Selon l’INSEE, la France compte 5.5 millions de personnes en
sous-emploi (chômeurs officiels, chômeurs non inscrits à Pôle Emploi, temps
partiel subi, chômage partiel…) auquel il faudrait ajouter une part des jeunes
scolarisés « retenus » faute de perspectives dans le système
éducatif, et les 3 millions d’emplois précaires (CDD, stages…). Au total, au
moins 9 millions de personnes sont victimes
de la crise de l’emploi, soit environ
27% des 20-59 ans (sources : INSEE).
Pourquoi le plein-emploi est-il la priorité ?
La lutte contre le chômage n’est donc pas une politique
économique parmi d’autres, mais une responsabilité centrale de l'État. En
1982-83, le fameux « tournant de la rigueur » marqua l’abandon de cet
objectif et amorça la descente aux abîmes de la société française exposée aux
seuls intérêts d’une oligarchie hyper-minoritaire mais adossée à la puissance
de la finance. Ne nous faisons pas d’illusion : le sous-emploi n’est pas
la conséquence malheureuse d’une politique orientée sur d’autres objectifs,
mais bien la variable stratégique par laquelle l’oligarchie orchestre la
compression des salaires.
Une partie des classes moyennes prêta son soutien à ce démantèlement
de la solidarité nationale contre l’illusoire avantage de la « monnaie
forte » et la croyance naïve d’être à l’abri du naufrage qui frappait en
premier lieu le monde ouvrier.
Ce consentement procura au néolibéralisme le consensus
nécessaire pour libérer les mouvements de capitaux à la fin des années 80 et
sacrifier l’indépendance monétaire et économique du pays par le Traité de
Maastricht qui prétendait graver à jamais dans le marbre la politique de
sous-emploi.
La crise de 2008 et l’impasse du modèle de croissance par
l’endettement ont transformé cette configuration : l’oligarchie européenne
accélère le mouvement de destruction de la protection sociale et de réduction
des salaires, frappant cette fois les catégories qui se croyaient les mieux
protégées, y compris les fonctionnaires. La crise politique qui se profile,
avec la perte de l’hégémonie de l’UMP-PS n’est que l’expression de la
désaffection des classes moyennes, de plus en plus conscientes de leur
périlleuse posture dans l’agenda de la régression sociale.
Pour ces raisons, l’alternative politique aux partis
néolibéraux devra nécessairement présenter une réponse vigoureuse et crédible au
maelstrom du sous-emploi. L’opposition républicaine n’existera qu’en se donnant
les moyens de l’emploi et par là même de répondre clairement à la préoccupation
de loin majoritaire de la population[1].
Quatre axes pour le plein emploi
Une politique de plein emploi suppose une batterie de mesures
pour aboutir à des effets rapides. Politique de relance, politique de
protection de la production nationale, politique de réduction du coût relatif
du travail, politique de régulation du marché du travail.
Une
politique de relance
La
politique de relance a été maintes fois décrites : il s’agit
d’engager un volume important de dépenses publiques pour permettre aux
entreprises d’augmenter leur production jusqu’au niveau de plein emploi. Pour
être pleinement efficace, cette politique doit être financée par l’épargne
nationale oisive et par la création monétaire via la banque centrale (ce qui
signifie de ne plus recourir aux marchés financiers dont on a expérimenté les
multiples effets pervers)[2].
Cette dépense publique doit être orientée vers des activités à la fois
socialement utiles et pour lesquelles existe une offre nationale :
infrastructure nationales et locales, par exemple. Une politique massive d’aide
à la consommation est aussi envisageable : chèque emplois-services, impôt
négatif pour les catégories à forte propension à consommer[3].
Pourquoi ne pas financer directement les entreprises ?
Parce que ces aides manquent leur objectif en période de déflation, les
entreprises cherchant à réduire leurs engagements productifs face à la
dégradation du marché. La politique de l’offre est inadaptée en période
déflation : on n’oblige pas à boire un âne qui n’a pas soif. Et pour lui
« donner soif » il s’agit de constituer des débouchés suffisant pour
qu’il ait intérêt à produire et investir – quitte à lui faciliter la tâche avec
de faibles taux d’intérêt, ou d’éventuels reports provisoires de certaines
charges sur le budget de l'État à titre subsidiaire.
Une
politique de protection de l’industrie nationale
La
politique de protection de l’industrie nationale permettra
de rapatrier une partie des activités de main d'œuvre détruites par la
surévaluation de l’euro et le désarmement douanier. Mais cette protection
n’aura qu’un effet limité sur l’emploi : indépendamment de la
délocalisation, la part de valeur ajoutée industrielle dans la consommation
diminue avec les gains de productivité. Et par ailleurs, la relocalisation ne
concernerait qu’une partie des activités, car nous n’avons aucun intérêt à
maintenir à tous prix des activités non stratégiques dans lesquels notre
désavantage comparatif est manifeste (est-il utile de rapatrier la production
de tee-shirts ?). La protection du marché intérieur faciliterait cependant
la diffusion d’effets d’entraînement autour de l’industrie (services aux
entreprises…) et plus largement restaurerait l’efficacité des politiques de
relance. Mais cette nécessaire politique ne sera pas suffisante dans une
stratégie dont l’emploi serait la priorité.
Une réforme
du financement de la protection sociale
Une politique de réforme du financement de la protection
sociale viserait à en déplacer le coût, des salaires vers l’ensemble de la
valeur ajoutée.
Distinguons clairement cette politique de la baisse des
charges (c'est-à-dire de baisse de la contribution à la protection sociale),
totalement contre-productive, en dépit de sa popularité parmi les dirigeants
d’entreprises que leur position prédispose à l’illusion microéconomique :
croire que ce qui serait bon pour leur entreprise prise isolément le serait
aussi en cas de généralisation. Car la stabilisation des débouchés suppose au
contraire de renforcer les revenus de transfert : famille, maladie,
retraite – ceci indépendamment du fait que ces transferts ont d’intenses effets
vertueux en termes de réduction des inégalités et répondent à une revendication
sociale amplement diffusée. « Baisser les charges », que ce soit
compensé par une hausse de la fiscalité des ménages ou par une réduction des
prestations, est une politique de déflation salariale à peine masquée, dont les
résultats en sont déjà constatables : la compression des marchés coûte
davantage aux PME que les dégrèvements qu’on leur a consentis, et dans cette
perspective elles consacrent (à juste titre) leur trésorerie à se désendetter
plutôt qu’à l’emploi.
Il serait tout différent de déplacer ces charges de la masse
salariale vers l’ensemble de la valeur ajoutée (et les importations),
ce qui réduirait le coût relatif du travail et soulagerait un peu les petites
entreprises travaillistiques. De la sorte, le coût marginal d’une embauche
serait fortement réduit sans affecter la
masse des prélèvements. Ce n’est que sous cette forme que l’action sur les
charges serait efficace (étant entendu que la reprise de l’activité rétablira
au final la trésorerie des entreprises mille fois plus efficacement que les
aides directes contre-productives).
Cette politique serait heureusement renforcée par un crédit de prélèvement par emploi (le
calcul du prélèvement sur l’entreprise inclurait une déduction pour chaque
emploi), qui reviendrait à « subventionner » l’emploi et compenser un
peu de la charge que l’entreprise évite ainsi à la collectivité – l’objectif
étant toujours de réduire le coût d’un emploi supplémentaire sans réduire le
financement de la protection sociale.
Une
politique de régulation du marché du travail
Enfin, une politique
de régulation du marché du travail : Ce quarante dernières années ont
vu se succéder les « assouplissements » des règles applicables aux
salariés, avec la multiplication d’emplois précaires, de sous-emploi déguisé
(mi-temps), de stages non ou mal rémunérés qui évincent légalement l’emploi
stable et tirent les salaires vers le bas. Il en va de même du travail
clandestin, amplifié à dessein par la tolérance dont bénéficie l’immigration
clandestine.
Ce dernier point est l’un des plus délicats à traiter,
puisque les légitimes réactions de révolte contre le travail clandestins
sont instrumentalisées dans des stratégies politiques racistes, visant à
détourner l’attention des solutions économiques et politiques pertinentes.
Qu’il soit clair ici qu’il s’agit bien de lutter contre le travail clandestin
lui-même et non contre les travailleurs qui le pratiquent à leur corps
défendant.
De ce point de vue, il conviendrait de procéder à un inventaire
des divers « stages » pour les assortir d’une rémunération décente,
non seulement par justice vis-à-vis des stagiaires mais aussi pour empêcher que
les entreprises ne recourent à ces procédés au détriment de l’emploi.
Quant au travail clandestin, plusieurs pistes peuvent être suivies :
-
Le report des charges sur la valeur ajoutée ôterait un
avantage majeur à l’emploi clandestin, puisque ce n’est plus sur l’emploi légal
que reposeraient les charges. Le « crédit de prélèvement par
emploi », évoqué plus haut, aurait pour autre vertu de ne profiter qu’à
l’emploi légal.
-
Les moyens de l’inspection du travail devraient être
renforcés pour assurer un respect effectif du code du travail.
-
En cas de découverte de filières d’immigration
clandestine, la sanction devrait porter sur les employeurs. L’interférence avec
la politique de l’immigration serait sans doute problématique à gérer, mais le
but serait de protéger les travailleurs illégaux, victimes de patrons-voyous,
au lieu de les solidariser avec eux par une politique d’expulsion systématique[4].
Ce tour d’horizon néglige volontairement nombre de mesures
d’accompagnement (information, formation, stages dans les collectivités
publiques) bien entendu utiles mais qui ne créent pas l’électrochoc nécessaire
au rétablissement du plein emploi. Il ne s’agit pas d’atténuer les conséquences
du chômage, mais de se donner les moyens effectifs de sa résorption à court
terme.
[1] Il va de soi
que la politique de l’emploi ne saurait être isolée du rétablissement de la
souveraineté économique (sortie de l’euro) et d’une réforme d’ensemble du
financement de l’économie (réglementation de la finance). Mais elle doit avoir
ses objectifs et sa visibilité propres, pour des raisons aussi bien économiques
que politiques.
[2] Nous de
traitons pas ici du pseudo problème de la dette publique, qui peut-être résolu
par un arrangement institutionnel adéquat pour que la Banque Centrale finance
une partie des dépenses de l'État.
[3] Cette
dépense publique doit être méthodologiquement distinguée de celle qui
financerait l’investissement à long terme dans des secteurs stratégiques,
politique à plus long terme et qui ne porterait pas sur les mêmes activités.
[4] Le sujet de
cet article n’est pas la politique d’immigration en elle-même. L’idée générale
en est toutefois de compter sur le tarissement des réseaux d’emploi clandestin
plutôt que sur des mesures policières douloureuses et inefficaces pour
réorienter les flux migratoires vers des entrées légales, dont le volume
devrait évidemment être contrôlé.
Deux mots clés : protectonnisme économique et sécurisation du travail. C'est un choix de société. Ou on continue à suivre les diktats meurtriers des technocrates de Bruxelles et on s'enlise dans un processus -qui est déjà bien engagé- de désintégration de notre société -avec les conséquences que l'on imagine-, ou on a le courage d'une prise de distance avec une europe devenue bourbier, on reprend possession de notre économie et on en finit une fois pour toutes avec le sous-emploi. Pas de projet gaulliste sans fidélité aux réticences du Général à propos du "machin" !
RépondreSupprimerUne banque publique d'investissement pourrait jouer un rôle utile sur quelques secteurs bien identifiés comme l'isolation thermique et des infrastructures publiques comme le transport( canaux, chemin de fer...).
RépondreSupprimerUne banque publique n'a pas vocation à financer tous les domaines mais ceux mentionnés au dessus me paraissent relever d'un financement par une telle banque.
"et de façon plus diffuse une ambiance politique délétère, propice aux réactions de désespoir, aux trafics en tous genre et à la dés-intégration sociale."
RépondreSupprimerOui, par exemple dans ce livre :
http://www.amazon.fr/fin-village-Une-histoire-fran%C3%A7aise-ebook/dp/B00AALIEM0/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1399291018&sr=8-1&keywords=la+fin+du+village
Jean-Pierre le Goff montre l'envolée des emplois subventionnés dans les associations, parcs écologiques, milieux artistiques...et on peut comprendre que ces milieux, étant placés dans des conditions artificielles, développent des idées politiques qui ne le sont pas moins.
Paradoxalement, c'est une partie de l'électorat d'EELV, donc européistes.
Une partie des difficultés à éviter des réformes démagogique de l'éducation vient aussi de là.
Mais il faudrait quand même préciser pourquoi l'oligarchie française voudrait le chômage, alors que l'allemande ou la britannique (cette dernière incontestablement plus féroce) ne s'en accommodent pas.
Sur le basculement vers une taxe sur la consommation, il y a eu la baisse de la TVA par DSK (à la demande de la droite, affaire de la cagnotte) puis des tentatives de hausse par Sarkozy : la taxe carbone, retoquée par le conseil constitutionnel, et la hausse votée en 2011, remise en cause par la gauche puis en petite partie appliquée.
"Ce dernier point est l’un des plus délicats à traiter, puisque les légitimes réactions de révolte contre le travail clandestins sont instrumentalisées dans des stratégies politiques racistes, visant à détourner l’attention des solutions économiques et politiques pertinentes"
il semble que les discours politiques ne visent pas à titre principal les clandestins, mais les tensions bien réelles qui se produisent autour de l'immigration (symbolisées par l'affaire des drapeaux le soir de l'élection en 2012, par exemple).
Bien sûr, on peut toujours s'en sortir en affirmant que sans misère tout irait mieux. Rien n'interdit de faire des hypothèses plus ou moins audacieuses, mais en tout cas et dans la mesure où, contrairement à ce qu'on nous raconte, les arrivées ont surtout eu lieu après le début de la crise pétrolière, j'aurais préféré qu'on ne tente pas d'expériences avec mon pays...
Vous vilipendez les classes moyennes sous le prétexte qu'elles auraient cyniquement soutenu l'UE, mais elles ont aussi soutenu l'immigration, dont elles semblent à présent penser qu'elle est source de tensions .
Dans les deux cas, ne s'agit-il pas plutôt de manque de visibilité et de réflexion ? De manque de qualité du débat public, organisé autour de positions idéologiques martelées.
Au Royaume-Uni, sur l'immigration polonaise et les problèmes posés par l'Islam, le débat semble à la fois plus ouvert et plus informé (et moins porté vers les extrêmes). Et sur l'Europe, il n'y a pas du tout le même état d'esprit qu'en France, y compris sur la volonté de rester une nation souveraine. Pourtant, ils ont quelques siècles d'expérience de la coexistence de royaumes unis (peut-être moins unis en septembre, d'ailleurs).
"il semble que les discours politiques ne visent pas à titre principal les clandestins, mais les tensions bien réelles qui se produisent autour de l'immigration"
RépondreSupprimerC'est bien là le problème. Le contournement du droit du travail (travail clandestin), les effets délétères du chômage et de l'assistanat, le laisser-aller scolaire ou judiciaire, créent l'inquiétude et une frustration légitime dans le corps social. Mais rien ne justifie l'interprétation "ethnique" qui en est répandue et divise des population dont les intérêts sont en réalité les mêmes : restaurer l'emploi et la solidarité nationale. "L'affaire des drapeaux" ou les frasques islamistes ne sont que des épiphénomènes, certes inquiétants, mais qui seraient facilement marginalisés dans un tissus social structuré par l'emploi et sécurisé par des politiques d'ordre public minimales. Prendre pour cible "les immigrés" est une impasse aux conséquences incalculables.
On ne peut pas discuter chômage sans parler du problème de la formation, quoiqu'on dise les diplômés sont beaucoup moins touché, c'est dur mais faisable. Tant qu'on continuera a produire 150 000 jeunes sans formation par an, on alimentera un chômage de masse. Tant qu'on ne sera pas capable de reformer complètement des adultes, même à 50 ans, comme ça se fait en Suède, on continuera d'avoir des "dispensés de recherche d'emploi". Bref si on oublie les concepts de capital humain et de course entre technologie et innovation, on retournera à la situation des années 70, certes meilleurs que celle que nous vivons, mais sans vrai plein emploi.
RépondreSupprimerJe suis tout à fait d'accord pour optimiser la formation, bien entendu. Mais je ne pense pas que ce soit un facteur majeur de chômage. Il est vrai que les plus qualifiés occupent les emplois disponibles au détriment des autres. Mais même si le niveau général de formation s'améliore, le même mécanisme perdurera tant que le niveau général de l'emploi n'aura pas significativement augmenté. En fait, la formation agira plutôt sur la productivité, ce qui enrichira la collectivité mais n'accroîtra pas nécessairement l'emploi.
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