Billet invité de Gilles
Ardinat, Professeur agrégé et docteur en géographie, auteur de « Comprendre la
mondialisation en 10 leçons » (Ellipses, 2012)
Cet article a été publié
dans le dernier numéro de la RPP (Revue politique et parlementaire,
juillet-décembre 2013, n°1068-1069). Le blog gaulliste libre vous présente ici
le troisième tiers de cet exposé, après avoir publié le premier et le
second.
VII)
Une injonction contradictoire ?
D’une manière générale, la
compétitivité est invoquée, notamment sous sa forme institutionnelle, comme un
moyen d’améliorer les conditions matérielles des populations. Les experts de
l’Union européenne aiment rappeler que « la concurrence est donc l'alliée,
et non l'ennemi, du dialogue social » (Jacquemin, Pench, 1997). Pourtant
ce discours semble servir de caution théorique à une compétition sauvage entre
les systèmes productifs. Ceci rappelle la notion, très péjorative de dumping
(c’est-à-dire une pratique économique déloyale). Ainsi, l’Irlande, avec sa
stratégie de compétitivité fiscale (très faible taux d’imposition sur les
sociétés) exerce au sein de l’Union européenne une forme de dumping fiscal. Au nom de leur
compétitivité-prix, certaines nations asiatiques, notamment la Chine,
camouflent un dumping monétaire bien
réel. A l’échelle des entreprises, les accords sur la compétitivité sont
souvent synonymes de pertes d’avantages sociaux, de gels des salaires et d’une
flexibilité accrue. Dans de nombreux cas, la compétitivité, censée renforcer
l’économie, est un accompagnement rhétorique pour justifier différents dumpings ou décisions impopulaires. La
force de cet argumentaire est de présenter une réforme comme inévitable, car
imposée de l’extérieur (par la « mondialisation » et la
« concurrence étrangère »). Il y a donc une ambiguïté fondamentale
dans ce discours : conduit-il vers une modernisation du territoire ou à sa
déstabilisation sous la pression des différents dumpings induits par la mondialisation ?
Conclusion :
un patriotisme économique renouvelé.
Cet article semble aboutir sur un
paradoxe : en dépit de ses failles conceptuelles (II) et de certaines
confusions (III, V, VI, VII), la « compétitivité territoriale » s’est
imposée comme un discours incontournable dans les plus hautes sphères de la vie
politique. Ce succès peut, en grande partie, s’expliquer par la connotation
patriotique de ce discours. En somme, la
compétitivité est la nouvelle forme prise par le nationalisme économique.
Le territoire est alors invoqué comme un bouclier contre les menaces de la
mondialisation. Ce nationalisme économique mobilise l’opinion publique autour
d’un mot d’ordre (la compétitivité) qui reste
compatible avec les principes du néolibéralisme. En effet, le nationalisme
économique s’est essentiellement manifesté au cours de l’histoire par des politiques
étatistes, protectionnistes et dirigistes. Toutes ces mesures contraires au
libéralisme n’ont évidemment plus cours au sein des institutions
internationales (Union européenne, OCDE, FMI…) et au sommet des Etats
occidentaux. Le discours sur la compétitivité renouvelle donc le patriotisme
économique en lui retirant ses attributs traditionnels et en mettant en avant
le « territoire ». Rendu compétitif par les efforts conjugués des
élus, des entreprises et des habitants, ce territoire permet d’affronter la
concurrence mondiale avec confiance. Cette
rhétorique patriotique renouvelée entérine les nouvelles modalités de
l’économie mondiale : ne pouvant plus utiliser la frontière (par le protectionnisme)
ou le pouvoir de direction de l’Etat (par des nationalisations), la classe
politique invoque le territoire et sa compétitivité. Tout en respectant les
crédos du libre-échange et de la libre-entreprise, la puissance publique
affiche ici son volontarisme et répond aux craintes de certains de ses
citoyens. Adaptation « inévitable et nécessaire », la compétitivité
territoriale est le slogan devant fédérer les forces nationales/locales face
aux défis de la mondialisation néolibérale.
Jacquemin Alexis, Pench Lucio (1997), Pour une compétitivité européenne,
rapport du groupe consultatif sur la compétitivité, Paris, Bruxelles : De Boeck, VIII-162
p.
Sauf que si on passe à une monnaie nationale fiduciaire, le taux de change va rapidement donner de la compétitivité prix à ceux qui n'en ont pas... Toute les politiques de compression des coûts par les salaires et la fiscalité sont voués à l'échec dans des pays avec une inflation chronique comme la France. On ne compresse pas l'économie, c'est la grande leçon des périodes d'étalon or: pas de masse monétaire qui augmente, pas de croissance. Il fut une époque où la croissance dépendait de la découverte de nouveau gisement d'or...
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