vendredi 14 mars 2014

Chevènement dessine un autre avenir pour l’Europe


Après avoir analysé les raisons de la première guerre mondiale, puis étudié les caractéristiques de la crise que nous traversons, tant économique que géopolitique, Jean-Pierre Chevènement revient sur les ressorts de la crise européenne, et les moyens pour notre continent de s’en sortir.


L’impasse actuelle

Le constat est formel : la monnaie unique est une « usine à gaz », « dans le grand vent de la mondialisation, l’Europe apparaît aujourd’hui comme un navire démâté, privé de gouvernail ». Il dénonce une construction européenne subordonnée aux USA, au contraire de la volonté du Général de Gaulle. Pour lui, « que signifie un marché dont les règles sont fixées par les autres : les Etats-Unis émettant la monnaie mondiale, ou bien la Chine contrôlant la sienne, ses importations et les investissements extérieurs qu’elle reçoit » ? Depuis 1986, « quelle place reste-t-il au « politique » dans une Europe ainsi corsetée de règles ? (…) Elle offre son marché à la pénétration des produits à bas coûts, fabriqués dans des pays dépourvus de protection sociale et environnementale et dotés de surcroît de monnaies sous-évaluées ».

Pour lui, nous faisons la politique de Laval. Il dénonce la négation de l’hétérogénéité des nations et les plans européens : « brandie comme un épouvantail, l’idée qu’un Etat puisse faire faillite, contrairement à la croyance jusque là répandue, a ainsi servi d’alibi au renflouement des banques aux dépens des contribuables ». Et il note qu’« à travers le FMI, les Etats-Unis se sont acquis un droit de regard sur la gestion de la crise de l’euro » ! Il n’accable pas l’Allemagne, qui est un contributeur net et qui veut de la responsabilité. Comme Tood, il pense que l’Europe se construit sur un modèle postdémocratique. Et soit il y aura un sursaut démocratique, soit « les peuples s’accomoderont de leur décadence ».

Le problème franco-allemand

Il note que l’Allemagne conserve son autonomie grâce à la cour de Karlsruhe et la détermination d’Angela Merkel, qui a imposé Lisbonne et le TSCG, et que notre pays décroche par rapport à son partenaire, d’un point de vue commercial notamment. Ce germanophile constate avec tristesse le déclin de nos liens : en 1913, 53% des lycéens français apprenaient l’allemand, 31% en 1939, 15% aujourd’hui. Outre-Rhin, 41% des Allemands apprenaient le français en 1963. Ils ne sont plus que 24% aujourd’hui. La France a l’image d’un pays en déclin même s’il y fait bon vivre (11 millions d’Allemands viennent en vacances chez nous, contre 3 millions inversement). Il vante longuement les gestes visionnaires du Général de Gaulle avec le traité de l’Elysée et la réconciliation de nos deux pays. Du coup, un complexe d’infériorité grandit dans notre pays, les eurobligations étant une nouvelle variante de « l’Allemagne paiera ».

Il souligne que « le poids du facteur monétaire et son impact sur notre compétitivité extérieure ont toujours été sous-estimés » et rappelle que notre démographie exige une croissance plus forte. Selon Chevènement, « l’Allemagne se vit comme une grande Suisse (…) parce qu’elle est, dans les faits une petite Chine », qui ne dépend plus de l’UE pour son succès (74% de ses excédents étant hors Europe). Il dénonce la monnaie unique qui « renforce les forts et affaiblit les faibles », comme le dit Jean-Jacques Rosa et rappelle que l’on voit bien que la dévaluation interne est bien plus douloureuse que l’externe. Il cite Helmut Schmidt fin 2011 à Berlin qui soutenait que : « nos excédents sont les déficits des autres (…) C’est sûr, l’Europe restera aussi au 21ème siècle un assemblage d’Etats-nations, chacun avec sa langue, son histoire propre. C’est pourquoi l’Europe ne deviendra certainement pas une fédération ».

Quelle Europe pour l’avenir ?

L’auteur se demande : « et si l’Europe, aujourd’hui, avait besoin de retrouver confiance en ses nations pour sortir de son déclin et renouer avec la démocratie et donc avec le politique ? ». Il propose de passer à une monnaie commune, rappelant que la monnaie est « une convention humaine » et que « l’économie allemande fonctionne mieux avec une monnaie forte, mais celle-ci enfonce les autres pays dans le sous-emploi ». Par rapport à avant, l’auteur inverse son plan A et son plan B, notant que même avec une BCE devenue une « banque centrale comme les autres, le scénario risque de demeurer bancal ». D’abord, il le juge improbable étant donné le débat allemand, hostile à la création monétaire. Il cite un ministre brésilien Luis-Bresser Carlos Pereira et Pierre-Henri d’Argenson : « Quand on s’est trompé de chemin, il est sensé de revenir à la bifurcation pour prendre la bonne route, plutôt que de s’entêter à suivre la mauvaise ». Il propose de réviser les parités en fonction de l’évolution des prix depuis 1999. Elle pourrait être ouvert à toute l’UE, voir hors UE. Il appelle de ses vœux un plan européen d’investissements de 1000 Mds d’euros, 10% du PIB, mais note que « la France doit d’abord compter sur elle-même ».

En effet, « la monnaie unique est devenue, en France et en Europe, un objet sacral sur lequel la quasi totalité de nos élites médiatiques et politiques ont investi leur crédibilité ». Il poursuit : «  peut-on exclure pour toujours que des peuples soumis à des politiques injustes ou absurdes développent des réactions irrationnelles ? » car l’euro peut réveiller les nationalismes. Il rappelle que « la monnaie doit servir la politique et non l’inverse ». Enfin, il soutient que « le discours sur la décroissance peut être pervers. Nous avons à inventer un nouveau modèle de développement. Nous devons concevoir avec les pays émergents un développement solidaire et soutenable ».

Pour lui, l’Europe doit « bâtir un modèle de société plus équilibré et plus humain que celui d’un capitalisme qu’attire toujours l’odeur du sang », il faut y intégrer la Russie et construire une europe européenne et non étasunienne, comme le disait le Général de Gaulle. La France peut s’appuyer sur ses nombreux atouts pour pousser une telle feuille de route.

Source : Jean-Pierre Chevènement, « 1914-2014, l’Europe sortie de l’histoire », Fayard

13 commentaires:

  1. http://www.amazon.fr/Allemagne-rupture-Remarques-n%C3%A9onationalisme-allemand/dp/234301535X

    http://www.dailymotion.com/video/x19hq69_la-fin-du-couple-franco-allemand-par-alain-favaletto_people

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  2. Très heureux de vous voir de retour, Laurent !

    Concernant Chevènement, l'homme est lucide et semble désormais écrire pour la postérité. Il n'a plus d'avenir politique car les patriotes sont plus que jamais marginalisés à "gauche". C'est la fin d'un cycle, celui décrit par Michéa dans lequel "la gauche" réalisait la synthèse entre le libéralisme moral et le mouvement ouvrier. Depuis 40 ans, le compromis historique entre la bourgeoisie moderniste et le mouvement ouvrier a volé en éclat, et avec lui le compromis culturel historiquement connu sous le nom de "gauche". Chevènement et quelques autres sont des buttes témoins de ce passé glorieux mais révolu. Quand Rosa Luxembourg traitait en 1918 la social-démocratie de "cadavre puant", elle négligeait la résistance de son ancrage sociologique qui permit sa perpétuation en dépit de sa dérive intellectuelle. Aujourd'hui, la "Gauche" est morte non seulement intellectuellement mais - surtout - sociologiquement., ce qui marque un changement irréversible d'époque et de représentation du monde. La lutte des classes continue, mais le salariat est privé de représentation politique.

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  3. Jean Pierre Chevènement omet bien sûr sa propre responsabilité dans la situation actuelle: une bonne analyse dont il n'a jamais tiré les conséquences politiques, il se contente d'être spectateur soi-disant impuissant après s'être couché devant Hollande le 21 avril 2002.

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  4. Le problème franco-allemand, c'est surtout que la France est obsédée par l'Allemagne et le mythe de l'amitié franco-allemande (mythe qui n'est guère partagé outre-Rhin, il suffit de voir le manque total d'enthousiasme qu'a suscité le cinquantième anniversaire du traité de l'Élysée, totalement vidé de sa substance à l'époque par le parlement allemand, pour s'en convaincre). Comme façon de s'enfermer en Europe, à l'heure où l'échelle continentale est largement dépassée du point de vue des relations internationales, la France fait très fort avec cette sacro-sainte "amitié franco-allemande".

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  5. Voici un débat de la Fondation Res Publica sur le livre, avec des interventions très intéressantes.

    http://www.fondation-res-publica.org/L-Europe-sortie-de-l-histoire-Reponses_r108.html

    Les échanges avec le diplomate allemands, sous forme de petites phrases (sur le journal le Monde, sur la guerre en Yougoslavie auquel il réplique avec la Libye et la Palestine à l'Unesco, sur le fait que l'Allemagne, elle, n'est pas à la traine...) sont assez révélateurs.
    Et il n'a pas tort, chacun le sait bien.

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    1. Intervention de M. Max Maldacker, Ministre conseiller à l'ambassade d'Allemagne à Paris, à la table-ronde "L'Europe sortie de l'histoire ? Réponses" du lundi 20 janvier 2014 :

      "Il y a quelques jours, en troisième page du Frankfurter Allgemeine Zeitung, lu chaque matin par toute la classe politique allemande (« bible » de la classe politique comme jadis Le Monde), Madame Wiegel évoquait la réaction de Marine Le Pen aux propos de François Hollande lors de ses vœux à la presse nationale : « Marine Le Pen, présidente du Front National, parti d'extrême droite, a vu une fois de plus dans les annonces de François Hollande un asservissement de la France à la puissance allemande. » "

      "Alain Dejammet
      Un simple mot pour réconcilier ce que disaient le professeur Serge Sur et l’ambassadeur Gabriel Robin à propos du Kosovo en 1999.
      (...)
      Au départ de la crise yougoslave, en effet, dans les années 90, les Américains étaient hostiles à l’éclatement de la Yougoslavie. En témoignent en novembre 1991, au sommet de l’OTAN à Rome, le plaidoyer très ferme du président Bush père en faveur de l’intégrité territoriale et de la souveraineté nationale de la RFY et, plus tard, au printemps 1992, l’hostilité du secrétaire d’État américain James Baker à la reconnaissance de la Bosnie. Mais certains Européens pensaient différemment. Ayant peut-être à l’esprit le souvenir de l’éclatement des Balkans entre catholiques et orthodoxes, se rappelant peut-être pour quelques-uns des épisodes plus récents, les deux guerres mondiales du XXe siècle, ils n’ont de cesse d’oblitérer certaines leçons de ces conflits et de mettre fin à l’existence du pays, la Yougoslavie, créé par le Traité de Versailles. Les Européens ont trouvé plus tard, auprès d’une nouvelle administration américaine, M. Holbrooke, Madame Albright, tous deux nés en Europe, Allemagne ou Tchécoslovaquie, un écho favorable, et c’est finalement l’OTAN tout entière qui a suivi le mouvement initié avec force par quelques pays européens puis repris par l’Union Européenne visant à achever le démantèlement de la RFY. Trop d’Europe tue l’Europe. "

      "Max Maldacker
      L’Europe peine à avoir une politique étrangère commune, comme on l’a vu à propos de la Libye ou de la Syrie. Un exemple : il y a environ trois ans, à l’UNESCO, qui siège à Paris, s’est posée la question d’accepter la Palestine comme membre. C’était une décision dont les conséquences étaient assez importantes. On savait en effet que l’adhésion de la Palestine à l’UNESCO entraînerait le retrait des États-Unis du conseil exécutif, retrait qui, selon la loi américaine, mettrait fin à la contribution des États-Unis au budget de l’UNESCO (qui représente 25 % de ce budget !). L’Europe n’a pas été capable de prendre une décision commune : un tiers des États membres ont voté oui, un tiers non, un tiers se sont abstenus. Et il ne s’agissait pas d’une question centrale de la politique étrangère du monde ! "

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  6. http://translate.google.com/translate?hl=fr&sl=pt&tl=en&u=http%3A%2F%2Fwww.publico.pt%2Feconomia%2Fnoticia%2Fmanifesto-preparar-a-reestruturacao-da-divida-para-crescer-sustentadamente-1627870

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  7. J-Pierre Chevènement demeure une référence très intéressante sur le plan intellectuel, mais sur le plan politique, c'est un velléitaire qui préfèrera rester jusqu'au bout dans le giron social-démocrate de crainte de déclencher une nouvelle catastrophe électorale du type "21 avril".

    Lui-même est complètement sorti de l'histoire politique de la France et son mouvement, le MRC, sert uniquement de caution "républicaine" supplétive à un Parti socialiste hégémonique qui n'a plus de socialiste que le nom.

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  8. 15 mars 1944 : le programme du CNR.

    70 ans après, souvenons-nous…

    http://www.les-crises.fr/15-mars-1944-cnr/

    Admiration sans borne pour le programme du CNR, plus que jamais d’actualité.

    Nous savons ce qui va se passer tout au long du XXIème siècle.

    Nous savons quelles sont les quatre étapes que nous allons suivre tout au long du XXIème siècle :

    1- Effondrement.

    2- Ensuite, révolte.

    3- Ensuite, libération de la France.

    4- Ensuite, épuration.

    L’Histoire est un éternel recommencement.

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    1. Notre président "socialiste" va t'il le commémorer ? Lui qui est tant attaché à la "memoire" etc...

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    2. Comment un homme, qui aime tant les pactes, un réformateur si soucieux de faire avancer la France malgré des Français "peureux" pourrait-il se soustraire à ce devoir de mémoire ? D'autant que cet anniversaire sera l'occasion de tourner la page en mettant un point final à cette aventure absurde. Rien ne vaut la liberté, la contractualisation, la confiance gages de réussite, comme le démontrent les succès engrangés par les socialos.

      Demos

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  9. Moi non plus je n'idéalise pas Chevènement. Il prend aujourd'hui l'air de parler pour l'Histoire, mais je me demande ce que l'Histoire retiendra de lui. Il ne s'est jamais trop éloigné du PS en bon accroc au strapontin doré.

    Au moins Mélenchon a-t-il fait preuve de courage (et surtout de cohérence) en rompant les rangs et en ambitionnant clairement de faire concurrence au PS avec le FDG.

    Chevènement lui a malgré tout préféré Hollande pour la sacrosainte sauvegarde du nucléaire. Ridicule.

    Concernant l'allusion au discours sur la décroissance, le vieil homme visiblement le craint sans s'y être vraiment intéressé. La formule du discours qui "peut être pervers" peut s'appliquer à n'importe lequel.
    La décroissance est avant tout un contre-pied, une mise en débat du graal de la croissance. C'est aussi une image tout à fait appropriée à notre époque où consumérisme et gaspillage généralisé détruisent équilibres et ressources grâce auxquels nous vivons bien.

    Il est décidément mieux à la retraite. Son temps c'était le 20ème siècle et les 30 glorieuses.

    P.S. : content aussi de vous retrouver Laurent!

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  10. @ J Halpern

    Merci. Très juste. Mais cela peut aussi permettre des révolutions politiques démocratiques. Les peuples semblent de plus en plus ouverts à cela.

    @ Anonyme

    Je ne vois pas en quoi il en serait responsable, lui qui nous a averti parmi les premiers

    @ Marc-Antoine

    Pas du tout d’accord. Comme tous les grands hommes, il a fécondé l’avenir intellectuellement, nous prévenant sans cesse de nos erreurs. Et s’il a fait le choix de la majorité pour essayer de peser, la mandature n’est pas finie et il peut revenir sur ce choix…

    @ BA

    Merci pour l’information

    @ Jauresist

    Merci. JPC a rompu plusieurs fois dans le passé, abandonnant des ministères, signe qu’il privilégie son idéal à son confort personnel. Je pense qu’il a fécondé intellectuellement le débat de ce début de 21ème siècle.

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