mardi 11 février 2014

Qu'est-ce que la compétitivité territoriale ? (3/3)


Billet invité de Gilles Ardinat, Professeur agrégé et docteur en géographie, auteur de « Comprendre la mondialisation en 10 leçons » (Ellipses, 2012)



Cet article a été publié dans le dernier numéro de la RPP (Revue politique et parlementaire, juillet-décembre 2013, n°1068-1069). Le blog gaulliste libre vous présente ici le troisième tiers de cet exposé, après avoir publié le premier et le second.

VII) Une injonction contradictoire ?

Cette distinction des types de compétitivité, qui induit une typologie des pays, est à la base du discours de nos élus. Pour autant, elle comporte plusieurs contradictions évidentes. Plusieurs aspects de la compétitivité apparaissent comme inconciliables. Par exemple, la « compétitivité fiscale », qui est un levier en faveur de la compétitivité-prix, vise à alléger les impôts, notamment ceux qui pèsent sur les facteurs de production mobiles (capitaux et entreprises). Cette compétitivité fiscale contrevient à un autre objectif : celui de compétitivité infrastructurelle. En effet, comment financer massivement les infrastructures, l’éducation et la R&D tout en baissant la fiscalité ? Ce « paradoxe fiscal » de la compétitivité souligne la complexité de ce sujet.

D’une manière générale, la compétitivité est invoquée, notamment sous sa forme institutionnelle, comme un moyen d’améliorer les conditions matérielles des populations. Les experts de l’Union européenne aiment rappeler que « la concurrence est donc l'alliée, et non l'ennemi, du dialogue social » (Jacquemin, Pench, 1997). Pourtant ce discours semble servir de caution théorique à une compétition sauvage entre les systèmes productifs. Ceci rappelle la notion, très péjorative de dumping (c’est-à-dire une pratique économique déloyale). Ainsi, l’Irlande, avec sa stratégie de compétitivité fiscale (très faible taux d’imposition sur les sociétés) exerce au sein de l’Union européenne une forme de dumping fiscal. Au nom de leur compétitivité-prix, certaines nations asiatiques, notamment la Chine, camouflent un dumping monétaire bien réel. A l’échelle des entreprises, les accords sur la compétitivité sont souvent synonymes de pertes d’avantages sociaux, de gels des salaires et d’une flexibilité accrue. Dans de nombreux cas, la compétitivité, censée renforcer l’économie, est un accompagnement rhétorique pour justifier différents dumpings ou décisions impopulaires. La force de cet argumentaire est de présenter une réforme comme inévitable, car imposée de l’extérieur (par la « mondialisation » et la « concurrence étrangère »). Il y a donc une ambiguïté fondamentale dans ce discours : conduit-il vers une modernisation du territoire ou à sa déstabilisation sous la pression des différents dumpings induits par la mondialisation ?

Conclusion : un patriotisme économique renouvelé.

Cet article semble aboutir sur un paradoxe : en dépit de ses failles conceptuelles (II) et de certaines confusions (III, V, VI, VII), la « compétitivité territoriale » s’est imposée comme un discours incontournable dans les plus hautes sphères de la vie politique. Ce succès peut, en grande partie, s’expliquer par la connotation patriotique de ce discours. En somme, la compétitivité est la nouvelle forme prise par le nationalisme économique. Le territoire est alors invoqué comme un bouclier contre les menaces de la mondialisation. Ce nationalisme économique mobilise l’opinion publique autour d’un mot d’ordre (la compétitivité) qui reste compatible avec les principes du néolibéralisme. En effet, le nationalisme économique s’est essentiellement manifesté au cours de l’histoire par des politiques étatistes, protectionnistes et dirigistes. Toutes ces mesures contraires au libéralisme n’ont évidemment plus cours au sein des institutions internationales (Union européenne, OCDE, FMI…) et au sommet des Etats occidentaux. Le discours sur la compétitivité renouvelle donc le patriotisme économique en lui retirant ses attributs traditionnels et en mettant en avant le « territoire ». Rendu compétitif par les efforts conjugués des élus, des entreprises et des habitants, ce territoire permet d’affronter la concurrence mondiale avec confiance. Cette rhétorique patriotique renouvelée entérine les nouvelles modalités de l’économie mondiale : ne pouvant plus utiliser la frontière (par le protectionnisme) ou le pouvoir de direction de l’Etat (par des nationalisations), la classe politique invoque le territoire et sa compétitivité. Tout en respectant les crédos du libre-échange et de la libre-entreprise, la puissance publique affiche ici son volontarisme et répond aux craintes de certains de ses citoyens. Adaptation « inévitable et nécessaire », la compétitivité territoriale est le slogan devant fédérer les forces nationales/locales face aux défis de la mondialisation néolibérale.


Jacquemin Alexis, Pench Lucio (1997), Pour une compétitivité européenne, rapport du groupe consultatif sur la compétitivité, Paris, Bruxelles : De Boeck, VIII-162 p.

1 commentaire:

  1. Sauf que si on passe à une monnaie nationale fiduciaire, le taux de change va rapidement donner de la compétitivité prix à ceux qui n'en ont pas... Toute les politiques de compression des coûts par les salaires et la fiscalité sont voués à l'échec dans des pays avec une inflation chronique comme la France. On ne compresse pas l'économie, c'est la grande leçon des périodes d'étalon or: pas de masse monétaire qui augmente, pas de croissance. Il fut une époque où la croissance dépendait de la découverte de nouveau gisement d'or...

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