En 2009,
Jean-Marc Vittori, éditorialiste aux Echos, publiait « L’effet sablier »
(Flammarion). Un ouvrage aux théories intéressantes au premier abord, mais
surtout riche d’enseignements sur les sous-entendus de la pensée néolibérale. Car
5 ans après, on ne peut que constater
la justesse du constat de M. Vittori n’est pas faux en soi : les
classes moyennes sont effectivement en train de se faire écraser. Toutefois, ce
que la lecture de son ouvrage a de réellement pertinent réside bien plus encore
dans l’enthousiasme de l’auteur pour ce phénomène, dramatique pour l’équilibre
de nos sociétés, et l’absence de vision sur les conséquences : car à
travers les classes moyennes, c’est bien la démocratie qui est mise en péril[i]
par cet eschatologie néolibérale décomplexée, voire exaltée.
Mais au final,
son argumentation s’avère difficile à suivre, pour ne pas dire bancale, voire
absurde, notamment lorsqu’il s’agit de justifier la disparition des structure
hiérarchiques pyramidales au profit des structures matricielles, dictée, selon
l’auteur, uniquement par les besoins toujours plus fluctuants des
consommateurs, et non (il n’en parle même pas) par la capacité de masquer des
licenciements par des faillites de sous-traitants ou encore le soucis de la rentabilité
maximale à court terme . Ce court ouvrage (125 pages) semble finalement avoir
été écrit sur le coup d’une intuition (pas forcément mauvaise au demeurant)
voire une impulsion et apparaît irrémédiablement bâclé.
Sur le fond,
les théories néolibérales, à peine sous-jacentes au départ, éclatent au grand
jour à la conclusion. L’auteur finit même par se réjouir de la disparition des
classes moyennes, en omettant totalement le rôle fondamental qu’elles ont
jouées dans l’établissement de la démocratie. Il va juste qu'à en clamer
l'inéluctabilité, et ceci sans vraiment argumenter. Fidèle aux théories
néolibérales, il vilipende toute idée de solidarité dans les dispositifs de
protection sociale et vante les « vertus » des logiques d’assurances
sociales. M. Vittori va même jusqu’à proclamer que « Dans une société plus émiettée, la violence collective et la guerre des
uns contre les autres paraît moins probable », comme si des pauvres
encore plus pauvres, sans courroie de transmission sociale (les classes moyennes),
sans espoir de promotion sociale, ne finiraient pas par vouloir faire rendre
gorge aux riches encore plus riches[ii] ! Mais
non : pour lui, dans une société hyper-individualisée, personne ne pensera
se regrouper avec ses voisins pour faire valoir au moins ses intérêts, au mieux
ses convictions … Vive donc le chacun pour soi !
Par ailleurs, il
faut avoir poussé très loin le dogmatisme pour croire (ou espérer) que
l’organisation sociale découle purement et simplement de l’organisation de
l’entreprise privée (1), négligeant ainsi totalement les effets de la culture,
des arts, de l’Histoire, de l’éducation, de la famille … etc. Jean-Marc Vittori
appuie d’ailleurs son argumentation sur Karl Marx : « Le mode de production de la vie matérielle conditionne le processus
de vie sociale, politique et intellectuelle »[iii].
Marxisme et néolibéralisme ne sont donc bien que les deux facettes opposées du
même économiscisme antihumaniste.
Pour M. Vittori,
l’homme n’est qu’économique, et donc, logiquement, la société l’est de même.
Fabuleux rêve post-positiviste et nihiliste qui tend à transformer l’homme en
machine à produire, oubliant ses impulsions, ses émotions, ses désirs, ses
passions … en bref : son humanité, avec ses tares et ses grandeurs. On se
croirait dans « Le meilleur des mondes » d’Aldous Huxley.
[i] Aristote en
son temps, soulignait déjà l’importance primordiale des classes moyennes dans
l’équilibre de ce qu’il appelait « raime mixte » (ou
constitutionnel).
[ii] Sur le
sujet, on pourra également lire Joseph Stiglitz, Le Prix de l’inégalité,
Editions des Liens qui libèrent 2012.
[iii] Karl
Marx , Contribution
à la critique de l’économie politique
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