Billet
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Depuis maintenant quelques
années, un grand paradoxe existe autour de la question de l'Euro. En effet,
subissant crise sur crise dans plusieurs Etats Européens depuis 2011 au moins,
la monnaie unique européenne montre de plus en plus ses limites et ses défauts
structurels et pas seulement conjoncturels. Mais même si de plus en plus de
gens se rendent compte des problèmes de l'Euro, une frayeur subsiste à son
sujet, à savoir sa fin possible. En effet, évoquer une fin de l'Euro serait
encore comme vouloir une fin du monde, prévoir un cataclysme économique... Je
l'entendais encore hier en parlant avec des amis.
A l'occasion de l'appel de quatre journalistes de l'Expansion à casser la
monnaie unique, il convient donc de rappeler quelques vérités à
propos de notre monnaie européenne et de rassurer les plus frileux quant à
l'avenir sur quelques questions : pourquoi l'Euro connaît des difficultés ? A
quel prix le gardons nous encore ? Quelles issues pour en sortir et avec
quelles conséquences ?
Les problèmes structurels de la monnaie unique
Que le lecteur veuille bien se
référer aux articles suivants qui contiennent l'avis de certains économistes
(sous forme vidéo ou non) et commentent les problèmes connus par différents
pays (Grèce, Chypre...).
Il ressort surtout de ces articles quelques points clefs sur
l'Euro :
1. La zone euro
n'est pas une zone monétaire optimale (concept de Robert Mundell) : même si un mécanisme de transferts
entre les pays existe maintenant, les travailleurs ne sont pas mobiles à
l'intérieur de la zone (la "barrière" des langues et des nations
empêche une mobilité efficace) et les économies des différents pays sont trop
différentes (et ne convergent pas contrairement à l'objectif de notre
monnaie).
2. L'euro dans sa
conception même fausse les marchés et les prix en bloquant les deux prix les plus importants de l'économie : le
taux de change et le taux d'intérêt.
Tout d'abord, le taux de change entre les différents pays de
l'eurozone. En temps normal, la gestion budgétaire et la situation économique
d'un pays influencent le taux de change de la monnaie du pays. Mais là dans
l'eurozone, c'est la situation de nombreux pays qui va influencer sur le taux
de change de la monnaie (ce qu'elle vaut par rapport au dollar notamment). Or,
les gros pays influencent plus sur la monnaie européenne que les petits pays.
C'est ainsi qu'on a un euro qui est trop fort pour certaines économies qui en
souffrent (l'Europe du sud principalement) mais qui est bien adapté pour
certaines autres (l'Allemagne et les pays du nord).
Il y a pire encore : les pays
qui habituellement pouvaient utiliser le levier monétaire pour ajuster leur
économie et maintenir leur production (notamment industrielle) ne le peuvent
plus car la dévaluation est exclue. C'est d'autant plus dommage que des
réformes économiques sont nécessaires dans certains pays du sud (l'Union
Européenne le fait avec l'austérité). Le problème est que les réformes vers une
politique de l'offre (une économie plus libérale) ne peuvent se faire sans une
contraction du marché interne. La seule solution pour compenser cette
contraction est de se rattraper sur l'extérieur, ce qui est possible seulement
avec... une dévaluation. L'histoire économique récente fourmille d'exemples où
les pays ont mené des réformes économiques vers plus de liberté : la Suède par
exemple l'a fait, mais a en parallèle dévalué sa couronne de 25 pour cent (la
Suède n'est pas dans la zone euro...). Comme dans la Zone Euro, il est exclu de
dévaluer, les réformes se font mais le moyen d'ajustement se décale sur les
salaires, le pouvoir d'achat, l'emploi, ce qui fait grimper le chômage comme
jamais depuis plusieurs décennies en Europe (notamment en Espagne, en Grèce, au
Portugal, en Italie, en France). Et c'est comme ça que des partis néo-nazis
(comme Aube Dorée en Grèce) montent en flèche... Merci qui ??
Ensuite, l'euro a bloqué un
temps le taux d'intérêt. Le
taux d'intérêt fixe le coût de l'argent : si le taux est élevé, le fait
d'emprunter de l'argent et difficile et cher, et si le taux est bas, le fait
d'emprunter de l'argent est facile et peu cher. Pendant un temps l'euro a
permis d'harmoniser les taux d'intérêt pour tous les pays de la zone autour de
3 pour cent, et ce quelque soit la situation économique et budgétaire. Ainsi,
la Grèce pouvait emprunter au même taux que l'Allemagne ! Or, lorsque les taux
sont trop bas, cela peut entraîner une mauvaise allocation du capital (de
l'argent) : on emprunte pour n'importe quoi sans faire attention au risque
puisque l'argent n'est pas cher. C'est ce qui est arrivé en Espagne : la bulle
immobilière est en partie due aux taux d'intérêt trop bas. Pour les Etats, cela
s'est aussi traduit par des emprunts plus faciles mais aussi un endettement
moins contrôlé. Le problème, c'est que quand les marchés se sont rendus compte
de la réalité de la situation économique, la trappe à dette avait fait son
oeuvre : l'endettement avait explosé et dans un contexte de récession, il est
devenu impossible de rembourser ! L'explosion de la dette de certains Etats est
donc due à la trop grande confiance accordée par l'Euro.
3. La monnaie
unique n'a pas rempli ses objectifs premiers qui étaient d'assurer la croissance, le plein emploi ou encore
l'harmonisation des économies : le chômage n'a jamais été si élevé en Europe,
la croissance est faible dans l'eurozone (plus faible que la moyenne mondiale
et plus faible que les autres pays de l'UE) et les économies divergent. Avant
l'Euro, Charles Gave disait que l'euro apporterait "trop de maisons en
Espagne, trop de fonctionnaires en France et trop d'industries en
Allemagne". Maintenant que l'euro a fait son oeuvre, force est de constater
le bon sens de cette prédiction.
Le graphique parle de lui même
: la production industrielle depuis 2000 a augmenté en Allemagne mais a diminué
en Italie, en Espagne ou encore en France. Même les économies de pays importants
de l'Europe sont en train de diverger !
Sauver l'euro et détruire l'Europe : même combat !
Pour sauver à tout prix la
monnaie unique européenne de ses défauts, les institutions européennes et les
chefs d'Etat des différents pays ont mis en place de nombreux plans et
mécanismes. Cependant, en plus des inévitables problèmes de l'Euro, ces
politiques ne sont pas exemptes de tout reproche. Le Mécanisme Européen de
Stabilité n'est par exemple pas sans danger et les plans se multiplient sans
pouvoir faire repartir complètement les pays du sud.
On peut se reporter aux
articles suivants :
De tout cela on peut relever 3
points importants :
-Le Mécanisme Européen de
Stabilité, sensé garantir la stabilité de la monnaie, n'est pas
complètement sûr. En effet, même s'il permet de mutualiser les moyens des 17
pays de la zone euro pour apporter une aide plus substantielle en cas de
problème, il reste que la situation des pays qui donnent de l'argent à ce fond
n'est pas complètement saine : seuls deux pays sont notés triple A par les
agences de notation. Ainsi le MES sera t-il toujours noté triple A ? Si ce
n'est pas le cas, il sera beaucoup plus difficile d'aider les pays en
difficulté. De même, si trop de pays sont en difficulté en même temps il sera
difficile de pouvoir aider tout le monde. Il faut aussi rajouter qu'en
rachetant la dette de certains pays, le MES pourrait se remplir d'actifs
financiers "pourris" mettant en péril sa stabilité.
-L'addition pour sauver l'euro
fut en définitive très salée si l'on compte tous les plans d'aides aux
différents pays (Grèce, Chypre...), aux banques (1 000 milliards avaient été
accordés). Au niveau européen comme au niveau français, conserver l'euro coûte
très cher. Jacques Sapir fait un petit calcul de ce que coûte chaque année
l'euro à la France : il y a d'abord le coût direct (ce que l'on doit au MES) et
les coûts indirects (perte de compétitivité, chômage, baisse des rentrées
fiscales...) : cela faisait pour l'année 2012 15 à 40 milliards pour le coût
direct et 48 milliards pour les coûts indirects.
-En revanche, le coût d'une
sortie de l'euro semblerait moins importante malgré tous les problèmes que
certains agitent (et que nous verrons dans le paragraphe suivant). D'abord, le
coût d'introduction d'une nouvelle monnaie nationale (si cette solution est
choisie) coûterait entre 300 et 700 millions d'euros selon les pays et leur
taille. Ce n'est sans doute pas tout, mais il semble que le calcul d'une sortie de l'euro soit très
difficile à faire et à évaluer pour
la simple et bonne raison que cela dépendra aussi de la politique économique
menée après cette sortie. Jacques Sapir avance le chiffre de 35 à 50
milliards d'euros de pertes patrimoniales (épargne, actifs financiers soumis aux
différentes dévaluations) dues à la sortie de l'euro en totalisant tous les
pays.
Sortir de l'euro : comment ? Quelles conséquences ?
Encore une fois, certains
articles sont à lire pour répertorier les différentes façons de sortir de
l'euro (car il en existe plusieurs) et en connaître les conséquences possibles.
Tout d'abord, on peut voir
plusieurs façons de sortir de l'Euro :
-Soit constituer deux zones
euros avec un euro pour les pays du sud de l'Europe et un euro pour le nord de
l'Europe.
-Soit revenir aux monnaies
nationales seulement.
-Soit revenir aux monnaies
nationales qui resteraient rattachées à un euro comme monnaie de réserve pour
les échanges européens (une monnaie commune). Nous aurions alors l'euro-franc,
l'euro-deutschmark...
Il existe plusieurs
alternatives et de toute évidence, même si une sortie concertée de l'euro
semble compliquée, elle est préférable à une explosion de celui-ci, d'autant
qu'il existe des précédents historiques récents. Laurent Pinsolle nous rappelle en effet le cas
Tchécoslovaque de 1993, année de séparation des deux pays. Après un
mois de séparation politique, la zone monétaire (qui n'était pas optimale)
s'est également divisée en février et ce en huit jours, laissant donc place à
deux nouvelles monnaies nationales. Bien sûr, il est certain que pour l'euro, une
sortie serait plus longue et se ferait en plus d'étapes.
Même si l'euro est une grande
zone monétaire, il ne paraît donc pas impossible d'en sortir surtout quand on
prend la mesure des défauts de cette monnaie. Il faut pour terminer relativiser
quelques conséquences souvent dramatisées de la sortie de l'euro, comme le fait Jacques
Sapir.
-"Le Franc ne
vaudrait plus rien" : FAUX selon certaines estimations
(Lafay, NATIXIS). Si un démontage concerté de l'euro a lieu, il est certain que
la monnaie allemande s'apprécierait par rapport aux autres monnaies européennes
(d'environ 20 pour cent par rapport à la France par exemple). Ce serait aussi
le cas de la monnaie des Pays-Bas, de la Finlande, ou encore de l'Autriche.
Cependant, la monnaie française serait légèrement dévaluée par rapport à la
valeur de l'euro (sauf si l'euro s'est beaucoup apprécié avant sa fin). Une
dévaluation pourrait être plus importante si elle vient d'une décision
politique (dévaluation de 25 pour cent pour entamer des réformes par exemple),
mais ce n'est pas certain.
Bien sûr, l'Italie, l'Espagne,
le Portugal, la Grèce, verraient leur monnaie beaucoup plus dévaluées (entre 15
à 40 pour cent selon les estimations).
-"Nous payerons
notre essence très cher" : Ni VRAI, ni FAUX, tout dépend de
combien la monnaie française se dévalue. A plus long terme, tout dépend de la
politique qui est menée (forte émission monétaire ou non). De manière générale,
si une dévaluation a lieu, il est vrai que les importations sont plus chères,
mais les exportations sont souvent favorisées. La balance commerciale pourrait
donc retrouver une certaine santé et cela permettrait par la suite une
appréciation monétaire qui ferait revenir le prix des importations à un niveau
plus stable et raisonnable.
-"Notre dette
augmenterait" : Question légitime puisqu'une partie de la
dette des pays européen est libellée dans une autre monnaie que l'euro. En
vérité, tout dépend de la manière dont on sort de l'euro. Si l'on en sort
individuellement et que le Franc est dévalué de 20 pour cent par rapport à
l'Euro, Jacques Sapir évalue l'augmentation de la dette publique à 13,2 pour
cent. Cependant, si c'est toute la zone monétaire qui est dissolue (ce qui est
préférable), le franc se déprécierait moins en comparaison des autres pays
(comme nous l'avons vu plus haut) et la sortie provoquerait une re-dénomination
de toutes les dettes en franc. Il n'y aurait pas d'impact sur la dette publique
chez nous.
Conclusion
A l'approche des élections
européennes, il est urgent d'ouvrir à nouveau ce débat autour de l'euro. En
effet, il est le symbole d'une construction européenne fédéraliste qui accentue
la perte de pouvoir des Etats souverains par rapport aux institutions européennes.
Il est aussi le symbole d'un échec perçu par tous mais non avoué. Un échec qui
cependant étouffe de plus en plus de pays qui s'enfoncent économiquement. Un
échec qui provoque de plus en plus de tensions dans l'Union Européenne mais
aussi dans les pays avec des crises sociales et politiques répétées. Il est
urgent de faire prendre conscience que l'Union Européenne doit changer de cap :
laisser plus de liberté aux nations et renforcer la coopération sur des projets
concrets plutôt que de s'embourber dans la bureaucratie.
Ouvrons ce débat en France,
comme il l'est déjà en Italie, en Espagne, en Grèce voir même en Allemagne. Ce
n'est qu'en parlant de ce sujet qu'on sortira du manichéisme et que l'on
trouvera des solutions modérées et intermédiaires. Cessons de croire à
l'eschatologie des pro-euros sur la sortie de la monnaie unique. Préparons un
après-euro raisonnable plutôt que de subir un éclatement catastrophique de la
zone euro ! Il en va de la survie de notre continent et de ses nations !
Toutefois, il ne faut pas
croire non plus que la sortie de l'euro serait une solution suffisante pour
sortir de la crise. La politique menée après la sortie de l'euro se doit d'être
raisonnable et cohérente et le débat doit être ouvert sur d'autres sujets
(protectionnisme européen, réformes structurelles de l'économie...). Il ne
faudra pas céder à des politiques démagogiques qui ruineraient le début de
solution qu'est la sortie de l'euro.
Dans le cas d'une monnaie commune, quid du statut de la BCE quand à la possibilité de faire de l'émission monétaire contre-cyclique en cas de désinflation ? Car il y a aussi ce problème de définir le niveau d'intervention monétaire de la banque centrale. Un libéral, comme Gave, sera contre, un keynésien sera pour...
RépondreSupprimerUne banque centrale, même dans le cadre éventuel d'un Euro commun, doit avoir la marge de manœuvre pour agir sur l'emploi, donc sur l'inflation.
olaf
AMHA, dans le cadre d'une monnaie commune il n'y a plus aucun besoin de BC "monnaie commune" ... juste une chambre de compensation entre monnaie nationales et des décisions communes (prises par les ministres des finances) de vente ou d'achat de devises étrangères: surtout ne pas laisser l'indépendance aux BCN ni à cet organisme de compensation
SupprimerJe précise : l'euro commun ne serait pas une monnaie au sens propre, juste une unité de compte. Et à ce titre il n'y aurait aucune émission de cette monnaie (pour agir sur l'emploi ou l'inflation ou autre chose ... chaque pays reste libre d'agir comme il l'entends sur ses émissions monétaires)
SupprimerA-J Holbecq
RépondreSupprimerSi un pays émet à tout va sans concertation avec les autres, la valeur moyenne de ce panier de monnaie peut baisser trop aux yeux d'autres pays participants.
olaf
Ça dépends de ce qu'on appelle "à tout va". Mais oui, dans un cadre d'excès (que j'estime au dessus de 100 milliards/an d'équivalent euro pour la France) il y aurait une possibilité de voir la parité internationale de cette monnaie de baisser . Mais ce n'est pas nécessairement très gênant.
SupprimerBien de relancer la question de l'euro, que les élections nous feraient oublier, alors que la monnaie unique est à l'origine du malaise politique. Voter pour la sortie de l'euro sera la seule raison de participer aux élections européennes.
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