Comment peut-on se prétendre être
gaulliste et défendre le principe même du traité
transatlantique (TTIP[i]) ?
A lire sa tribune sur le site du Monde (Rejeter
le traité transatlantique par dogmatisme serait une erreur,
23/05/2014), cette question, Mme Nora Berra (ancienne eurodéputée et élue UMP
de la région lyonnaise) ne se l’est manifestement pas posée. Ou alors, c’est
qu’elle est dans la plus grande ignorance sur les tenants et les aboutissants
du TTIP[ii].
Car il faut bien de l’un ou l’autre (ou
des deux) pour pouvoir s’émouvoir que ce traité infâme cristallise les
oppositions alors même qu’il s’agit « d'un accord dont ni le contenu, ni même les contours
n'ont pour le moment été mis sur le papier et nourrissent ainsi la résurgence
d'un certain anti-américanisme ». C’est
justement là tout le problème : on ne sait rien, ou presque, de ce que la
Commission européenne négocie dans notre dos alors qu’il s’agit pourtant
d’éléments fondamentaux de notre avenir ! Et les quelques fuites sur ces
négociations ne sont guère rassurantes, ni pour les citoyens, ni pour la
démocratie, ni pour la France[iii].
Ceci dit, si
l’on en croit Mme Berra, on peut être rassuré : la Commission organise des
rencontres avec la « société civile ».
Il est pour le moins étrange qu’une ancienne membre du dit Parlement siégeant à
Strasbourg ne sache point que dans la novlangue de la technocratie européenne,
société civile = lobbys. Car c’est bien de cela dont il s’agit[iv].
Et pour preuve : la Commission a bien mandaté un groupe d’
« experts » représentant la « société civile » pour la
conseiller. Comme le relève Médiapart, sa composition vaut le détour[v]…
En pratique, pendant que les multinationales marquent de leur emprise les
négociations[vi]
et que la Commission outrepasse outrageusement son mandat[vii],
les gouvernements sont privés d’accès aux documents[viii].
Mais ce n’est qu’une triste habitude dans l’univers anti-démocratique de
l’UE : il est déjà de notoriété publique que les lobbys de Bruxelles
fournissent des textes « clés en main » aux commissaires, quand
ceux-ci ne tardent guère à se recaser auprès d’eux ou de leurs mandataires une
fois leur temps passé[ix].
Mme Berra
finit bien par se poser une question juste, mais dont le sous-entendu sonne
faux : « Qui défendrait un
accord pouvant permettre à une
entreprise américaine de remettre en cause
notre souveraineté et notre droit à légiférer (mécanisme
d'arbitrage investisseur/Etat) ? Car,
de par sa tribune, elle fait bien partie de ceux qui participent à ce
« qui ? », et le mécanisme que prévoit l’accord est bien de ceux
qui permettent aux multinationales de poursuivre les Etats dès lors que les
législations – notamment fiscales, sociales ou environnementales – ne vont pas
dans le sens des intérêts. Les Etats, comme l’Australie, la Canada et
l’Uruguay, qui ont déjà signé le même type d’accords avec les Etats-Unis,
prévoyant le même type de mécanisme de règlements des différentes, en ont déjà
été pour leurs frais[x].
Il faut en
outre une sacré dose d’aveuglement ou de méconnaissance pour estimer que le
TTIP permettra d’obtenir une « vraie
réciprocité bilatérale ». Quelqu’un a-t-il donc entendu évoquer une
éventuelle remise en cause, à travers cet accord, du Buy American Act et du Small
American Act[xi]
pour les entreprises européennes ? A ma connaissance personne. Et pour
cause : pour les multinationales américaines, c’est très certainement une
ligne rouge que nul ne s’aviserait de franchir sans faire tomber à plat le
traité transatlantique. Mais à part ça, l’accord est équilibré et réciproque
… ?
Le (faux)
pragmatisme qui semble guider Mme Berra lorsqu’elle nous demande d’attendre
« de connaître le contenu de cet
accord avant de nous prononcer » n’a d’égal que sa méconnaissance des
mécanismes européens lorsqu’elle affirme qu’ « il reviendra ensuite au parlement de le ratifier » (le TTIP). Or,
justement, le traité de Lisbonne confirmant la compétence exclusive de la
Commission européenne dans la négociation des traités commerciaux, les
parlements nationaux ne seront nullement consultés sur la ratification du TTIP[xii] !
Comment une ancienne eurodéputée peut-elle ignorer un élément aussi fondamental
du fonctionnement des institutions européennes[xiii] ?
Quand l’accord sera prononcé, il sera bel et bien trop tard !
On passera
sur la pathétique conclusion et son inévitable chantage à « l’économie », la « croissance » et « l’emploi » (déjà évoqué
supra). Ça fait trente ans qu’on nous fait le coup et on connaît le résultat.
En tout état
de cause, de la même manière qu’on ne peut certes pas se prétendre « de
gauche » et soutenir le parti socialiste (qui lui aussi soutien le TTIP,
autre élément de convergence forte avec l’UMP, soit dit en passant), on ne peut
à la fois être gaulliste et soutenir un tel traité infâme[xiv],
bâti dans le dos des peuples pour le plus grand profit de l’oligarchie
mondialiste tout en bafouant la souveraineté de la France et sa démocratie. De
toute façon, s’il y avait encore quelques doutes sur le sujet, on ne peut aujourd’hui
que constater qu’il est strictement impossible d’être gaulliste tout en
militant à l’UMP.
[i] Transatlantic Trade and
Investment Partnership.
[ii] Pour mettre
fin à toute ignorance sur le sujet, on ne saurait conseiller mieux que
l’excellent blog de Magali Pernin : Contre
la cour.
[iii]
Jean-Michel Quatrepoint, L'accord
commercial transatlantique sera une catastrophe pour la France, Marianne,
21-juin-13.
[iv] Sur le
sujet, lire, entres autres, Pierre Souchon, Une directive trop cruciale pour
être débattue publiquement, Le Monde diplomatique, avril 2014 ; Magali
Pernin, Janvier
2014 : des nouvelles du traité transatlantique, Contre la Cour,
06/02/2014.
[v] Lire Partenariat
transatlantique : analyse du groupe d’experts qui conseille la Commission,
Médiapart, 28/01/2014.
[vi] Magali
Pernin , Marché
transatlantique: un document confidentiel confirme les pouvoirs accrus des
entreprises. Contre la cour, 16-déc-13
[vii] Magali
Pernin , Propriété
intellectuelle : la Commission outrepasse son mandat en négociant avec les
industriels américains, Contre la cour, 20-déc-13.
[viii] Magali
Pernin, Marché
transatlantique : les gouvernements nationaux privés d’accès aux documents de
la négociation, Contre la cour, 18-déc-13.
[ix] Lire
Christophe Deloire, Christophe Dubois, Circus Politicus, Albin Michel 2012. Notamment la partie sur les
commissaires européens à la concurrence et les conflits d’intérêts.
[x] Lire Laurent
Pinsolle, Le
RDIE : la bombe à retardement démocratique du traité transatlantique , Gaulliste
libre, 26-avr-14.
[xi] Lois très
protectionnistes que les Etats-Unis imposent – à raison – à toutes leurs
administrations pour qu’elles passent en priorité leurs contrats avec des
entreprises américaines. De notre côté de l’Atlantique on attend toujours (et
on va attendre longtemps étant le haut degré d’idéologie libre-échangiste qui
imprègne la technocratie européenne) note European
Business Act.
[xii] Lire
Magali Pernin, Les
Parlements nationaux ne seront pas consultés sur la ratification du Traité
transatlantique, Contre la Cour, 29/10/2013.
[xiii] Pour
mémoire, la Commission européenne a déjà passé une centaine d’accords
internationaux sur les questions commerciales. Quelqu’un a-t-il déjà vu la
ratification d’un de ces accords par l’Assemblé nationale ?
[xiv] Pour
mémoire, le général de Gaulle avait pratiqué la fameuse « politique de la
chaise vide » afin de refuser que les décisions prises par la CEE
(communauté économique européenne, ancêtre de l’UE) ne puisse se faire
autrement qu’à l’unanimité, autrement dit que des décisions prises par d’autres
s’imposent de facto à la France …
On a monté un petit site d'interpellation des politiques.... http://pacte-transatlantique.org/ Si on est nombreux à écrire, ils sentiront peut-être le boulet de notre future désaffection vis-à-vis d'eux aux prochaines élections...
RépondreSupprimerAnne
Plutôt que d'éduquer nos politiques, ce serait plus simple de les remplacer... encore faudrait-il pouvoir faire émerger une véritable alternative.
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