Billet invité de Gilles Ardinat, Professeur agrégé et docteur en
géographie, auteur de « Comprendre la
mondialisation en 10 leçons » (Ellipses, 2012)
Cet
article a été publié dans le dernier numéro de la RPP (Revue politique et
parlementaire, juillet-décembre 2013, n°1068-1069). Le blog gaulliste libre
vous présente ici le deuxième tiers de cet exposé, après
avoir publié le premier. La troisième est dernière partie sera publiée
prochainement.
IV)
Les classements de la compétitivité.
Malgré son succès dans les médias, ce
rapport est très critiqué. En effet, l’indice de la compétitivité est obtenu à
partir de sources très hétérogènes. Souvent, les chiffres utilisés ne sont que
de simples sondages auprès de chefs d’entreprises (et non des « hard datas »). Le choix des
critères, leur pondération et leur traitement statistique sont très contestés
(Lall, 2001). En outre, l’accumulation de données disparates trouble la
compréhension et l’interprétation cet indice. L’évaluation des moyens de la
compétitivité est mélangée avec la mesure des résultats (confusion des
approches ex-ante et ex-post). En fait, toutes ces critiques
méthodologiques sont emblématiques de l’idée même de compétitivité
territoriale : les indices composites sont fragiles et peu lisible car la
notion qu’ils sont censés évaluer est très complexe et difficile à cerner avec
précision.
V)
Les trois compétitivités territoriales.
Les déclarations officielles, bien
qu’apparemment cohérentes, confondent en réalité trois approches très différentes.
Cette confusion explique en partie les maladresses qui caractérisent les
indices composites. Les élus invoquent une compétitivité globale, sans contour
précis. Il convient pourtant d’identifier les trois principales variantes de ce
discours. Le premier aspect, et sans doute le plus connu, reste la
compétitivité commerciale, que l’on nommera « néo-mercantiliste ». Selon cette conception, un territoire
compétitif est une base de production tournée vers l’exportation. Son
efficacité est alors jaugée par sa balance commerciale. Dans ce cas, la
compétitivité se mesure aussi par les parts de marché du pays dans le commerce
mondial. Par exemple le rapport Attali indiquait en 2008 : « la
compétitivité [de la France] baisse : depuis 1994, la part des exportations
françaises dans les exportations mondiales décroît régulièrement ». La
compétitivité néo-mercantiliste justifie les politiques commerciales les plus
offensives puisque les exportations sont conçues comme un moyen de s’enrichir
(aux dépens des pays en déficit).
Cependant, chacun s’accorde pour ne pas
limiter la compétitivité territoriale à la seule performance exportatrice.
L’« attractivité »
apparaît comme un facteur déterminant : les territoires sont en
compétition pour des facteurs de production de plus en plus mobiles.
L’attractivité est donc l’une des composantes de la compétitivité dans la
mesure où elle génère une compétition aigüe. La main-d’œuvre qualifiée et les
capitaux (notamment les investissements directs étrangers, IDE) sont l’enjeu de
cette rivalité. Ici, un territoire compétitif est susceptible d’attirer à lui
plus de facteurs bénéfiques que ses rivaux. Cette attractivité du territoire
suit donc une logique bien différente du néo-mercantilisme (il ne s’agit plus
d’exporter mais au contraire d’attirer). La métrique de cette performance
serait alors le stock des IDE ou le solde migratoire des personnels qualifiés (brain drain). Les mesures à prendre pour
améliorer l’attractivité du territoire ne correspondent pas forcément à une
politique commerciale offensive.
En plus des considérations sur le
commerce et l’attractivité, les gouvernements ont développé une définition
hybride que l’on qualifiera de « compétitivité
institutionnelle ». Promue par les grandes institutions
internationales, cette compétitivité est l’alliance, sur un territoire, de deux
conditions : des frontières ouvertes (refus du protectionnisme) et une
croissance économique régulière et soutenue. Dans cette conception
institutionnelle, le territoire est un
espace de prospérité en situation de libre-échange. Dès les années 1980, la
commission américaine sur la compétitivité indiquait : « la
compétitivité d’une nation représente sa capacité, sous des conditions de
marché libre et loyal, à produire des biens et des services qui répondent à
l’épreuve des marchés internationaux, tout en augmentant les revenus réels de
ses citoyens ». Afin de mesurer la compétitivité d’un tel territoire, il
faudrait donc évaluer son ouverture commerciale et l’évolution du niveau de vie
moyen de ses habitants. Derrière un discours public apparemment unique, il y
existe donc trois grandes conceptions de la compétitivité territoriale ;
chacune appelle des outils d’observation et des politiques publiques
spécifiques.
VI)
Deux types de pays ?
Si elle mélange les conceptions
néo-mercantiliste, l’attractivité et l’idéal institutionnel, la compétitivité
territoriale est systématiquement découpée, mais selon une autre logique. De
manière systématique, les experts distinguent la « compétitivité-prix » et la « compétitivité hors-prix » (aussi appelée « compétitivité
structurelle »). Cette distinction est issue du vocabulaire managérial. La
compétitivité-prix désigne un avantage concurrentiel obtenu par des coûts de
production faibles. Elle peut s’améliorer par une dévaluation monétaire. Dans
ce cas, un pays place ses produits (logique néo-mercantiliste) grâce à un prix
compétitif. Il sera attractif pour les firmes à la recherche d’économies.
Cependant, une telle stratégie est peu compatible avec les objectifs de la
compétitivité institutionnelle, puisque la rémunération des facteurs doit être
modérée. C’est pour cela que nos élus plaident tous pour une politique de
compétitivité hors-prix, fondée sur l’innovation et la qualité des produits. D’après
les experts, une telle compétitivité permet de bien rémunérer les facteurs
grâce à des marges plus importantes.
Le
discours sur la compétitivité est donc porteur d’une vision duale de l’espace mondial. Les pays « émergents »
ou « en voie de développement » seraient plutôt orientés vers la
production low-cost. Leur
compétitivité réside dans les prix. On parle parfois de
« pays-ateliers ». Les économies avancées (assimilées le plus souvent
à la Triade) doivent renoncer aux secteurs trop sensibles au prix. Les
délocalisations subies dans l’industrie sont alors une opportunité pour
améliorer le tissu économique national au profit de la R&D, des services et
des fonctions stratégiques dans la division internationale du travail. Par
exemple, l’un des rapports qui a servi de base aux pôles de compétitivité français
indique : « Pour
retrouver un avantage comparatif, notre économie a le choix : s'aligner sur le
modèle social asiatique ou faire la course en tête dans l'innovation »
(Blanc, 2004). Cette vision duale de la mondialisation économique doit
cependant être nuancée car dans les faits, aucun pays n’est strictement
spécialisé dans l’une ou l’autre des compétitivités. Les
« pays-ateliers » sont certes très compétitifs dans les industries à
forte intensité de main-d’œuvre mais certains, comme l’Inde et la Chine,
diversifient leur stratégie au profit de productions à fort contenu innovant.
Symétriquement, aucun pays, même le plus avancé sur le plan technologique, ne
peut s’émanciper des contraintes de prix. Ainsi, l’Allemagne a complété son
excellence industrielle par une politique de modération salariale et une TVA
sociale. Il serait illusoire de diviser les pays en deux classes séparées,
chacun doit se positionner sur ces deux types de compétitivité [… suite et fin
de cet article à suivre sur le blog
gaulliste libre]
Ardinat Gilles (2010), Cartographier l’Indice mondial de la compétitivité du forum
de Davos, Mappemonde, vol.98, n°2/2010 : http://mappemonde.mgm.fr/num26/mois/moi10201.html
Blanc Christian (2004), Pour un
écosystème de la croissance, rapport au Premier Ministre, Paris : La
Documentation française, 81 p.
FEM (2012), The Global Competitiveness Report 2012-2013, Genève : Forum
économique mondial, xiv-529 p.
Krugman Paul (1994), Competitiveness
: A Dangerous Obsession, Foreign Affairs, mars-avril 1994, volume n°73(2),
pp. 28-44.
On observe que l'attractivité nuit à la compétitivité. Pour attirer la main-d’œuvre qualifiée il faut bien la payer comme en Allemagne. Mais si on veut être compétitif il faut la payer au lance-pierres comme en France. Il faut donc choisir. Qui a fait le meilleur choix ?
RépondreSupprimerOn observe aussi que les pays qui accumulent d'énormes excédents commerciaux en contrôlant les échanges de devises comme la Chine ne devraient pas être considérés comme compétitifs au seul motif qu'ils refusent de sacrifier leur croissance économique au dogme de la concurrence libre et non faussée.
Il s'agit donc d'une conception de la compétitivité très abstraite et théorique qui, refusant de prendre en compte les résultats de la compétition telle qu'elle se déroule dans le monde réel, devrait mener à la conclusion que la France est plus compétitive que la Chine ou même l'Allemagne.
Si vous vous faites renverser par une voiture sur un passage pour piétons on pourra graver sur votre pierre tombale que vous étiez dans votre droit. Ce n'est pas une raison suffisante pour apprendre aux enfants qu'ils doivent traverser à chaque fois que c'est leur droit et non pas uniquement quand ils peuvent le faire vraiment sans danger.
Ivan
Ivan.