Billet invité de l’œil de Brutus
Dans son édition de juin 2014, Le Monde diplomatique
dresse un dossier très complet sur les débats relatifs au TTIP[i].
Je ne saurai qu’en conseiller la lecture, et pour se faire dresse ci-dessous
les éléments qui m’ont paru les plus saillants[ii].
Les principales menaces du
TTIP[iii]
-
Toute régulation de la finance deviendra
quasi-impossible et le TTIP devrait amener à l’abrogation des quelques
réglementations (déjà bien minimes) mises en place depuis 2008. Ainsi, « les négociateurs américains, conseillés par
des banquiers de Wall Street, ont proposé d’ajouter au traité des règles
contraires aux dispositions américaines visant à interdire les produits dérivés
toxiques, à limiter la taille des banques dites too big to fail »[iv].
-
Au nom de la liberté de commerce, les normes
sanitaires pourraient être revues à la baisse, ce qui induirait, par exemple,
la « libre » commercialisation de viande touchée par la « vache
folle » ou de lait contaminé[v].
-
Au nom de la libre concurrence, le TTIP devrait
interdire les subventions publiques aux énergies renouvelables et donc
accroître la dépendance au pétrole[vi].
-
De chaque côté de l’Atlantique, les agences de
surveillance des médicaments n’auraient pas le droit de ré-évaluer les
médicaments agréés dans un autre pays signataire du TTIP, ce qui induira, par
la force des choses, une moindre fiabilité des médicaments[vii].
-
Au nom de la liberté de commerce, les Etats et
agences de sécurité sociale n’auront plus le droit de négocier à la baisse les
prix des médicaments ou d’encourager le recours aux génériques, ce qui induira une
hausse des prix des médicaments[viii].
-
Le TTIP facilitera l’accès aux informations
personnelles, notamment sur internet, afin de créer des profils de
consommateurs ciblés, qu’elles qu’en soient les conséquences en termes d’atteintes
à la vie privée[ix].
-
Toute notion de préférence nationale ou locale
pour les commandes publiques sera prohibée[x].
Cela remettra en cause les dispositifs américains tels que le Buy American Act et la possibilité de tels dispositifs en
Europe (tel que le Buy European Act
réclamé par M. Sarkozy[xi], par
ailleurs fervent défenseur du … TTIP !) deviendront encore plus
chimériques.
-
L’étiquetage des produits OGM devrait se
trouver prohibé par le TTIP[xii].
-
Les règles de surveillance de mise sur le marché
des jouets devraient être harmonisées par le bas[xiii]
(de la même manière que pour les médicaments, cf. ci-dessus).
-
A contrario, aucune mesure n’est prévue pour
défendre les dispositifs sociaux et de protection des travailleurs[xiv].
-
Le TTIP pourrait se traduire par une dégradation
des droits de représentation collective des travailleurs[xv]
(nivellement des normes sociales par le bas).
-
Au nom de la libre concurrence, tous les
services publics devraient être progressivement privatisés[xvi].
Le système de Règlement des
différends entre investisseurs et Etats (RDIE)[xvii]
Le RDIE permettra à toute
entreprise estimant qu’un Etat ou une collectivité publique ne respecte pas les
standards du TTIP de le, ou la, poursuivre devant un tribunal. De tels
mécanismes existent déjà relativement à d’autres traités[xviii].
Ainsi, le groupe américain Cargill a obtenu 90,7 M$ (66 M€) du Mexique pour avoir osé créer une nouvelle
taxe sur les sodas. Le Guatemala a dû verser 25 M$ à Tampa Electric pour avoir
eu des velléités de régulation des prix de l’électricité. Après avoir modifié
un contrat pétrolier, le Sri Lanka a dû s’acquitter de 60M$ d’amende à la
Deutsche Bank. En fait, « au nom de
la protection des investissements, les gouvernements sont sommés de garantir
trois principes : l’égalité de traitement des sociétés étrangères et
nationales (rendant impossible une préférence pour les entreprises locales qui
défendent l’emploi, par exemple) ; la sécurité de l’investissement (les
pouvoirs publics ne peuvent pas changer les conditions d’exploitation,
exproprier sans compensation ou procéder à une « expropriation
indirecte »[xix]) ; la
liberté pour l’entreprise de transférer son capital (une société peut sortir
des frontières avec armes et bagages, mais un Etat ne peut pas lui demander de
partir ! ) »[xx]. On
notera qu’aucun mécanisme d’appel au RDIE n’est prévu : une fois que le
« tribunal » a décidé, il est impossible de remettre en cause cette
décision ! L’organisation interne du RDIE est en elle-même
hallucinante : « les affaires
sont jugées par trois arbitres : l’un est désigné par le gouvernement
accusé, l’autre par la multinationale accusatrice et le dernier (le président)
en commun par les deux parties. Nul besoin d’être qualifié, habilité ou
appointé par une cour de justice pour arbitrer ce type de cas »[xxi].
Les coûts de procédure et les
amendes encourues sont tellement lourds que, bien évidemment, les Etats,
notamment les plus faibles, préfèrent bien souvent arriver à un compromis,
généralement largement en faveur des multinationales. Au final, « non
seulement un tel système profite aux plus riches, mais de jugements en
règlements amiables, il fait évoluer la jurisprudence et donc le système
judiciaire international hors de tout contrôle démocratique, dans un univers
régenté par l’ « industrie de l’injustice » »[xxii].
TTIP et démocratie
Le 29 mai 2013, l’Assemblée
nationale française vote une résolution demandant « que soit exclu du mandat (donné à la Commission européenne pour
négocier le TTIP) le recours à un
mécanisme spécifique de règlement des différends entre les investisseurs et les
Etats pour préserver le droit souverain entre les Etats ». Cela
n’empêche pourtant par le Conseil européen de valider les recommandations de la
Commission qui prévoient bien l’instauration d’un « mécanisme de règlement des différends »[xxiii].
Dans ce mandat donné à la
Commission européenne, l’article 4 stipule que « les obligations de l’accord engagent tous les niveaux de
gouvernements », c’est-à-dire que non seulement les Etats pourront
être trainés devant les tribunaux par les multinationales, mais aussi les
régions, les départements, les communes ect[xxiv].
Ainsi, par exemple, le maire d’une commune de 500 habitants prenant un arrêté
municipal limitant la circulation des poids lourds pourra être trainé devant
l’organisme de règlement des différends par une multinationale – et ses
bataillons d’avocats – disposant d’une implantation à proximité, qui y verra
une entrave au libre commerce.
En fait, dès sa phase de
négociations, le TTIP montre son caractère fondamentalement anti-démocratique.
La Commission européenne elle-même avoue sa culture du secret : « pour réussir des négociations commerciales,
il faut respecter un certain degré
de confidentialité. Autrement, cela reviendrait à montrer son jeu à son
adversaire durant une partie de carte »[xxv]. Le tout est de savoir qui est désigné
ainsi comme « adversaire » : l’autre partie contractante ou …
les peuples ainsi mis à l’écart ? Car, même « le Parlement européen ne dispose que d’un accès restreint au détail des
échanges entre Washington et Bruxelles. Les négociateurs n’envoient
d’informations qu’à un seul eurodéputé par groupe politique, au sein de la
commission pour le commerce international (INTA) du Parlement. Ceux-ci n’ont
pas le droit de les transmettre à leurs collègues en dehors de cette commission
ou à des experts extérieurs pour examen, malgré leur technicité »[xxvi].
Les Etats sont maintenus dans la même ignorance. Pire encore : les
documents transmis aux eurodéputés de l’INTA ne concernent que les propositions
de l’Union européenne. De l’autre côté, les négociateurs américains interdisent
formellement toute transmission de leurs propres propositions aux
parlementaires comme aux Etats[xxvii]. Mais
que l’on se rassure : cette culture du secret n’est pas valable pour tous.
Ainsi, « sur 137 réunions organisées
par la direction générale du commerce (de la Commission européenne) pour préparer les négociations, 119
visaient à recueillir les préférences des grandes entreprises et de leurs
représentants »[xxviii].
On notera de plus que le
commissaire au commerce, M. De Gucht, œuvre ouvertement pour le TTIP ne soit
pas présenté à ratification des Parlement nationaux[xxix].
L’article 207 du traité sur le fonctionnement de l’Union commerciale prévoit en
effet que les accords commerciaux, prérogatives de la Commission européenne,
n’aient pas nécessairement besoin d’une validation des Parlements nationaux[xxx].
TTIP et irréversibilité
[i] Transatlantic Trade and Investment Partnership, également nommé TAFTA (Transatlantic Free Trade Agreement) ou
GMT (Grand marché transtlantique).
[ii] Voir
également mes articles sur le sujet :
[iii] Lori M.
Wallach, Dix
menaces pour le peuple américain … ; Walf Jäcklein, … et dix menaces
pour les peuples européens, Le Monde diplomatique, juin 2014.
[iv] Lori M. Wallach, id.
[v] Id.
[vi] Id.
[vii] Id.
[viii] Id.
[ix] Id.
[x] Id.
[xi] Comme
(presque) toujours, cette demande de M. Sarkozy est restée purement
invocatoire, sans qu’aucune réelle initiative ne soit prise pour la faire
aboutir.
[xii] Lori M. Wallach, Id.
[xiii] Id.
[xiv] Walf Jäcklein, Id.
[xv] Id.
[xvi] Id.
[xvii] Benoît
Bréville, Martine Bulard, Des
Tribunaux pour détrousser les
Etats, Le Monde diplomatique, juin 2014.
[xviii]
Notamment dans le cadre de l’Accord de libre-échanges des Amériques (ALENA).
[xix] Il est
même probable qu’une multinationale constatant une évolution du droit du
travail qui lui déplaît puisse recourir à ce principe de sécurisation des
investissements pour attaquer devant un tribunal l’Etat qui voudrait ainsi
mettre en place une législation plus favorable aux travailleurs. Les mêmes
considérations pourraient avoir cours sur les questions environnementales et
fiscales.
[xx] Benoît
Bréville, Martine Bulard, Id.
[xxi] Id.
[xxii] Id.
[xxiii] Plus de vingt ans de préparatifs,
Le Monde diplomatique, juin 2014.
[xxiv] Raoul
Marc Jennar et Renaud Lambert, La Mondialisation
heureuse, mode d’emploi, Le Monde diplomatique, juin 2014.
[xxv] Sur le
site de la direction générale du commerce de la Commission européenne, cité par
Martin Pigeon, Silence,
on négocie pour vous, Le Monde diplomatique, juin 2014.
[xxvi] Martin
Pigeon, Silence,
on négocie pour vous, Le Monde diplomatique, juin 2014.
[xxvii] Id.
[xxviii] Id.
[xxix] Cf. Raoul
Marc Jennar, Les
trois actes de résistance, Le Monde diplomatique, juin 2014.
[xxx] Ce qui
n’est pas le cas des « accords mixtes » qui, eux, doivent
obligatoirement être ratifiés. Le tout est donc de savoir comment doit être
qualifié le TTIP : traité commercial ou accord mixte ? La législation
européenne est très floue sur le sujet, mais l’intelligentsia européiste œuvre
évidemment pour que la première option soit retenue. Ce n’est ainsi pas
probablement pour rien que la tutelle du commerce extérieure a été transférée
par Manuel Valls du ministère de l’économie (tenu par Arnaud Montebourg, connu
comme peu favorable au libre-échange) au ministère des affaires étrangères du
très atlantiste Laurent Fabius.
A noter que notre Constitution présente une
contradiction sur le sujet puisque l’article 53 qui prévoit que les traités de
commerce soient soumis à ratification du Parlement n’a pas été modifié après
l’adoption du Traité de Lisbonne. Théoriquement, donc, notre Constitution
interdit la ratification d’un tel accord sans l’accord du Parlement. Encore
faut-il que nos parlementaires s’en émeuvent … Et même dans ce cas, la
jurisprudence de la Cour de justice européenne, de par le fameux arrêt
Costa-Enel (15/07/1964), affirme la primauté absolue du droit européen sur le
droit national.
Vous dites : "On notera qu’aucun mécanisme d’appel au RDIE n’est prévu : une fois que le « tribunal » [privé] a décidé, il est impossible de remettre en cause cette décision !"
RépondreSupprimerIMPORTANT : A cet égard, je vous signale que le Parlement européen a déjà réparti les modalités entre les Etats membres et l'UE inhérentes (rapport Pawel Zawelski, 16 avril 2014) à une future indemnisation qu'elle sera consécutive soit au droit européen, soit qu'elle incombe à des lois nationales.
Danièle Favari, juriste de l'environnement et droit européen de l'environnement, auteure de "UE-USA, les enjeux de l'accorde de libre échange"
Belle liste des menaces qui planent sur l'Europe et sur la France à travers ce traité.
RépondreSupprimerMalheureusement les intérêts financiers sont gigantesques et il est possible que nos élus soient influencés, pour ne pas dire achetés. Or l'adoption de ce traité serait l’événement qui manque encore à un avènement des extrêmes, donc du FN en France.
Pour faire obstacle à ce traité, anti-démocratique, ultra-libéral, dangereux pour la santé, l’environnement et nos emplois il est nécessaire de faire front ensemble, tous les opposants à cette ineptie, quel que soit nos divergences sur d'autres points.
Les dangers du TTIP