux
thèses productivistes, dont elle pointe et résout les incohérences, en
préconisant notamment une diminution progressive du temps de travail.
Cependant, la faiblesse de cette théorie vient justement des prémisses qu'elle
partage avec la thèse productiviste, prémisses desquelles sont éludées les
questions de la pollution et de la rareté des ressources naturelles. Si l'on
peut raisonnablement plaider en faveur de la réduction du temps de travail –
conjoncturellement pour lisser l'activité et structurellement pour favoriser –
la prise en compte de la contrainte environnementale incite à penser qu'un phénomène
tel que la fin du travail ne pourra pas se produire au cours du prochain
siècle, au moins.
L'oubli des
ressources naturelles et ses conséquences
La science économique traditionnelle – englobant en ce sens les écoles orthodoxes mais également une grande partie des hétérodoxes – considère que la production économique est issue de l'alliance de travail et de capital, en prenant ce dernier au sens de ‘capital productif’ : outils, machines, etc. Or, en regardant de plus près de plus près, on s'aperçoit que le capital est en réalité composé de travail et de matières premières. Il est bien, comme le disait Marx, du « travail cristallisé » ou « travail indirect », mais pas uniquement. Dans la plupart des cas, le capital est également – et de plus en plus – issu de la nature, sous forme de bois, de métaux, d'hydrocarbures ou tout simplement d'eau.
L'un des multiples
inconvénients du produit intérieur brut (PIB), vient de ce que cet indicateur
est totalement insensible à la destruction des ressources naturelles provoquée
par les méthodes de production employées. Il ne mesure que ce qui sort de la
machine économique, l'ouptut, sans en retrancher ce qui rentre, les inputs.
L'idée d'un « PIB
vert » ou « indicateur de bien-être économique durable » a
été avancée et mise en application pour combler certaines des lacunes du PIB
classique.
Le verdict est
sans appel : le PIB vert par habitant aux Etats-Unis stagne depuis les années
70, tandis que le PIB classique par habitant a doublé sur la même période (cité
par Jean Gadrey). Cela signifie, en pratique, que l'omission des
contreparties environnementales a amené une surestimation significative (du
simple au double !) de la production par tête états-unienne.
Le fait d'intégrer
les dégâts environnementaux à la production permet de remettre en question un
postulat solidement ancré dans les esprits : l'idée que le progrès technique
serait toujours positif. Le progrès technique nous apparaît comme positif, car
nous sommes habitués à ne voir que la face émergée de l'iceberg (le PIB
classique, qui ne regarde que ce qui est produit, et non ce qui est détruit),
mais cela ne signifie pas qu'il est nécessairement positif. Des penseurs comme
Jacques Ellul, Herbert Marcuse ou Ivan Illich – auquel Olivier Berruyer a
consacré un billet – ont mis en garde il y a un demi-siècle contre le
prêt-à-penser lié à l'idée de progrès. Par ailleurs, comme l'a démontré
l'économiste Piero Sraffa en 1960, lorsque le fonctionnement d'un système
repose sur des facteurs de production non reproductibles, le prix de ceux-ci ou
le taux de profit global (NB: l'un ou l'autre) doit théoriquement être négatif.
Ce résultat apparemment contre-intuitif a pour conséquence d'invalider le
recours au marché comme institution de valorisation des ressources non
reproductibles, mais qu'au contraire leur prix doit être encadré, et que des
quotas de plus en plus stricts doivent en limiter l'utilisation.
La théorie de
la fin du travail
Dans
un billet publié sur ce blog, Thomas Schott fait remarquer que la
corrélation entre croissance du PIB classique et création d'emplois peut être
négative – alors que dans l'inconscient collectif, la croissance est considérée
comme le préalable au redémarrage des créations d'emplois. En effet, lorsque
ces deux forces économiques ont pour même facteur commun d'importants gains de
productivité – on retrouve ici le fameux problème de la variable cachée tant
craint par les économètres – on a bien simultanément un effet positif sur la
croissance, et un effet négatif sur l'emploi. Il est donc tout à fait faux de
faire de la croissance la condition sine qua non de toute création d'emploi.
De ce constat tout à fait pertinent, Thomas Schott déduit qu'il faut envisager la réduction du temps de travail comme mode de compensation des gains de productivité, et procéder au versement d'un revenu minimal permanent, de type revenu de base ou revenu d'existence; ce dernier apparaissant comme un mode de régulation du revenu nécessaire dans un mode où le progrès technique est très rapide. On reconnaîtra la thèse de Jeremy Rifkin selon laquelle nous sommes entrés dans l'ère de la fin du travail. Dans une veine assez semblable, un article récent de Gilles Babinet suggère que l'on pourrait rentrer dans « une ère de suprématie de la machine et des plate-formes numériques », dont la structure ressemblera de plus en plus à « une économie des 200 familles telle qu'il en existait au XIX° siècle » caractérisée par une croissance très faible, du fait de la disparition des travailleurs, et donc des consommateurs.
Il me semble que
ce
type d'analyse – que je qualifie de ‘théorie de la fin du travail’ – est
vrai, mais pas nécessairement réaliste. Je m'explique : sur la base des
prémisses traditionnelles de l'analyse économique de la production – lesquelles
ferment pudiquement les yeux sur la rareté des ressources naturelles
nécessaires à la production – la théorie de la fin du travail est vraie, et
plus encore, elle bat sur son propre terrain la thèse productiviste classique.
Cependant, si l'on intègre à l'analyse le fait que les ressources ne sont pas
illimitées, et que leur manque se fera un jour (prochain ?) cruellement sentir,
la théorie de la fin du travail perd sa validité.
Suite demain
La conclusion que vous annoncez est très contre-intuitive.
RépondreSupprimerAvec l'augmentation de la productivité du travail il faut de moins en moins de travail pour produire la même quantité de biens.
Et avec l'épuisement des ressources naturelles non renouvelables (et la surexploitation des autres) on ne peut même plus produire la même quantité de biens !
Ce qui ne devrait en bonne logique qu'accélérer encore la disparition du travail.
D'ailleurs jusqu'à présent l'augmentation des prix du pétrole a toujours été suivie par une baisse de l'activité.
http://petrole.blog.lemonde.fr/2013/04/11/croissance-dette-facture-energetique/
"ce graphique fait apparaître une forte suspiscion de corrélation - à la hausse comme à la baisse - entre :
le prix du baril en dollars constants,
la faiblesse de la croissance de l'année qui suit,
le taux de chômage 3 ans après (et PAS instantanément !)."
"lorsque le prix du baril monte ou descend, le taux de chômage fait grosso modo de même 3 ans après (en moyenne), avec une amplitude qui est cependant variable."
http://www.manicore.com/documentation/petrole/petrole_economie.html
Ivan
Ivan, ce n'est pas une conclusion mais simplement l'annonce de la thèse que défendra l'auteur demain... rendez-vous demain pour le débat donc !
SupprimerBrillant !
RépondreSupprimerVivement demain :)
Talisker.