jeudi 13 mars 2014

Chevènement décrit la crise de la mondialisation





Une crise économique

Pour lui, la crise actuelle est économique et issue d’un défaut de régulation de la mondialisation. Il fait de nombreux parallèles historiques, rappellant qu’il a fallu 70 ans pour retrouver le taux d’intégration de 1914. Il note qu’à cette époque, la France exportait 17% de son PIB, chiffre qui tombe à 8% dans les années 1960, 15% dans les années 1980 et 25% aujourd’hui.  Pour lui, la position des Etats-Unis ressemble à celle de la Grande-Bretagne il y a un siècle quand la Chine se rapproche de celle de l’Allemagne. Il rappelle que la libéralisation des mouvements de capitaux décidée en 1990 existait déjà en 1914… Alors, les banques dirigeaient l’épargne du pays (la 2ème au monde)  à l’étranger : 30% des profits du Crédit Lyonnais dans la deuxième moitié du 19ème siècle étaient alors réalisés en Russie.

Les proximités avec la situation d’il y a un sicèle sont légions. Il cite Brack-Desrousseaux, dans l’Humanité en 1907 : « La bourgeoisie oppose aux prolétaires de sa nation les prolétaires d’un autre pays moins avancé dans l’évolution ». Il rappelle que Jean Jaurès disait : « il importe que cette expansion de l’épagne française (à l’étranger) se produise avec prudence et sagesse, en laissant aux œuvres d’industrie nationale une juste part et en introduisant sur les marchés que des volumes contrôlés », un avertissement qui n’aurait pas été inutile dans les années 2000 pour la zone euro. Il cite aussi Edouard Théry, un économiste qui, en 1901, s’alarmait de la montée du Japon et de la montée du investissements en Chine : « On oublie trop dans le monde du libre-échange que (le progrès des communications) (…) a presque supprimé la distance, décuplé la vitesse de circulation des marchandises, assuré à leur livraison une régularité presque mathématique, réduit les frais de transport dans des proportions telles que le prix de revient – surtout quand il s’agit de produits manufacturés – n’en peut plus être sensiblement affecté ».

En somme, on redécouvre que l’intégration favorise la propagation des crises… Or, deux tiers du commerce mondial sont constitués par des échanges à l’intérieur des firmes. Les transactions du marché des changes, qui pesaient 20% PIB mondial en 1970, sont 15 fois plus importantes aujourd’hui, une multiplication par 100 de leur poids en 40 ans. Et parce que les marchés sont procycliques, leur poids et les innovations (titrisation) les rendent encore plus dangereux qu’en 1914. Il souligne également que nous assistons à la même montée des inégalités qu’il y a un siècle. Il note que l’étalon or a été remplacé par le dollar et souligne la pertinence du changement de politique du Japon qui a mis fin au yen cher. Enfin, il insiste sur le déclin de l’Europe, démographique (de 20 à 7% de la population mondiale) et économique.

Une crise politique

Mais la crise n’est pas seulement économique. Elle est aussi largement politique. Jean-Pierre Chevènement pose le problème de « la démocratie au sein du capitalisme mondialisé ». Il note que « la Chine excelle dans la stratégie à la fois libérale et dirigiste : un pied dans l’OMC, un autre en dehors. Elle est passée maîtresse dans l’art de diviser ses adversaires », mais elle devient plus dépendante et donc vulnérable. Il revient sur le bras de fer sino-étasunien en citant Hillary Clinton, pour qui « il est difficile de ne pas être poli avec son créancier ». Mais il note que les Etats-Unis ont réussi à briser l’accord Tokyo – Pékin pour échanger dans leurs monnaies et pas en dollar. Ils négocient également des traités libre-échange, comme des instruments de leur impéralisme. Pour l’instant, à l’inverse de 1914, c’est l’hegemon en place qui est belliqueux, la Chine méditant sans doute les leçons de l’Allemagne.

L’auteur refuse d’opposer l’occident au reste du monde, ce qui débouche « sur la démesure et l’arrogance ». Pour lui, l’occidentalisme n’est pas un humanisme. Citant le Général de Gaulle, il rappelle que souveraineté nationale et démocratie sont comme « l’avers et l’envers d’une même médaille ». Pour lui, l’Europe peut et doit sortir le monde du G2. Malheureusement, nos classes dirigeantes « n’envisagent pas de faire l’Europe autrement que par le marché dans un monde globalisée sous égide américaine. La politique et donc les nations européennes doivent être disqualifiées ».

Pour lui, l’UE est « post-démocratique », avec « un système de décision technocratique entièrement déconnecté du suffrage universel ». Il faudrait que le déclin de l’Europe soit étudié au regard de la progression du projet européen… L’Europe a la tentation d’un « despotisme éclairé ». Il conclut : « A-t-on jamais vu qu’un collège de quelques personnes puisse définir et garantir un intérêt général ? Celui-ci, en bonne tradition républicaine, résulte du débat entre les citoyens, sanctionné par un vote au suffrage universel. Mais par sa formation, Jean Monnet était d’abord un homme d’affaire proche des milieux politiques et financiers anglo-saxons, doublé d’un homme d’influence et donc assez éloigné des idées républicaines à la française. La suprématie du marché et la négation des nations et de leur irréductible spécificité étaient au principe de l’Europe telle qu’il la concevait ».

Pour Jean-Pierre Chevènement, la crise que nous traversons dépasse de loin le simple cadre économique. Elle est une crise géopolitique où l’Europe se laisse dicter sa conduite par les Etats-Unis, qui ne cherchent qu’à défendre leurs intérêts et conserver leur statut dominant face à une Chine qui émerge.

Source : Jean-Pierre Chevènement, « 1914-2014, l’Europe sortie de l’histoire », Fayard

9 commentaires:

  1. Salut ; hors sujet mais bon à savoir : James Alexander Mirrlees, prix Nobel d’économie, recommande à l’Italie de sortir de l’euro. Actualité du 12 mars 2014.

    http://www.lapadania.net/articoli/mirrlees_fincheacute_litalia_resta_nella_moneta_unicanon_puograve_ricorrere_alla_svalutazione13367.php

    « «Non dovreste stare nell’euro, ma uscirne adesso» "Vous ne devriez pas rester dans la zone euro, mais sortir maintenant."

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  2. Heureux de pouvoir vous relire, monsieur Pinsolle.
    La première mondialisation s'est terminée avec la première guerre mondiale. Quel événement majeur mettra fin à notre mondialisation actuelle ? Espérons que ce sera moins dramatique.

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  3. Ravi de te revoir ici, Laurent

    Je voudrais signaler un article important de Michel Santi sur Marianne
    http://www.marianne.net/Plaidoyer-pour-la-dette_a237382.html
    "Plaidoyer pour la dette"

    // L’État doit donc mettre l’ensemble de ses ressources et de ses possibilités – y compris monétaires, bien sûr – au service de la nation. À cet effet, les déficits publics ne doivent rencontrer aucun obstacle ni aucune limite, si ce n’est l’accomplissement de la raison même d’exister d’un État, à savoir le rétablissement du plein emploi. Quand les politiques comprendront-ils enfin que les dettes font partie intégrante du fonctionnement et du train de vie d’un État ? //

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  4. Très content de pouvoir relire mon blog préféré !
    Le problème de Jean-Pierre Chevènement c'est que politiquement il fait absolument le contraire de ce qu'il dit en soutenant le PS.
    J'ai arrêté de lire ses livres à cause de ça, car je pense que l'analyse de la crise on la connait bien désormais et maintenant il faut passer au stade supérieur, celui d'en sortir et monsieur Chevènement joue indubitablement contre notre camp.

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  5. Salut Laurent content de te relire.

    Le problème avec Chevènement ce n'est pas ses idées souvent pertinentes, mais sa tiédeur politique. Il n'est plus temps de jouer les centristes et les sages. Il faut renverser la table. J'attends toujours qu'il appelle ouvertement à sortir de l'UE par exemple. Parce que c'est bien beau de critiquer la construction européenne, mais si c'est pour toujours tenir de discours sur une autre Europe qui n'adviendra jamais dans le système actuel c'est peine perdue.

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    1. A mon avis Chevènement a fait l'analyse qu'il est impossible de prendre le pouvoir à l'UMP et au PS par les urnes (du moins à court terme).

      Et sa constance à essayer d'avoir une critique indulgente et constructive (sans attaquer trop frontalement les gouvernants) lui permet de ne se fâcher avec personne.

      Et ainsi il laisse les portes ouvertes si un jour le choix de changer de politique (sur l'euro, l'UE, ...) deviendrait inéluctable même pour les traîtres de l'UMPS.

      Et si c'est le cas, son autorité, son CV et sa posture de vieux sage pourraient lui permettre de rassembler assez largement (une partie du front de gauche, DLR, des bouts de l'UMP et du PS par exemple).

      Donc c'est un pari mais ça a pas forcément moins de chances de réussir que de prendre le pouvoir à l'UMPS à une présidentielle, ce qui en l'état du système médiatico-politique semble une tâche quasi-impossible.

      Par exemple une situation de blocage violente en France qui pousserait Hollande à changer de politique et à nommer Chenènement à Matignon. C'est un gros pari, en effet. Mais au point où on en est...

      J'avais vu un billet qui disait pareil : http://www.communisme-liberal.fr/comment-sortir-de-leuro-sans-le-fn/

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  6. Je salue votre retour.

    La lecture de ce billet Chevénementiste me fait souvenir de ces écrit en 1967 c’est l’éloge des concomitances et des boucs émissaires.
    Toujours est il que quand on prétend n’être la cause de rien et que l’on désigne des boucs émissaires comme responsables : les situations ne s’améliorent pas. Pourquoi tant de verbiage pour expliquer des choses simples ?
    Ce billet, en résumé, nous parle de la crise économique au singulier. Il faudrait un peu plus de pragmatisme et savoir faire des différenciations entre les crises que nous traversons. Quelles sont telle ?
    Celle de 2008 qui est conjoncturelle, un manque de confiance qui provoque une remise à plus tard des consommations ce manque de confiance est celui de notre nation qui manque de confiance en soi. Ce de ses capacités à produire. Cette crise n’a plus d’effet présent : elle est derrière nous. Il faut retrouver cette confiance pour retrouver de la croissance.
    Celle du déficit comment peut on s’étonner de cette crise : puisque structurellement depuis quarante ans nos élus votent des budgets prévisionnels en déficit ne faites plus les étonnés de l’existence d’un déficit et ne soyons plus stupide de dire que notre déficit- programmé par nos élus- est causé pas de faits extérieurs à la nation.
    Celle de la dette là encore, comment peut on s’étonner de cette crise : puisque structurellement depuis quarante ans nos élus votent des budgets prévisionnels en déficit ils empruntent pour le combler mais ils ne prévoient, pas depuis quarante ans, un seul centime pour rembourser les emprunts. Ne soyons plus stupide de dire que notre absence de remboursement de la dette - programmé par nos élus- est causée pas de faits extérieurs à la nation.
    Celle de notre compétitivité. Là encore, comment jouer les étonnés devant cette crise puisque structurellement depuis quarante ans nos élus gonflent la valeurs de nos biens et services par des taxes, impôts, charges, prélèvements dans le seul but de procurer des revenus pour les inactifs à temps partiel, ou total, ou encore pour payer des dépenses mutuelles ou pour des dépenses collectives y compris des impôts sur les sociétés pour ces dépenses collectives et d’obliger les étranger à payer leur participation au modèle social national à la place des nationaux. Ne trouvez vous pas cela stupide ?
    Alors ne vous étonnez plus qu’en augmentant ces taxes, charges, prélèvements, impôts :
    - Un pauvre devienne plus pauvre.
    - Nous ne soyons plus compétitifs à l’exportation (moins de productions)
    - Les produits importés soient préférés à nos productions (moins de productions nationales).
    - Dés que nous devons moins produire nous augmentons notre chômage.
    - Ne vous étonner pas que les entreprises plombées par des impôts se délocalisent.
    Cessons donc de chercher hors de la nation les fautes des autres puisque les fautes structurelles de nos élus suffisent à elles seules d’être les causes de nos crises.
    Soyons clair voyant et cessons de recherchez des boucs émissaires.
    Organisons notre production pour rétablir la situation mais seulement après avoir prévus de supprimer les fautes structurelles de nos élus.
    Quelles mesures capables de supprimer ces fautes structurelles d’élus, proposer-vous?

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    1. @ Anonyme 16:47

      Je trouve injuste de reprocher aux citoyens ordinaires de chercher à l'étranger la cause de leurs souffrances, car ce sont les responsables politiques français qui utilisent systématiquement la contrainte extérieure, spécialement européenne, comme alibi pour justifier les terribles sacrifices qu'ils imposent impitoyablement au peuple depuis des décennies.

      Si vous battez tous les jours un enfant en lui racontant pendant des années que c'est la gendarmerie nationale qui vous a ordonné de le faire il finira par haïr les gendarmes, que ces derniers y soient ou non pour quelque chose.

      Mais il y a plus grave. Je n'ai jamais entendu une voix venant de Bruxelles prendre la défense du peuple français et intimer aux politiciens de notre pays l'ordre d'assumer la responsabilité de leurs crimes et de cesser d'en accuser l'UE, alors même qu'il y a eu d'excellentes occasions de le faire.

      Souvenons nous de l'Acte Unique Européen. "L'Acte Unique Européen !" scandait J. Chirac à chaque coup de matraque qu'il assénait à notre pauvre peuple. Comme l'Acte Unique Européen allait rendre la compétition internationale encore plus âpre et féroce, Chirac prétendait n'avoir pas d'autre choix que de sacrifier les plus faibles.

      Au même moment, en Hollande le gouvernement de l'époque annonçait qu'avec l'Acte Unique Européen la compétition internationale allait devenir encore plus âpre et féroce, et donc que c'était le moment de renforcer et élargir les droits sociaux, quitte à réduire les effectifs des forces de l'ordre pour trouver l'argent.

      En gros le capitaine du navire Pays-Bas, voyant fondre sur lui la plus grosse tempête de sa carrière, a donné l'ordre de vérifier toutes les chaloupes de sauvetage et d'en construire de nouvelles tandis que le capitaine du navire France a ordonné de crever toutes les bouées et de brûler la moitié des chaloupes.

      Mais le plus grave c'est qu'aucune voix ne s'est élevée à Bruxelles pour dénoncer la folie (ou le crime) du mauvais capitaine, défendre l'UE contre les accusations infondées de Chirac, et tenter de sauver le peuple français.

      C'est pire que si c'était vraiment l'Acte Unique Européen qui avait obligé Chirac à faire ce qu'il faisait. Quand vous acceptez en toute connaissance de cause de servir d'alibi à un crime même quand vous ne l'avez pas commis et qu'il ne vous coûterait rien de démentir, vous devenez complice de ce crime.

      Ivan

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  7. @ Anonyme

    Merci pour l’information. Il avait déjà pris une telle position au sujet de l’Espagne. Mais cela est nouveau concernant l’Italie à ma connaissance.

    @ Moi

    Merci. Je dirais : une nouvelle crise financière qui viendrait dans les prochaines années…

    @ A-J H

    Merci pour l’information.

    @ JMS

    Merci. C’est un peu plus compliqué. JPC a rompu avec le PS lors des trois précédentes législatures ou le PS avait la majorité. Il s’est présenté à la présidentielle en 2002 (et en 1994 aux européennes). Après, je pense également que la stratégie d’influencer la ligne du PS ne marchera pas, mais cela ne change rien à la pertinence de ses analyses. Il n’y a qu’un désaccord sur le moyen de permettre le changement

    @ Yann

    Je ne le trouve pas si tiède politiquement. D’ailleurs, il vient, avec ce livre, de passer la transformation de la monnaie unique en monnaie commune de plan B à plan A, ce qui est le contraire de la tiédeur dans notre pays… Et la tonalité de ce livre est sans doute plus dure que les précédents sur l’Europe.

    @ Anonyme

    Vous aurez plus de précisions demain avec le 3ème et dernier papier sur ce livre. La crise de 2008, ce n’est pas qu’un manque de confiance, c’est aussi largement et classiquement l’éclatement d’une bulle spéculative dont les conséquences ont été disséminées dans tout le système financier du fait de l’innovation financière.

    Sur les déficits, pas d’accord. Il faut relativiser leur niveau par rapport à l’histoire. Le niveau de la dette publique en 2007 n’était nullement colossal dans la plupart des pays…

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